La France dans la mondialisation

http://www.armand-colin.com/france-cartes-des-images-economiques-du-monde

https://clio-cr.clionautes.org/atlas-de-la-mondialisation-une-seule-terre-des-mondes.html

Laurent Carroué est IGN. Il est notamment l’un des principaux géographes français spécialistes des questions de mondialisation et de globalisation.

Plan  :

  1. La France, une puissance moyenne de rang mondial

  2. Les différents ancrages au monde du territoire : les effets de la mondialisation sur les territoires et la société française

  3. Adaptation de crises et de fractures : comment les processus de mondialisation interviennent sur les logiques territoriales

1) La France, une puissance moyenne de rang mondial

Quelques critères de base : Un statut international, une puissance politique et diplomatique qu’on définit comme une puissance moyenne même si cela ne signifie plus beaucoup de choses. Le concept de grande puissance est obsolète car très lié à la Guerre Froide. Il vaut mieux développer le concept de puissance mondiale,continentale ou régionale.

-Les puissances mondiales : influence politique, économique et diplomatique réelle. Il s’agit des États-Unis, la Chine, la Russie, la France et le Royaume Uni, peut-être l’Allemagne.

-Les puissances d’échelle continentale : le développement de la puissance s’arrime et fonctionne à un niveau continental ou sous-continental. On parle du Brésil, de l’Afrique du Sud, de l’Inde. Certaines sont en difficulté actuellement comme le Brésil.

-les puissances régionales (plus nombreuses) au Proche-Orient et Moyen-Orient : Turquie, Iran, Arabie..Ce sont des puissances autonomes. Elles sont en conflit géopolitique. Des conflits d’intérêt apparaissent entre la Turquie, l’Iran et l’Arabie Saoudite. La Turquie est dans l’Otan et l’Arabie est soutenue par les États-Unis.

Des puissances régionales comme le Nigeria émergent.

Cela entraîne un panorama mondial de plus en plus complexe.

Dans ce contexte où la France est une puissance moyenne, est-ce que l’Arabie ou la Turquie ne seraient pas des puissances moyennes ?

Question du public : Et Israël, quelle puissance ?

Réponse : Israël est un tout petit pays en terme de surface et de population et si ce pays n’était pas soutenu financièrement et militairement par les E.U., il aurait disparu. C’est un État autonome mais dont la puissance est fragile et liée aux décisions de Washington.

Reprise : On constate beaucoup de problèmes de vocabulaire pour fixer le système des puissances.

La France a cependant une réelle influence dans le monde.

Quels sont les facteurs de puissance ? Militaire, économie, finance, culture, soft power, zone économique maritime etc. Ce qui est re-nouveau est le rôle du facteur industriel et militaire :

33 000 militaires. La France a fait de ses militaires un facteur de ses éléments de souveraineté. Elle a fait un compromis avec l’Allemagne qui fait la part belle au niveau économique et industriel à l’Allemagne. La France s’est sur-spécialisée sur son appareil militaire. Des contradictions : l’armée française aujourd’hui est à bout de souffle, financièrement, au niveau du personnel et des équipements. Les échelles d’intervention sont telles que l’éparpillement pose des problèmes stratégiques mais aussi géopolitiques : Djibouti, Guyane, Mali, Sahel…La France ne peut plus faire face à ses engagements. La tentative de déléguer le problème à l’Allemagne par exemple est un échec. Impasse ?

La course à l’armement reprend mais les concurrences sont des plus importantes au niveau des matériels militaires. La France va devoir renouveler et moderniser son matériel : le Rafale est obsolète. Le prochain avion de combat sera sans doute franco-germanique avec tous les transferts technologiques et techniques que cela suppose.

Sur la construction européenne : le système est paradoxal. La France se présente comme un pilier dans la construction européenne.

Comment s’est construite l’Europe ? 1958 : en pleine Guerre Froide et en pleine décolonisation.

