Directeur de l’école urbaine de Lyon, Michel Lussault est un géographe bien connu, auteur de Chroniques de géo’virale, son dernier ouvrage, recensé par un Clionaute. L’ouvrage compile dix chroniques vidéos dites de « géo’virale » diffusées du 23 mars au 11 mai 2020, afin de « ne pas confiner idiot ». Il s’agit de penser le monde avec le virus.

Comment le coronavirus qui nous oblige à porter des masques ou à rester à distance les uns des autres a-t-il fait pour s’étendre dans le monde entier ? Parce qu’il a choisi une stratégie parfaitement en phase avec l’organisation géographique de notre planète !

Alors que la conférence prévue était destinée aux enfants, Michel Lussault constate que seuls des adultes sont présents. Il décide donc de s’adresser à des parents en adaptant son vocabulaire.

Lors du « grand confinement de mars 2020 », la géographie entreprend de partager une expérience de réflexion, dans ce contexte inédit. Lors de la parution de son livre, faisant écho à son propos, il sollicite la dessinatrice et chercheuse Lou Herrmann qui a conçu une planche graphique que le conférencier montre à l’écran afin de construire et d’enrichir son propos. Le but est d’expliquer la pandémie aux non-géographes, ou aux enfants.

Le corps comme échelle de propagation

Si le virus a sa propre échelle, il a besoin des corps pour se transmettre. La Covid 19 est donc une entité géographique. Son existence est déterminée par un mouvement selon un modèle chorégraphique. Si le virus ne bouge pas, il s’éteint. N’étant pas un être vivant, il a besoin de corps pour survivre. Ainsi, il peut se multiplier, coloniser et s’investir dans un autre corps. Son histoire est donc liée au corps à corps.

Un mythe s’étend dans le monde, celui de trouver le patient 0. Est-ce la première personne infectée à l’hôpital de Wuhan ? On sait que le virus vient de la chauve-souris, découvert au Laos depuis longtemps. Alors, se pose la question de savoir pourquoi, la Covid 19 s’est-elle propagée dans le monde entier. Alors que le SRAS-Cov (le coronavirus responsable d’un syndrome respiratoire aigu sévère) a été jugulé après une diffusion dans 30 pays de novembre 2002 à juillet 2003, la propagation de ce virus a été fulgurante.

Une géographie inter-corporelle complexe

Les premiers gestes barrières ont été dictés par la connaissance scientifique du virus. On a su que ce dernier restait un certain temps sur les surfaces comme les rampes d’escalier ou les poignées de porte et qu’il restait en suspension dans l’air, par de minuscules gouttelettes, ce qui entraine la possibilité d’être contaminé par l’air respiré. Cette capacité de propagation, de passage rapide de corps en corps (difficile de ne pas partager le même air), détermine une nouvelle géographie aérogéologique. Alors que les spécialistes travaillent sur la pollution atmosphérique, l’air devient un espace politique aux enjeux importants. Les êtres humains, les opérateurs de spatialité, deviennent des menaces d’intermodalité. La géographie des corps devient celle de la mondialisation. Le virus s’étend dans des corps intégrés à ce monde inter-relié puisqu’une cinétique spectaculaire s’est déclenchée. En quelques mois, la pandémie est devenue mondiale.

Il faut donc adopter des gestes barrières avec l’injonction de rester chez soi. Il s’agit de « démobiliser » un monde pourtant sans cesse en mouvement, les transports étant responsables de la diffusion rapide de la maladie. L’Italie du Nord a été la première touchée car l’aéroport de Bergame constitue un hub, point d’entrée des compagnies low cost comme Ryanair venant d’Asie.

Le passage à une sociabilité masquée

Des mesures sont prises par les gouvernements (confinement, distanciation, quarantaine) comme des réponses obligatoires face à un virus pourtant peu mortel alors qu’un vaccin se prépare. On passe à un monde sous surveillance. Il faut revoir nos distances, accepter les masques, repenser nos occupations et nos pratiques de l’espace. Si en Asie, le port du masque est courant, le monde entier l’apprivoise et se couvre le visage. La société masquée est la condition de la sociabilité. Ainsi chacun apprend à décrypter les émotions dans une situation de marquage. Certaines enquêtes montrent que des personnes ont du mal à se démasquer car la période a changé les relations d’attention aux autres.

Cependant il conviendra de sortir un minimum afin de participer à l’immunité de groupe pour diminuer le « stock démographique » auquel s’attaque le virus.

Ainsi on a normé l’interspatialité (la répartition des hommes sur la Terre) d’une façon étonnante. On passe à un monde sous surveillance dans le consentement à l’enfermement résidentiel, une spécificité de la Covid.

 

On est passé d’une société de la protection à une logique de préparation, en produisant un nouveau langage politique. Pour vivre avec le virus, il a fallu déployer une redéfinition de « l’être spatial et collectif », mettre en place une société de soin et de solidarité en acceptant sa vulnérabilité (les pauvres n’ont pas suivi les règles imposées comme les plus riches).

Ainsi cette pandémie a produit une géopolitique particulière. La géographie du virus suit celle de l’urbanisation planétaire. C’est le résultat de l’hyperspatialité du monde contemporain.

Avec la verve que nous lui connaissons, tenant un propos qui aurait été bien compliqué pour des enfants, Michel Lussault conclue que la pandémie s’avère un « fait anthropocène total ».