À propos du rapport de l’inspection générale sur les événements survenus au collège de Conflans-Sainte-Honorine avant l’attentat du 16 octobre 2020.
Meurtre de Samuel PATY un an après…
Le nom de notre collègue Samuel PATY absent de la couverture du rapport de l’IGÉSR
Samuel Paty qui a été gratifié d’un hommage national n’a pas reçu la considération de voir son nom sur la couverture de ce rapport qui a été divulgué le 3 décembre dernier. L’enchaînement de ces « événements »,– on appréciera ce terme qui rappelle la guerre d’Algérie ou mai 68 –, est ainsi décrypté de façon clinique, et se termine par un certain nombre de préconisations.
En tant que professeurs d’Histoire et de Géographie, ce rapport de 28 pages attire notre attention particulière de professionnels et d’acteurs privilégiés de l’enseignement de la liberté d’expression et de la laïcité.
On pourrait commencer par s’interroger sur la conception très particulière du dialogue que cette mission d’inspection a pu avoir avec les acteurs de terrain, puisque au final, on ne trouve que trois professeurs parmi les personnels auditionnés, ce qui nous interpelle tout de même.
Trois professeurs sur 51 ?
Le rapport décrit la situation d’un collège qui n’est pas spécialement caractérisé comme « sensible », et présente l’intérêt de rappeler que la conseillère principale d’éducation est une contractuelle. On restera par contre très discret sur le nombre d’élèves par division, supérieur aux moyennes académiques et qui n’apparaît pas dans le rapport.
« Le mardi 20 octobre, la mission s’est rendue au rectorat de Versailles, où elle s’est entretenue successivement avec :
– le directeur académique adjoint des services de l’éducation nationale (DAASEN) des Yvelines ;
– par téléphone, la conseillère sécurité auprès de la rectrice ;
– le directeur académique des services de l’éducation nationale (DASEN) ;
– le référent académique laïcité, inspecteur d’académie – inspecteur pédagogique régional établissements et vie scolaire.
Le mercredi 21 octobre, la mission est retournée au collège du Bois d’Aulne où elle s’est entretenue successivement avec :
– la conseillère principale d’éducation (CPE) ;
– un groupe de trois professeurs, dont deux élus au conseil d’administration du collège ;
– un groupe de quatre représentantes de parents d’élèves, deux de la FCPE et deux de la PEEP ;
– par téléphone, une accompagnante des élèves en situation de handicap (AESH), présente dans la classe de 4ème 5 dont elle accompagne deux élèves.
Depuis le collège, la mission s’est ensuite à nouveau entretenue par téléphone, successivement avec le directeur de cabinet de la rectrice et avec la rectrice de l’académie de Versailles. Plus tard, en fin d’après-midi, la mission s’est entretenue par visio-conférence avec la coordinatrice régionale Île-de-France de la FCPE.
La mission s’est entretenue, par téléphone avec le maire de Conflans-Sainte-Honorine le mardi 27 octobre.»
Les professeurs doivent « donner des explications »
C’est évidemment l’enchaînement des faits qui pose question car qu’on le veuille ou non, et là-dessus notre position est extrêmement claire, nous considérons que l’accompagnement de notre collègue assassiné s’il n’a pas été véritablement défaillant, nous paraît avoir été insuffisant.
Le rapport pointe d’ailleurs un certain nombre de pratiques, malheureusement, courantes, dans les relations de l’Éducation nationale avec des parents d’élèves aux comportements qualifiés de « compliqués».
L’élève en question est bien celle qui a menti sur sa présence au cours de Samuel Paty, et il est bien expliqué en toutes lettres que la principale demande au professeur de « donner une explication » auprès d’un parent d’élève en lui téléphonant.
Pour ce qui nous concerne, indépendamment de l’affirmation invérifiable que notre collègue « ait présenté des excuses » à la mère d’élève, le principe même de demander à un professeur de s’expliquer de ses choix pédagogiques auprès d’un parent d’élève est inacceptable.
Cela est très clairement ressenti par ces personnes aux comportements « compliqués » comme une victoire contre l’institution, et comme un recul du professeur.
C’est malheureusement pratique courante, et pour l’auteur de ces lignes, il ne peut que formellement déconseiller à ses collègues d’accepter ce type de « négociations ».
Car on pourra affirmer ensuite tout ce que l’on peut imaginer sur la liberté pédagogique, il n’en demeure pas moins que les parents d’élèves qui ont un compte à régler avec l’institution se trouvent ainsi en position de force.
La principale voit Samuel Paty dans son bureau à la récréation. Il lui explique le déroulé du cours. « La principale lui demande d’appeler la mère de l’élève de 4ème5 et de fixer un rendez-vous avec elle en fin de semaine pour en parler».
Samuel Paty appelle la mère de l’élève de 4ème5 dans la journée. Selon ce que la mère a rapporté à la principale, il lui a présenté des excuses, qu’elle a acceptées. Elle indique par ailleurs que plusieurs mères d’élèves ont évoqué le cours à la sortie de l’école primaire.
