Pour quiconque déambule dans le port de commerce de Sète et qui a eu la chance d’avoir le précieux sésame, grâce à l’Office de tourisme, pour pénétrer avec un guide dans une zone hors-Schengen, la surprise est grande : de très nombreuses voies de chemin de fer (42 km) qui paraissent totalement désertées, voire fermées ou dans un triste état ; de très nombreux camions, souvent immatriculés à l’étranger et même hors Europe (Turquie), qui semblent être les seuls à se charger du convoyage des marchandises réceptionnées à quai. À Sète comme ailleurs, le fret ferroviaire pourrait bien être perçu comme à l’arrêt. Il est loin, le temps où les nombreux faisceaux dédiés aux trains de marchandises étaient remplis de wagons bariolés, rassemblés à la manœuvre par de jolis petits locotracteurs, puis tirés par des locomotives électriques qui ont aujourd’hui disparu, des 9400 (« Vespa ») de Béziers ou des 9200 d’Avignon… Une telle situation se retrouve dans de très nombreux ports français où le rail semble avoir été relégué. Une anecdote est révélatrice : à Sète, les grands portiques de déchargement et les grues sur rail vieillissent et rouillent, et sont remplacés par de nouveaux portiques… sur pneus. Faut-il en conclure à une mort du rail, à une époque pourtant où les discours, aussi bien français qu’européens, vont dans le sens de l’écologie, de la lutte contre la pollution et la mise en cause systématique des moteurs thermiques, particulièrement pour les automobiles ? D’une manière symbolique, nous voyons des utilitaires Ford et Dacia arriver en bateau jusqu’au port de Sète, qui vont ensuite être distribués par camion sur tout le territoire européen, situation qui rappelle l’aventure des voitures allemandes, notamment bavaroises, qui, une fois produites à Munich (ou Leipzig), parcourent l’Allemagne sur des wagons, puis sont déchargées sur des camions en arrivant en France…

 

Le fret au port de Sète: des promesses de renouvellement

Notre guide a été évasif concernant le fret ferroviaire, concédant qu’il devait bien encore y avoir un train par semaine (!) sur l’immense site.

De fait, le port de Sète est en plein renouvellement (et agrandissement) : il a été décidé de renforcer son caractère multimodal, d’abord par un augmentation substantielle de la superficie de la zone, mais aussi en jouant sur les fortes connexions du port avec le vieux canal du Rhône. Le but est donc de favoriser dans un premier temps le fret fluvial, qui répond à un enjeu écologique majeur. « Le canal présente des caractéristiques environnementales particulières et des enjeux économiques significatifs. Il s’agit en particulier du fret fluvial entre le Rhône et le port de Sète » (Site de la préfecture de la région Occitanie). Mais le multimodal, ce n’est pas simplement le transport fluvial, plus particulièrement adaptée au vrac et qui nécessite des investissements colossaux sur tout le territoire français. Ce n’est pas non plus et uniquement le transport par camion, qui se porte bien du fait de la densité du réseau autoroutier autour de Sète. C’est nécessairement aussi le train.

Le Ministère de la transition écologique et solidaire, dans la continuité des annonces du Premier ministre de juillet 2020 sur la relance du fret ferroviaire, signale que « l’État a lancé en avril 2021 un appel à projets pour le développement d’un nouveau service d’autoroute ferroviaire entre les ports de Sète et Calais. En développant ainsi les corridors de frets ferroviaires transnationaux, le gouvernement agit concrètement pour la transition écologique : une autoroute ferroviaire créée, c’est 20 000 camions en moins sur les routes chaque année » (Communiqué du 02/04/2021). 1300 km effectués du reste en 20 heures, contre 36 par camion…

Voilà très concrètement qui peut modifier l’état des lieux : dans la zone portuaire, il s’agira de mettre en place des trains qui feront entre 800m et 1 kilomètre de long (!), à partir du débarquement de matériel depuis les bateaux, qui partiront ensuite sur le réseau national pour relier Calais et, on le suppose, passer par différentes étapes. Mais Jean-Luc Gibelin, vice-président de la région Occitanie, qui est gestionnaire du port, va plus loin :

« l’objectif est dans un deuxième temps de pouvoir faire des liaisons entre Barcelone et Anvers, puisque ça fait partie des perspectives annoncées. Évidemment, c’est une question de transition écologique avec la perspective de pouvoir diminuer le nombre de camions sur les routes. Camions en simple transit qui, donc, n’apportent aucune activité économique à la région ». (France bleue 18/04/2021).

