Le harcèlement est un fléau qui tue, on ne le sait que trop après le suicide de plusieurs élèves ces derniers mois. Même sans arriver à cette extrémité, les ravages du harcèlement sur l’estime de soi, le rapport aux autres et la santé sont innombrables. Le phénomène est ancien mais il a pris une acuité particulière à l’heure où la victime, par l’intermédiaire des réseaux sociaux, est poursuivie jusqu’à chez elle. La définition pénale du harcèlement est la suivante :  « propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de vie [de la victime] se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale ». On imagine l’enjeu quand on estime qu’un élève sur dix serait concerné.

Un nouveau délit de harcèlement scolaire

Depuis le 03 mars 2022, existe un délit spécifique de harcèlement scolaire qui pousse la sanction pénale jusqu’à 10 ans de prison et 150.000 euros d’amende, si la victime a tenté de se donner la mort.

Le délit va donc bien plus loin que la loi générale qui s’arrête au maximum à deux ans d’emprisonnement et 30.000 € d’amende. 

La caractérisation du harcèlement scolaire couvre les faits qui se seraient poursuivis en dehors de l’établissement, même quand la victime ou son bourreau n’y exercent plus ou n’y sont plus scolarisés. Il est à noter également qu’ un élève peut être poursuivi pour harcèlement même s’il n’y a qu’un seul fait qu’on pourrait lui reprocher ; il doit toutefois être au courant que sa moquerie s’inscrit dans un cadre plus large, avec d’autres élèves qui participent.

La loi prévoit également une « information sur les risques », dispensée tous les ans aux élèves et aux parents d’élèves. Le sujet est également intégré à la formation initiale de tous les personnels. Enfin, le projet d’école ou d’établissement doit fixer les procédures de prévention, détection et traitement des faits de harcèlement. Sur ces trois points, la loi reste assez évasive et peu contraignante, c’est pourquoi le ministère a précisé ses objectifs pour 2023-2024 :

  • Étendre le programme pHARe aux lycées et intégrer toutes les écoles et les collèges dès la rentrée 2023
  • Diffuser les numéros d’urgence 3018 pour le cyberharcèlement (joignable 7j/7, de 9h00 à 23h00) et 3020 pour les autres situations de harcèlement (joignable du lundi au vendredi, sauf jours fériés, de 9h à 20h du lundi au vendredi et de 9h à 18h le samedi)
  • Former tous les personnels à la lutte contre le harcèlement scolaire
  • Prévenir ou résoudre les situations les plus complexes, notamment dans le premier degré.

Volatilité des pratiques délictueuses et lourdeur des procédures : la quadrature du cercle

Rassembler les preuves du harcèlement

Autant les effets du harcèlement sont visibles, autant l’acte lui-même est difficile à repérer.

Dans les établissements, la violence se niche dans tous les angles morts de la journée, quand il n’y a plus d’adultes dans les parages, pendant les récréations, dans les transports, dans les recoins de la cantine ou des couloirs. Quand elle s’exerce en plein cours, avec une interpellation d’un élève par un autre, l’enseignant n’est pas toujours en mesure de distinguer le jeu, de l’insulte délibérée. Dans le monde des adolescents, on banalise tellement l’injure qu’elle peut être une forme de salutation et d’échanges sans qu’il n’y ait aucun différend véritable. Nous les professeurs, en sommes réduits à apprécier quelques signes épars : la difficulté à s’insérer à un groupe, l’omniprésence au CDI, la mise en retrait dans les moments conviviaux. Il est sans doute plus aisé de repérer une victime quand on a les élèves plusieurs heures par semaine mais cette condition est de moins en moins réunie avec des horaires hebdomadaires de plus en plus faibles. En spécialité, nous avons les élèves entre 4 et 6 heures par semaine mais si l’ assistance provient de plusieurs classes différentes, la dynamique de groupe sera nettement moins révélatrice.

Entamer la procédure

Revenons-en à la victime. Sans personne pour l’appuyer, elle qui est déjà isolée, ne se sentira pas assez forte pour en parler. Quand malgré tout, les faits finissent par remonter jusqu’à la vie scolaire, la souffrance a eu plusieurs très longues semaines pour s’installer. La prise en charge par l’école, même rapide, risquera de paraître insuffisante aux familles. Dans la triste affaire de Nicolas à Poissy, on perçoit bien le décalage de temporalités entre le courrier du 18 avril de la famille et la réponse du proviseur deux jours après.

Les procédures sont lourdes à mettre en place, même dans le cas du premier degré où le ministère a d’ores et déjà annoncé une batterie de mesures, avec trois niveaux de réaction. Au dernier stade, il est prévu que l’élève harceleur soit déplacé dans un autre établissement, avec accord du maire. Le ministère explique d’ailleurs que cette mesure existe dans le second degré, avec les exclusions définitives. C’est ici que le texte doit être apprécié avec le retour d’expérience de nos établissements.

