Comment définir le concept d’Indo-Pacifique ?
– En quoi l’Indo-Pacifique constitue-t-il un espace de confrontation entre Washington et Pékin ?– Quels sont aujourd’hui les nouveaux positionnement et les nouvelles alliances qui se dessinent dans la région ?

Intervenants:

Barthélémy Courmont est maître de conférences à l’Université catholique de Lille et directeur de recherche à l’IRIS, où il est en charge du programme Asie-Pacifique. Rédacteur en chef de la collection Asia Focus, il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages sur les questions asiatiques, les enjeux sécuritaires contemporains et la politique étrangère américaine.

Pierre Grosser est enseignant à Sciences Po, membre de son centre d’Histoire. Il a été directeur des études de l’Institut diplomatique du ministère des Affaires étrangères de 2001 à 2009. Parmi ses derniers ouvrages, on peut citer 1989, l’année où le monde a basculé (Perrin, 2009 – Prix des ambassadeurs, nouvelle édition Tempus, 2019), L’histoire du monde sefait en Asie.

Claude Leblanc a été rédacteur en chef de Courrier international et de Jeune Afrique. Passionné par l’Asie qu’il couvre pour L’Opinion, il a publié de nombreux ouvrages dont Le Japon vu par Yamada Yôji (Ilyfunet Eds 2021), Chine, le grand paradoxe (avec Jean-Pierre Raffarin, Michel Lafon, 2019), ou encore Le Japon vu du train (2e édition, Ilyfunet, 2014). Il prépare un ouvrage consacré à la nouvelle géopolitique du rail.

Valérie Niquet est responsable du pôle Asie à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), maître de recherche associée au Japan Institute for International Studies et chargée de cours à l’Université Keio de Tokyo. Elle est autrice de nombreux articles et ouvrages consacrés aux relations internationales et aux questions stratégiques en Asie parmi lesquels La Chine en 100 questions (Tallandier, 2021) et Taiwan face à la Chine (Tallandier, 2022).

Marianne Péron-Doise est chercheuse associée et directrice de l’Observatoire géopolitique de l’IndoPacifique de l’IRIS. Ses travaux portent sur les questions géopolitiques en Indo-Pacifique.

La table ronde donne lieu à un question autour du concept d’Indo-Pacifique, qui s’impose comme un élément fort de la stratégie de différents pays: Japon, Australie, Inde, États-Unis,  France.

Quelle réalité du concept ?

L’aspect purement géographique est d’abord souligné par Marianne Péron-Doise. Pour elle, l’Indo-Pacifique  comprend une région assez vaste faisant l’union entre l’Océan Indien et l’Océan Pacifique, avec la présence stratégique de trois acteurs, qui sont la Chine, les Etats-Unis et l’Inde.  Ce pays est inclus récemment afin de « pacifier » la région en réponse à la montée en puissance de la Chine.

Valerie Niquet, introduit quant à elle une dimension idéologique avec une forte volonté d’élargissement pour garantir un espace de sécurité.

Pour la dimension historique, Pierre Grosser précise l’idée d’une existence longue dans la mesure où les contacts économiques, religieux et humains existent bien avant l’arrivée des Européens dans cette région. Le terme est d’abord utilisé sous la forme « d’Asie-Pacifique » dans les années 1960’s par les Britanniques.

Claude Leblanc note  le rôle pionnier du Japon dans la construction du concept d’Indo-Pacifique et suite à l’effondrement du communisme dans les années 1990.

Quelle organisation géopolitique ?

Barthélémy Coumont interrogea ensuite le caractère bipolaire de la zone ; en d’autres termes, un lieu d’affrontement en Indo-Pacifique où se retrouvent la Chine et les Etats-Unis.

Selon Valérie Niquet, la rivalité Chine/Etats-Unis est créatrice de tensions dans la zone. Le rééquilibrage chinois est important. Pour la chercheuse, il existe un risque de « piège de Thucydide » , concept de relations internationales qui désigne une situation où une puissance dominante entre en guerre avec une puissance émergente.

Marianne Péron Doise rappelle ensuite qu’il y a une possibilité de coopération entre ces pays et prit l’exemple du tsunami de 2001 mais qu’il existe quand même un certain nombre de menaces ; la Chine qui met en œuvre une expansion militaire entraînant le développement d’un discours multilatéral.

Selon Claude Leblanc, la question même de l’affrontement est une construction idéologique, en d’autres termes, on a besoin d’un ennemi dans le but d’avancer.

Une « Pax asiatica »

Pierre Grosser rappelle que depuis 1979, il n’y a plus de guerres dans le Pacifique et on assiste donc à une « pax asiatica ».

Les Etats-Unis sont persuadés que c’est grâce à eux que la paix peut durer. Cette croyance est due à l’établissement d’un ordre fondé sur des règles et de la démocratisation et le fait que les démocraties ne se font pas la guerre.

Selon les responsables politiques Chinois, la présence américaine relève de l’impérialisme. La paix dans l’Indo-Pacifique ne reviendra que lorsque les Occidentaux repartiront de la zone. Cependant, braquer la Chine n’est pas souhaitable dans la mesure où les Etats-Unis ont une forte dépendance économique au marché chinois.

Le monde n’est pas bipolarisé comme au temps de la guerre Froide et est un terrain fertile au jeu de multiples partenariats.

Valérie Niquet déclare que l’ambition de Pékin est de conquérir Taïwan pour mettre fin à la « guerre civile » sous le principe d’une Chine unique. La population taïwanaise s’exprime elle pour le statu quo et le maintien de l’autonomie. Le risque de tensions est fort mais la Chine met en place une guerre psychologique avec des démonstrations de force. De plus, les sanctions économiques seraient dures car Chine dépendant du monde extérieur (dépendant à Taïwan, nouvelles technologies…) La question de Taïwan est centrale.

Deux notions centrales le QUAD et l’AUKUS

Le QUAD est un mécanisme de dialogue quadrilatéral de sécurité comprenant les États-Unis, le Japon, l’Australie et l’Inde. C’est aussi un moyen de lutter contre les catastrophes naturelles en temps de crise.

L’AUKUS renvoie à un nouveau pacte de sécurité basé sur le hard power et qui relève aussi d’une mise en commun des capacités et moyens. Cette nouvelle alliance comprend l’Australie, les États-Unis et la Grande-Bretagne. C’est en quelque sorte le retour d’une alliance « blanche » qui pourrait ne pas plaire à l’Asie.

Pour Claude Le Blanc, l’importance de l’éducation patriotique et de l’essor de la ferveur nationaliste, constituent un repli sur les valeurs nationales. Il ajouta ensuite que les pays de l’Asie du Sud-Est se sentent pris en otages par les États-Unis et/ou l’Europe.

Selon Pierre Grosser les positionnements internationaux en Indo-Pacifique engendre une forme de bipolarité avec le fait d’alliances historiques et le réflexe de faire des alliances ou des substituts d’alliances. Il y a une forte volonté de dépasser les anciennes alliances de la Guerre Froide et de renforcer la “pax asiatica”. En somme, la nouvelle configuration des relations internationales est de garder le maximum d’options ouvertes.

Valérie Niquet conclut sur le fait que la première motivation du Japon était d’être reconnu comme une puissance normale. De plus, il ne peut pas y avoir organisation collective de l’Indo-Pacifique car la Chine a un système politique différent, léniniste selon les dires de cette dernière.

Quiniou Philippine et Morgan Le Loupp

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