1960 : indépendance des pays africains

1962 : fin de la guerre d’Algérie

La création de la CEE ? C’est un retour à l’Europe. Les puissances britannique (Affaire de Suez), française sont « virées » de leur empire colonial. C’est la fin de l’aventure impériale. Donc retour à l’Europe. Pour compenser cette perte, les puissances vont construire un projet européen pour restruturer les équilibres internes et pour retrouver des logiques de puissance en s’unissant sur des projets collectifs et se réaffirmer sur l’échelle internationale. Donc contrairement à ce qui est présenté traditionnellement, la construction européenne est défensive. Comment passer d’un statut international colonial à un nouveau statut ? Par la mise en commun, revenir sur la scène mondiale sur des bases nouvelles. La France s’unit mais se lie les mains. Cela passe par des compromis économiques et financiers notamment avec l’Allemagne. Elle va récupérer une grande partie de la base industrielle. Donc la construction européenne est un système paradoxal qui débouche sur un système supra national.

La France a un consensus politique fort sur la base nationale. On n’observe pas d’éclatement en France comme en Belgique en Espagne ou en Italie. On ne note pas de difficulté comme pour la réunification entre les anciens et les nouveaux landers. L’État-nation français est un des plus solides malgré des fragilités et des éléments d’interrogation internes.

Depuis les Années 80 : la France retrouve des fragilités structurelles qui interpellent ses modalités d’internationalisation.

Internationalisation du capital, des firmes : 3 éléments

données de la CNUSED

carte : le stock de capital français à l’étranger en milliard de dollars. Affaiblissement jusque dans les années 70 puis changement avec forte internationalisation dans les années 1990-2000, crise de 2001 : 1ère phase de démondialisation puis phase nouvelle d’internationalisation des firmes françaises. Crise 2008-2012 puis croissance rapide. Effort économique : on passe d’un tiers du PIB (richesse nationale) à la moitié du PIB.

Les capitaux mobilisés pour cette internationalisation sont de plus en plus importants.

Où vont les firmes françaises ?

  • en Europe
  • aux EU / Canada
  • Chine, Inde, Russie, Brésil : les nouveaux pays émergents

Les Sud jouent un rôle marginal dans les placements financiers.

Concentration économique. Émergence de groupes financiers (banques), industriels (PSA…) commerce et négoce (Carrefour, Leclerc).

Cette internationalisation s’est construite sur la maîtrise du territoire national. Avant d’aller à l’étranger, une firme doit contrôle son marché national, puis continental et enfin mondial sinon elle ne tient pas la route face à la concurrence.

Ce sont donc des rapports de domination très brutaux. La mondialisation des firmes françaises s’est traduit par le sacrifice du tissu productif formé de PME françaises, d’artisans ou de petits commerçants. Au niveau des emplois on parle de transferts plutot que de créations réelles et appauvrissent du tissu productif local et régional.

Leclerc a une centrale d’achat internationale basée à Bruxelles. La moitié ou les ¾ des produits sont commandés par la centrale de Bruxelles qui place en concurrence mondiale les grands fournisseurs internationaux. Cela n’est pas vrai, évidemment, pour les produits frais…L’internationalisation des achats est essentielle dans l’internationalisation des firmes.

En géo économique, souvent pour expliquer la délocalisation productive, on évoque Peugeot-Citroën qui a ouvert ses usines en Roumanie, en Turquie ou au Maroc. Mais c’est l’arbre qui cache la forêt.

Cela explique l’essor de la logistique. On a besoin d’entrepôts pour transporter ou importer.

Plus les groupes se sont internationalisés plus il ont affaiblis la base sociale territoriale française. Cela n’a pas été le cas en Allemagne ou au Japon : au contraire, ils ont eu un renforcement et une montée en qualification des territoires.

Le modèle français se paie cher : disparition du commerce en centre-ville dans les villes moyennes. Pour que Leclerc puisse acheter le numéro 1 du commerce au Brésil il faut qu’il ait accumulé assez de capitaux sur le territoire français.

Le problème est l’articulation entre les groupes internationaux et la base nationale sur laquelle ils se construisent.

C’est un modèle des années 20 où l’intervention de l’État se met en place : toutes les réussites technologiques et scientifiques françaises sont liées à l’intervention publique. Filière nucléaire, aéronautique…Airbus.

Pourquoi la France est-elle puissante en recherche et développement ? Parce que l’État paie les investissements. C’est le crédit impôt recherche. Ce développement est donc très lié à l’investissement de l’État.

Mais le territoire de la France est aussi très perméable aux investissements étrangers.

(Carte en teléchargement gratuit : Images Économiques du Monde) La France est un pays attractif : 1,8 millions d’emplois liés aux investissements étrangers. Le stock du capital étranger représente 34% du PIB ce qui est considérable. Ces firmes sont d’abord européennes, américaines et on remarque la montée de la Chine.