L’enchaînement qui est décrit à partir de la cinquième page du rapport montre bien le rôle particulièrement manipulateur de la mère de l’élève, de son père ensuite, à propos d’un cours dont ils n’ont entendu parler que par des échos rapportés par leur propre fille, pourtant absente ce jours là.
Ces parents d’élèves s’obstinent à associer la sanction de deux jours d’exclusion de leur fille ( pour d’autres motifs, absences, observations, etc.) au cours de Samuel Paty.
L’ambiguïté des parents d’élèves
On s’interrogera également sur « l’investigation » conduite par la représentante FCPE du collège mentionnée dans la page huit du rapport.
La représentante FCPE au collège a donc appelé la principale pour connaître la situation et entendre la « version » de la principale sur les événements. Alertée toutefois par la possibilité que des élèves aient été invités à se signaler en raison de leur confession musulmane, elle prend contact avec des parents des classes concernées pour connaître la version de leur enfant.
Enfin, sur la page 10, on se préoccupe de la situation de l’équipe pédagogique en histoire-géographie, avant d’aborder page 13 la réaction de deux collègues, l’une professeur de français et l’autre professeur d’histoire-géographie, qui affichent clairement dans un message adressé à l’ensemble des personnels, leur absence de soutien à Samuel Paty.
Du côté des trois autres professeurs d’histoire-géo du collège, émerge l’idée, le 9 octobre, d’adresser une lettre à l’inspectrice d’histoire-géographie pour indiquer qu’ils n’ont pas la même démarche que Samuel Paty.
Dans ce contexte, on ne peut qu’être accablé par une situation de ce type. Même si la démarche a finalement été abandonnée, comment des professeurs d’histoire et de géographie ont-ils pu même l’envisager ?
Quelle solidarité des professeurs ?
On retrouve d’ailleurs page sept du rapport une étrange mention de l’entretien informel avec une professeure d’histoire-géographie de l’établissement : « Ainsi, une professeure d’histoire-géographie avec laquelle la principale échange de façon informelle ce jeudi n’est visiblement pas au courant. Il est donc convenu avec elle d’un rendez-vous entre la principale et l’équipe d’histoire géographie pour échanger sur la situation. À l’issue de cet entretien, la professeure appelle le collègue à qui Samuel Paty avait parlé de son cours dès le lundi et lui fait part de ses inquiétudes sur le fait qu’il aurait été dit que tous les professeurs d’histoire géographie dispensaient le même cours avec les mêmes supports.»
Les pressions exercées par des parents d’élèves sur notre collègue ne semblent pas préoccuper ce professeur, qui s’inquiète surtout de savoir si « il aurait été dit que tous les professeurs d’histoire-géographie dispensaient le même cours avec les mêmes supports».
Il faudrait être beaucoup plus long pour décrypter le langage de l’éducation nationale, et le constat qui a pu être fait dans ce rapport d’une forme de défaillance à l’égard de la surveillance nécessaire des réseaux sociaux. Le reste de ce texte explique tout simplement que l’institution a fonctionné normalement et que toutes les mesures ont été prises par les différents responsables de l’Éducation nationale.
On notera toutefois qu’il est très peu question des inspecteurs pédagogiques régionaux d’histoire-géographie de l’académie de Versailles, le site académique histoire-géographie de Versailles comporte un point de vue de l’équipe d’inspecteurs qui date du 7 septembre 2020 puisqu’un inspecteur vie scolaire s’est rendu dans l’établissement ainsi que le référent laïcité, sans autre précision. Le rapport précise d’ailleurs dans la synthèse le détail de la fonction d’inspecteur pédagogique régional, inspecteur d’académie–vie scolaire.
A propos des constats du rapport, on remarquera que le « représentant des imams de France » qui a accompagné le père d’élève dans ses démarches, et qui s’est livré à l’interview, devant le collège, de l’élève qui prétendait être présente lors de ce cours, aurait pu être l’objet d’une attention particulière. On justifie ensuite que « des parents d’élèves puissent être accompagnés dans leur démarches ». Tout le problème est de savoir par qui ?
Le rapport se termine par une série de recommandations concernant le renforcement du rôle de la vie scolaire, celui de la formation, et on notera que cela concerne aussi « les contractuels », ainsi que la nécessité, en préconisation trois, « d’étendre l’habilitation confidentiel défense » à certains responsables à l’échelon départemental, avec des cellules de veille des réseaux sociaux.
Le but de cet article n’est évidemment pas d’accabler qui que ce soit, mais de pointer un certain nombre d’absences dans les commentaires développés dans la presse nationale à propos de ce rapport. Cela s’explique malheureusement par une forme de méconnaissance de ce que je qualifierai des « mécanismes du non-dit » au sein de l’éducation nationale.
« Non dit » à propos de la tendance qui demande à un professeur d’être dans la justification permanente.
