Cet atelier pédagogique s’est déroulé le jeudi 14 octobre 2010 lors des Rendez-vous de l’histoire de Blois.

Cet atelier propose une mise au point scientifique sur un thème d’enseignement, avec un ancrage dans les nouveaux programmes par une focalisation sur les acteurs. Il permet aussi de remettre en question des idées préconçues sur la Révolution française, que peuvent porter un large public, à commencer par nos élèves.
Hervé Leuwers est professeur d’histoire moderne à l’université de Lille III.

1. La justice ordinaire

La question de la justice pendant la Révolution est multiple. On parle de l’abolition de peine de mort dès 1789. A la fin de la Révolution, les mutations sont importantes, avec des aspects à la fois idéalistes et pragmatiques.

Une réforme essentielle apparaît en 1789-90 : construire la justice sur des bases nouvelles et différentes de celle de l’ancien régime, substituant la justice de la nation à celle du roi. La légitimité glisse d’un acteur à l’autre. Il faut enlever au roi sa fontaine de justice, ses droits et prérogatives. Il pouvait jusqu’alors gracier ou amnistier, retirer ou juger une affaire, enfermer par lettres de cachet. Avec la la justice de la nation, le roi est privé de tous ses droits de justice, y compris la grâce (qui revient lors du Consulat), les lettres de cachet, l’interruption des procédures.
La nation doit légitimer la justice, de différentes manières, comme par l’élection des juges, sauf ceux du parquet nommés par le roi et inamovibles. Pas de campagne électoral ni de programme, les compétences sont privilégiées, le vote ayant lieu en assemblées. Un système de double-jury est mis en place (plus complexe qu’aujourd’hui) d’accusation et de jugement qui dure jusqu’à l’Empire. Cette justice a donc une logique nouvelle et une légitimité différente. Comment fonctionne-t-elle ? Au civil, la justice est « idéaliste ». Pour les constituants, l’homme est bon ! On encourage les procédures d’arbitrage et de conciliation, des filtres entre les citoyens et la justice civile des tribunaux de district : arbitrage (querelles familiales, …) conciliation (imposée avant l’accès au tribunal de district – pour éviter les procès). L’idée est de réduire le nombre des procès. On développe un système unifié de la justice sur l’ensemble du territoire qui simplifie le fonctionnement face à la complexité du système d’ancien régime.
Pour le pénal, la logique est différente, avec code pénal de 1791. C’est un système où il faut réprimer ceux qui enfreignent les lois. Mais des différences notables apparaissent. Les crimes sont redéfinis, certains sont désormais considérés comme imaginaires (à dimension religieuse, que les hommes ne peuvent juger : blasphème, sacrilège, magie, sodomie). Les crimes sont hiérarchisés. Le système d’ancien régime était trop vague, trop flou. Le voleur de grand chemin risquait la mort qu’il vole ou qu’il tue ceux ses victimes. On manquait de définition claire de la peine. Le pouvoir arbitraire du juge lui permettait de moduler la peine, y compris jusqu’à la mort. Cette grande liberté accordée au juge n’est plus acceptée. Le rôle du juge change. Il devient l’organe de la loi. Il est lié par les textes de la loi qui définissent les crimes et leurs peines. Au début de la Révolution, quand les textes n’existent pas, quand il n’y a pas de jurisprudence (qui ne doit pas exister), le juge doit faire un référé législatif demandant l’avis des députés. Il porte au cou une médaille où est inscrite « la loi ».
Avec le début de le Révolution, plus rien n’est comme avant : disparition des supplices, de la torture, débats sur la peine de mort (mais qui reste minoritaire chez les députés), la mort sera donné par un système simple qui ne fait pas souffrir. Robespierre est alors hostile à la peine de mort et en demande l’abolition. L’accès des défenseurs (avocats) aux grands criminels est aussi une nouveauté.

Au final, un aspect et une période de la révolution qui ont de forts héritages dans le système judiciaire, même s’ils sont moins connus que le période de la Terreur, où les choses changent !

2. La justice d’exception : la Terreur

Période qui pose de nombreux problèmes. La notion est polysémique chez les historiens :
* La Terreur, c’est la violence. Or, la violence est intrinsèque dès 1789. Au bout de la révolution, la violence est encore présente. Cette vision est abandonnée par les historiens car c’est une position polémique qui n’aide pas à comprendre une période diverse.
* La Terreur, c’est un moment de la Révolution, 1793-94. Le regard est différent. On défend une révolution fraternelle et fratricide ! Des avancées ne rentreront dans le droit que bien plus tard, sur l’éducation notamment.
* La Terreur, comme moyen, plus proche des contemporains, cherchant à comprendre comment les hommes ont pu vivre et concevoir cette période. Comment ont-ils fait pour créer des mesures si dissemblables ? De grands débats d’historiens qui ne sont pas clos. On évoque les menaces qui pèsent sur la République, on mesure les résistances à la Révolution (complot partout ?) qui font accepter des moyens exceptionnels. Annie Jourdan évoque aussi une tradition des conflits violents. Un historien américain évoque pour sa part la culture de la calomnie.
La chronologie de la Terreur fait aussi débat. Elle débute soit vers mars-avril 1793 avec le comité de salut public, les comités de surveillance, les débuts des tribunaux d’exception. Ou en septembre, avec la loi des suspects, le maximum. La Terreur de même ne prend pas plus fin avec la mort de Robespierre. Donc le débat porte même sur la périodisation de la Terreur. Il faut insister donc sur la polysémie des mots.