La question qui se pose c’est la protection de la base nationale (c’est sur cette idée que Trump a été élu). L’Etat met en place un nouvel arsenal pour contrôler les secteurs stratégiques, processus présent dans tous les pays développés. C’est la fin de la mondialisation sauvage.

Rétractation géographique de grandes firmes mondiales. Les États élaborent des cadres juridiques : mise en place de véto depuis 5 à 10 ans. Actuellement la France est en difficulté : Arcelor (puissance de la sidérurgie européenne) rachetée par Mittal, le groupe indien. Pechiney (aluminium) Lafarge rachetés également……Mais P.S.A. sauvé par la Chine avec l’aide de l’État. Les chinois se sont servis au niveau technologique en échange.

Le sauvetage de grands groupes a fait appel aux capitaux chinois.

Les capitaux américains sont aussi à la manœuvre.

Seul succès de coopération : Airbus. Mais cela n’a rien à voir avec l’U.E. Airbus est aidé par des logiques intergouvernementales. Ce sont des logiques nationales d’État à État qui sont intervenues.

Comment se traduit cette présence étrangère sur le territoire ? Espace francilien, Nord, Est, Rhône-Alpes et espaces transfrontaliers.

Les investissements étrangers ne font que renforcer les inégalités territoriales déjà existantes. C’est ainsi partout dans le monde.

Mettre en débat :

  • internationalisation des firmes et intérêt national
  • jusqu’où une firme peut-elle aller sans scier la branche sur laquelle elle est assise ?
  • jusqu’où le sacrifice  social ?

Ce sont des questions très politiques.

La France des inégalités, à qui profite la mondialisation ?

On est dans des processus d’explosion historique. On retrouve des niveaux d’inégalités de la fin du XIXe siècle.

1% des français les plus riches détiennent 16% du patrimoine national.

10% de français détiennent la moitié de la richesse nationale

Ce sont des niveaux d’inégalités d’Ancien régime, pré-révolutionnaire.

Le bouillonnement social n’est pas étonnant. On est sur des structures sociales, économiques et territoriales pré révolutionnaires. Une chance pour le système, avec l’effondrement de l’URSS, le système communiste est invalidé. Cela semble la fin des grandes idéologies mais il reste l’idéologie salafiste à laquelle une partie de la jeunesse du monde n’est pas insensible. Enjeux de politique de civilisation qui sont importants.

50 % de la population possède 92 % de la richesse nationale, donc l’autre moitié ne détient que 8 %.

structures d’exclusion et de marginalisation phénoménaux…

Pourquoi n’y a-t-il pas d’explosion sociale ? Parce-que l’État et la République maintiennent des transferts financiers de solidarité : la redistribution publique. Cela coûte très cher.

2% des foyers paient 40% de l’impôt → fonction redistributive

10% des foyers les plus aisés paient 70 % de l’impôt sur le revenu.

On comprend que les très riches veuillent échapper à l’impôt : fuite fiscale

9 millions de pauvres = le coût du RSA a augmenté d’1/3 depuis 2008.

Qui paie ?Ceux qui paient sont de moins en moins nombreux et paient de plus en plus.

  • les revenus d’activité (lié au travail)
  • les revenus du transfert (les retraites, le système de santé, la sécurité sociale, le tourisme)

On distingue les territoires qui produisent de la richesse et ceux qui vivent des revenus de transfert.

2) Les différents ancrages au(x) monde(s)

La France est organisée sur un espace mosaïque et fait système.

Géographie de l’industrie aérospatiale ; exemple du territoire de Toulouse et le grand sud ouest. Airbus concurrence directement Boeing.

L’histoire explique : dans les années 20, les scientifiques, les compétences technologiques et industrielles ont été transférés du Nord Est au Sud. Le Nord Est paie alors son statut frontalier peu rassurant à ce moment.

La Chine rattrape, se dote d’un programme de recherche spatial, rattrape le niveau d’Airbus et les coûts salariaux sont très faibles. Qu’est ce qu’il en sera dans 20 ans ?

Question de l’automobile : Bourgogne Franche-Comté, 50 000 emplois. Comment articuler les territoires productifs de PSA en Bourgogne Franche -Comté et les implantations P.S.A. mondiales ? Le rachat d’Opel.

Renault a délocalisé en Roumanie, Turquie. Et la suite ?