À supposer qu’elles mettent réellement un terme aux violences, les exclusions définitives demeurent l’exception. En 2019, un article citant le ministère avançait le chiffre de 1800 mesures d’exclusion en 2018 prononcées à l’issue d’un conseil de discipline. Un chiffre très bas pour un phénomène supposé concerner 10% des élèves, sachant que le chiffre ne donne ni la part des seules exclusions définitives, ni celle du harcèlement scolaire. Autant le dire, dans l’immense majorité des cas, un élève devra supporter son agresseur au quotidien. Quand bien même d’ailleurs l’élève en question serait déplacé dans un autre collège, il retrouverait vraisemblablement sa victime au lycée. Par conséquent, la sanction scolaire paraît singulièrement tardive, limitée et décevante. Il n’est pas rare que ce soit finalement la victime qui change de classe ou d’établissement.

La création d’un nouveau délit de harcèlement scolaire avoue implicitement cette impuissance. Ce n’est finalement plus seulement un acte à sanctionner dans l’école, par ses décisionnaires habituels, mais un acte de droit commun, tranché par la justice et qui, parallèlement, pourra s’assortir de conséquences scolaires. Avec ce nouveau délit et dans le même temps la répugnance à utiliser l’exclusion définitive, on voit mal comment à terme, une procédure d’exclusion définitive d’un établissement pourrait aboutir SANS dépôt de plainte. Ce qui était une mesure de renfort pourrait tout aussi bien devenir une épreuve supplémentaire pour la victime, sachant que dans tous les cas, apporter la preuve de la réalité des faits reste difficile.

Le rectorat de Versailles pointé du doigt

La presse a longuement commenté le caractère indécent du courrier envoyé par le rectorat de Versailles aux parents de Nicolas. Le ministre lui-même a dit que c’était une « honte », ce en quoi il a parfaitement raison. L’affaire ayant révélé l’absence de Charline Avenel, au moment de l’envoi du courrier, le rectorat pouvait encore plaider l’erreur. C’était sans compter la deuxième affaire relative cette fois-ci à une sordide histoire d’attouchements sur mineur qui elle aussi, a reçu son courrier infamant. Surtout, la visite éclair lundi du ministre dans les locaux du boulevard de Lesseps démontre que sur les 120 courriers de réprobation de l’année, environ la moitié « pose question ».

C’est effrayant mais sommes-nous surpris ?

En tant que personnels de l’Education, nous sommes très nombreux à témoigner de la dégradation constante de l’accueil et de l’écoute de l’administration, dans les rectorats en général et à Versailles en particulier. Non pas qu’aucun gestionnaire ne soit efficace, ce serait faire injure à tous ceux qui y travaillent avec conscience. Mais collectivement, le rectorat s’est retranché derrière ses murs. On ne peut plus se présenter sur place, on peine à avoir un interlocuteur au téléphone, sans parler des mails qui restent sans réponse. Et ce qui est valable pour l’enseignant l’est aussi pour les chefs d’établissement qui, à la rentrée, sont en attente d’une affectation d’un professeur. La dématérialisation croissante des procédures ajoute à la déshumanisation générale. Pendant le Covid, c’était encore pire. Les deux derniers rapports de la médiatrice de l’Education nationale pointaient, concernant les affectations des personnels ou les inscriptions en ligne aux examens, la rigidité du système, le faible niveau d’information, la complexité des procédures.

On ne peut donc s’étonner de ces réponses envoyées aux familles, copiées-collées les unes par rapport aux autres, indifférentes au contexte.

La compétence effective, une nécessité à tous les emplois

Alors oui, ces dernières années, il y a eu un effort de communication plus marqué, sur les réseaux sociaux et les sites internet : tel recteur visite telle équipe, tel concours académique qui récompense tel projet, et ainsi de suite. Mais tout cela laisse un sentiment doux-amer car le même déploiement de photos avait été fourni pour vanter le job dating pour enseignants, à Versailles déjà. Nous le redisons avec force : tout métier exige un ensemble de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être, qui réclament davantage qu’un entretien de motivation de trente minutes et un bac+3 sans rapport direct avec la discipline enseignée. Ce n’est pas pédanterie que de le dire mais c’est respecter profondément le bénéficiaire du service que l’on va rendre.

À Versailles, ce qui se joue dans ces affaires de harcèlement, c’est aussi, au plus haut niveau, l’échec de personnels qui ne réunissaient pas les conditions requises pour exercer. Une rectrice qui ne détenait ni le grade universitaire, ni l’expérience souhaitée, était condamnée à mal faire. Il ne suffit pas d’être énergique et d’avoir, sur d’autres plans, un CV impressionnant. Si en plus, son entourage immédiat partageait la même inexpérience, comment s’étonner de ces dysfonctionnements ? Le grand leurre de ces dernières années a été de faire croire que n’importe qui provenant d’une grande école était interchangeable à des postes clés, qu’un haut fonctionnaire pouvait sans risque s’occuper de santé pendant dix ans, d’éducation ensuite et pourquoi pas demain de diplomatie. Les enseignants que nous sommes, savons très bien qu’une discipline a ses règles propres et que même proche de nous, un professeur de Français ou de SES ne peut pas faire des cours d’Histoire-Géographie, au même titre que nous-mêmes, nous ne pouvons pas assurer le cours de nos collègues. On en arrive à un point crucial : il faut investir pour développer une compétence qui ensuite se rétribuera au prix fort. Le fait est que l’on sabre et la formation et la rémunération des personnels, que l’on défend un transversal fort creux qui n’est jamais qu’un délayage de responsabilités, mais que l’on prétend en attendre toujours plus avec toujours moins. Cela ne tient pas.