Les rouages de la Terreur
Ce n’est pas un système, pensé et conçu, cohérent, voulu. Les acteurs sont multiples : députés à Paris, députés en province (représentants en mission parfois amateurs de justice expéditive ou parfois l’inverse, cherchant à monter des armées), comités de surveillance dans les communes surveillant les opinions, les déplacements, pour débusquer les ennemis intérieurs de la Révolution, les armées révolutionnaires, composées de civils et de militants, dans 66 départements, visitant les paysans, gérant l’approvisionnement en grains. Cette multitude d’acteurs, aux responsabilités et aux intentions différentes fait que la Terreur n’est pas la même partout. A Nantes, Lyon et Paris, la Terreur est très forte. La chronologie et l’intensité de la Terreur sont différentes selon les régions. La Terreur est forte dans les régions résistantes à la Révolution, et surtout en Vendée.
Deux mois après la chute de Robespierre le représentant Lacoste punit les Valenciennois qui ont aidé les Autrichiens ! La Grande Terreur correspond à une centralisation des exécutions dans la capitale. Le procès de Carrier, représentant en mission à Nantes, marque la fin de la Terreur, quelques mois après la mort de Robespierre (automne 1794). Carrier est condamné pour des abus qui n’auraient pas dû avoir lieu. On réemploie le terme de terreur en 1795 (terreur blanche) et en 1797 (terreur fructidorienne, durcissement des républicains contre les réfractaires et les royalistes). Donc les contemporains utilisent de nouveau le terme de terreur pour d’autres périodes que celle de 1793-94.

3. Les hommes de justice

Cette période est aussi un révolution sociale qu’illustre le tableau représentant le juge Lecoq, (Dominique Doncre, 1791, musée de Vizille), un juge d’Arras, dans une scène familiale. Il porte le costume de juge, le vêtement noir, la médaille la loi, les couleurs de la monarchie. Derrière, un petit génie de la liberté ferme un rideau, cachant un vêtement de magistrat rouge (le conseil d’Artois était un conseil provincial proche du rôle d’un parlement). L’homme fut titulaire de cette charge, remboursé pendant la révolution, puis réélu). Malgré la perte de prestige (il n’est plus noble), le juge affiche sa nouvelle condition, et reste un juriste avant tout.

Les juges élus en 1790 ne sont pas tous juges avant la Révolution. Certains poursuivent comme le juge Lecocq, d’autres sont nouveaux. La plupart sont formés pendant l’ancien régime. Les premières années sont plutôt paisibles, pendant deux-trois ans. Le personnel judiciaire diminue, il y a beaucoup moins de juges et de personnels judiciaires pendant la Révolution. Les professions sont de plus transformées, notamment les auxiliaires de justice. Le procureur, officier propriétaire de sa charge, est un praticien qui connaît bien les procédures, l’avocat connaît les lois et a une formation universitaire. Ce sont des professionnels. Avec la révolution, on remet en cause ses professions. Les corporations disparaissent. En septembre 1790, les ordres d’avocats n’existent plus, les hommes perdant leur nom d’avocat et leurs robes. Avec l’idée de la justice de la nation, la défense est devenue libre (de nouveau l’idéalisme) ! Il faut aider son voisin ou son ami. Toute personne peut donc s’improviser défenseur. Au pénal, les défenseurs officieux sont ceux qui ont exercé cet état à un moment donné. Des listes circulent. Très vite, cet état temporaire non encadré est dénoncé pour des abus. Les procureurs se sont organisés, ont créé des pétitions à destination des parlementaires, pour se montrer comme des intermédiaires indispensables. En janvier 1791, les avoués remplacent les procureurs (mais ce sont les mêmes hommes), jusqu’en 1793, puis les avoués sont rétablis au début du XIXe siècle. On rêve d’une « déprofessionnalisation » de la justice.

Une société judiciaire régénérée
La société judiciaire est recomposée à l’époque de la Révolution, se professionnalisant malgré tout, car les défenseurs officieux ont travaillé, ne sont pas que des porteurs de charge. De plus, l’Etat légifère sur les professions pour toute la France, de manière uniforme. A l’époque du Consulat, on retrouve avocats, avoués, qui ont traversé la Révolution, mais ils mesurent le changement parcouru. Auparavant, les magistrats et avocats se comparait aux références antiques (orateurs et sénateurs romains). Cette référence disparaît au début du XIXe siècle. Sous la Restauration, une mythologie se construit autour d’une Révolution faite par les juristes inspirée par les Lumières.

Quels sont les héritages de cette période ?

Un mélange des idées et réformes de la Constituante redéfinies sous le Consulat et l’Empire, qui trient les héritages et les modifient :
* une justice légitimée par le peuple avec les jurys, dont quelques-uns sont conservés
* la définition laïque du crime
* le lien entre le crime et la peine, le travail sur les définitions, même si des peines d’ancien régime réapparaissent.
* au niveau des procédures, une ouverture des affaires aux parties, en civil comme en pénal.
Cette transaction est due au régime autoritaire de Napoléon.