Il y a 25 ans, le 7 avril 1994, un génocide commençait au Rwanda, il fera environ 800.000 morts. Au début du mois d’avril 2019, une Commission d’enquête sur le rôle de la France au Rwanda et les archives françaises a été mise en place à l’initiative du Président de la République Emmanuel Macron. Cette commission est composée d’historiens et historiennes dont les noms et les travaux ne peuvent que rassurer quant au sérieux et à la rigueur scientifiques. Sont certes présents des historiens spécialistes de la Shoah et du génocide des Arméniens dont la rigueur scientifique n’est pas discutable, mais aucun n’a spécifiquement travaillé de manière approfondie sur le Rwanda. Des voix se sont élevées pour regretter l’absence de spécialistes de la question comme Jean-Pierre Chrétien, Florent Piton, Rémy Korman,  Marcel Kabanda, Stéphane Audouin-Rouzeau ou Hélène Dumas.

La question est hautement sensible, les fractures nombreuses. Une partie de l’armée réclame la vérité, l’autre la souhaite le plus tard possible. Dans les milieux politiques, des personnalités s’élèvent pour demander la vérité tandis que les protagonistes toujours en vie louvoient. Et pourtant, il n’est pas faux d’affirmer que des responsabilités existent et doivent des comptes que la justice déterminera. L’Opération militaro-humanitaire Turquoise qui s’est déroulée du 22 juin au 22 août 1994, menée durant la période de la seconde cohabitation, fut plus qu’ambiguë à ses débuts et ses questionnements contradictoires. Faut-il arrêter le FPR [1] ? Exfiltrer les génocidaires vers le Zaïre de Mobutu voisin ? Continuer à livrer des armes ? Ou rester dans le pur humanitaire ? [2]

Pour autant, cette commission menée par Vincent Duclert doit-elle être condamnée d’office ? Cette commission n’ayant pas débuté ses travaux, il est hâtif d’en tirer des conclusions négatives. Nous verrons si elle peut aller au bout de ses recherches et livrer ses conclusions sans être entravée par des considérations politiques et des luttes d’influence, alors que certains protagonistes côté français sont toujours vivants et légalement protégés par les délais d’ouverture des archives, délais certainement critiquables dans le cas d’un génocide où le temps est souvent compté pour les survivants…

Et l’historien dans tout cela? Comme l’expliquait Jean-Noël Jeanneney en 1998, l’historien a « le devoir premier d’éclairer les ressorts de tous les groupes et de tous les acteurs, et non pas de les classer, rétrospectivement, à sa droite ou à sa gauche. Le juge ne peut échapper à la nécessité de prendre parti. L’historien, oui souvent »[3]. Le mot final revient certainement à Hélène Dumas qui estime que : « L’histoire de l’extermination des Tutsi ne peut être confondue avec celle des responsabilités françaises. Au Rwanda, des fonds d’archives exceptionnels demeurent encore inexploités et permettront sans nul doute d’enrichir notre savoir sur un événement d’une telle magnitude »[4].

Il demeure que pour la France, regarder son histoire en face est un impératif, en particulier pour un Etat qui a attendu le 16 juillet 1995 pour tirer les leçons de sa collaboration et reconnaître sa participation au génocide des Juifs.

25 ans ont passé depuis ce dernier génocide, n’en laissons pas passer 25 de plus !

Marc de Velder

Cécile Dunouhaud

 

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[1] Front Patriotique Rwandais : rebelles tutsi venus d’Ouganda

[2] Pour prolonger cette réflexion, les Clionautes vous conseillent la lecture de Rwanda, ils parlent de Laurent Larcher, paru au Seuil en mars 2019 et où vous retrouverez de nombreux témoignages dont ceux d’Hubert Védrine et d’Alain Juppé.

[3] Jean-Noël Jeanneney Le passé dans le prétoire. L’historien, le juge et le journaliste, Paris, Seuil, p.52

[4] Source : entretien avec Gaïdz Minassian, 5 avril 2019, https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/04/05/rwanda-le-travail-d-histoire-ne-peut-rester-otage-de-polemiques_5446237_3232.html