 

N’oublions pas non plus l’appel à candidature qui a été lancée en décembre 2000 pour la reprise du « train des primeurs », liaison entre Perpignan et Rungis, qui permet l’acheminement de fruits et légumes en wagons réfrigérés. Ce service, qui représente environ 9000 camions par an, est désormais à l’arrêt depuis la mi-juillet 2019, en raison d’une baisse des volumes transportés mais aussi et surtout à cause de la vétusté du matériel ferroviaire. En Occitanie, on se bat pour le train (cf. par exemple et dans un autre domaine, la réouverture de la ligne Nîmes-Avignon).

La dynamique serait donc favorable aux trains. Il s’agit d’identifier les projets proposés par les opérateurs qui devront pouvoir être opérationnels au plus tard en 2022. Un accompagnement financier au démarrage de l’État sera sans doute nécessaire, les taxes et le péage ferroviaire pouvant être gratuits pendant un certain temps ou du moins réduits.

Le tournant 2019 ?

Mais tout a en fait commencé en 2019, avec succès même si la pandémie a depuis ralenti l’économie. Exactement le 16/09/2019 : un nouveau trafic ferroviaire de transport de marchandises a été mis en place au départ du port de Sète ; des conteneurs de clincker, composant du ciment, arrivant par bateau, sont transportés vers l’usine Aliénor-ciment dans le Lot-et-Garonne, au rythme de un à deux trains de 52 conteneurs par semaine. Hilaire Hautem, directeur du Pôle clients-services SNCF-réseau Occitanie déclare ainsi : « Les attentes de la société vis-à-vis du ferroviaire sont fortes et l’ambition première de SNCF-réseau est de contribuer au développement du trafic. Nous devons inciter au report modal de la route vers le rail pour accompagner l’augmentation de trafic fret attendu en Europe et neutraliser les effets néfastes du transport routier. Notre collaboration avec le port de Sète permet de valoriser les atours de la connexion fer-mer performante du port, idéalement situé sur un corridor européen et sur la Transversale sud ». (Newsroom de Sncf-réseau, 18/09/2019).

On notera que la stratégie choisie privilégie les « trains massifs » et les « autoroutes ferroviaires », ce qui laisse…route ouverte aux camions pour les « dessertes fines » : les embranchements, les petites lignes n’en sortiront pas régénérés.

De même, pour les nostalgiques, il n’y aura sans doute que peu de machines estampillées Sncf, car les opérateurs seront à l’avenir majoritairement privés, Sncf-réseau se bornant aux infrastructures. Le fret ne fait plus vraiment partie du « service public » et l’ouverture à la concurrence est maintenant de règle, le paradoxe étant que ce soient l’État et les régions qui doivent largement inciter financièrement à utiliser une alternative au transport par camions… N’oublions pas cependant un détail qui aura son importance dans une région très proche de l’Espagne et qui a l’ambition et la perspective de s’arrimer à des liaisons ferroviaires (marchandises et passagers) avec ce pays : si les camions sont devenus si présents au détriment du ferroviaire, c’est parce que l’écartement des voies ibériques diffèrent du gabarit français et européen. L’Espagne doit ainsi accepter des investissements colossaux pour créer de nouvelles lignes standardisées pour créer un véritable corridor ferroviaire. Il y a près de 1300 km à convertir de l’autre côté de notre frontière. Tant que ce chantier ne sera pas achevé, la noria de camions sera le lot quotidien des amateurs d’autoroutes. Et l’écologie une utopie…

 

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