« Non-dit » à propos des ravages que l’absence de solidarité peut entraîner. On notera que seulement 25 professeurs sur 51 ont participé à la réunion plénière du 12 octobre. (Page 14).
« Non-dit », à propos de l’ambiguïté de la fonction de représentant des parents d’élèves, surtout lorsque l’on apprend que la représentante locale « a conseillé au père, s’il considérait qu’il y avait harcèlement, de déposer plainte ».
Professeurs d’histoire-géographie, présents sur le terrain au quotidien, les Clionautes livrent au débat ces quelques réflexions, en étant prêts à répondre « sans considération de langue de bois » à toutes les questions que cette dramatique affaire ont pu révéler.
La présentation du rapport publié après cet article par Madame la rectrice de l’Académie de Versailles
« Message de Charline Avenel, rectrice de l’académie de Versailles, à tous les personnels, suite à la publication du rapport d’inspection sur les événements survenus au collège du Bois d’Aulne (Conflans-Sainte-Honorine). »
Vidéo mise en ligne il y a 9 heures 5.9K vues donc à 8 h 30 heures du matin ce 7 décembre.
L’ Edito sur le rapport de l’inspection générale sur l’assassinat de Samuel Paty dans la presse nationale
- L’Express : Le rapport de l’inspection générale comporte bien trop de non-dits !
- Le Monde : Attentat de Conflans : « Les institutions n’ont pas su protéger Samuel Paty », dénonce l’avocate de sa famille
- Le Figaro : Samuel Paty: la FCPE s’indigne après un tweet indiquant qu’elle aurait «conseillé» de porter plainte contre l’enseignant
- L’Express : Rapport sur la mort de Samuel Paty : l’Education nationale a-t-elle tiré les leçons ?
Bonjour,
je suis tout à fait d’accord lorsque vous écrivez : « L’enchaînement qui est décrit à partir de la cinquième page du rapport montre bien le rôle particulièrement manipulateur de la mère de l’élève, de son père ensuite, à l’égard de ce cours dont Ils n’ont entendu parler que par des échos rapportés par leur propre fille, pourtant absente ce jours là ». ou que vous dîtes dans L’Express : « Si nous en sommes arrivés là, c’est en partie à cause de la façon dont l’école de la République n’a cessé de reculer face aux exigences des parents d’élèves en général. Nombreux sont ceux qui se comportent comme des « consommateurs mécontents » ».
Toutefois je pense que si l’école de la République a reculé c’est parce qu’elle a instrumentalisé les élèves et leurs parents pour, en prenant un vocabulaire guerrier tout à fait approprié, « neutraliser » des enseignants. Voir par exemple ce qu’il m’est arrivé : https://chazerans.fr/2020/11/liberte-dexpression-vous-avez-dit-liberte-dexpression/
PS: je souhaiterais lire le rapport de l’IG, où puis-je le trouver ?
La publication de ce commentaire ne vaut pas approbation du fond. Il correspond simplement un point de vue qui s’exprime aussi sur cette affaire.
Merci de cet article qui met des mots sur le malaise ressenti à la lecture de ce rapport. Surtout ce qui est très inquiétant c’est : la peur à tous les étages donnant du pouvoir à des parents malveillants (que ce soit dans cette situation ou d’autres que vivent quotidiennement les collègues), le fait qu’il y ait une véritable méconnaissance, non cet accompagnant n’était pas un simple représentant des imams, et le fait de le recevoir sans en connaître l’histoire n’est pas acceptable. Il faut aussi connaître son bassin, sa population et les personnes à éviter. Jamais au grand jamais, je ne recevrais un parent avec une personne que je ne connais pas sans m’être renseignée, surtout dans un contexte comme celui-là.
Merci pour cet article !
Certains points ne m’étonnent pas et peuvent s’entendre à mon sens (le fait que le professeur s’explique auprès des parents, et le manque de solidarité entre professeurs). Je le dis par rapport au fait que le support choisi pour les élèves était cru, sexuellement explicite (le sexe exposé, la goutte de sperme, etc) .
En tant que parent, j’aurais moi-même tiqué. Et en tant qu’enseignant, j’aurais fait le choix d’un autre support, on en trouve pas mal chez Charlie sur le même thème, mais plus décents et adaptés à l’âge des enfants.
En cela, le caractère obscène du support est un non-dit à la fois dans le rapport académique et votre billet. Pourtant, il est loin d’être un point de détail dans cette affaire…
Pour le reste, je pense que la principale a fait au mieux mais que comme vous le soulignez, d’autres non-dits sont effectivement à déplorer.
Quels que soient ces non-dits, quelle que soit la pertinence du choix de l’enseignant, y compris si le choix du support était une erreur (l’erreur est humaine, et Samuel Paty semblait de bonne foi, animé par des convictions louables), cet événement est d’une horreur indicible, il ne méritait ni sanction ni le calvaire qu’il a vécu. Pour un dessin.
Quelle tristesse. Qu’il repose en paix.
Merci pour ce billet informatif… ?