Depuis longtemps, à certains coins du monde, les humains ont voulu contrôler ou supprimer les aléas climatiques, supprimer la neige, la repousser, bétonner pour gérer les zones inondables… une volonté de contrôle qui parfois a contribué à aseptiser les espaces urbains habités ou à engendrer des catastrophes. Mais d’autres ont tiré avantage de « l’ennemi » et cessé de lutter contre les éléments climatiques, à l’image des Islandais des îles Vestmann qui ont arrêté de vouloir contrôler la mer.

La question de l’habitabilité de la planète à l’horizon 2100 à toutes les échelles.

Devenu le modérateur de cette table ronde, Michel Lussault appelle à réfléchir sur les conséquences du changement global dont le règlement climatique en est un exemple. Mais on pourrait parler aussi du dérèglement de la biodiversité, des sols, ce que certains appellent l’anthropocène. Certains espaces resteront-ils habitables localement ? La vallée de la Vésubie a vu des pluies diluviennes en une journée après une longue sécheresse, soit une pluviométrie moyenne en un trimestre. Un phénomène basique comme une crue peut détruire tout sur son passage.

La baie de San Francisco connaît des feux si puissants que l’air devient irrespirable et vicié, ce qui plonge la cité dans la pénombre. Les enfants doivent rester à la maison. Dans ces lieux, les Californiens se posent la question de l’habitabilité, car les sols ainsi calcinés sont impropres aux cultures pendant longtemps. Aux États-Unis, certains scénarios prévoient le déplacement de 90 millions de personnes. À Phoenix en Arizona, on a vécu plus de 80 jours avec des températures supérieures à 41°C. Les humains souffrent au-delà de 37°C. Donc la question « du pouvoir habiter » se pose aujourd’hui.

Qu’est-ce qu’habiter à 10 milliards d’humains en 2050 quand nos certitudes nous pousseraient à penser que la technologie peut tout ?

Philippe Simay :

Il s’agit de comprendre et de regarder, sans une volonté d’exotisme, la variété des formes d’habitations, alors qu’on a l’impression que le paysage se standardise. Quelles sont les raisons de cette enquête ? Le philosophe voyageur s’interroge sur son enseignement de l’architecture et des matériaux que l’on utilise aujourd’hui (acier, verre, béton…). Le BTP rejette 40 millions de tonnes de déchets en France et participe à 20 % d’émission de CO2. Il est en partie responsable du dérèglement climatique. La standardisation de l’architecture pousse au bétonnage. Par exemple, les riches Africains de l’ouest, malgré la tradition des villages en terre, préfèrent le béton, symbole de la modernité et de la réussite sociale. Les migrations prétendues économiques sont en réalité des mouvements climatiques.

Philippe Simay a éprouvé le besoin de chercher des solutions ailleurs et d’observer, comment les sociétés appréhendent la notion de « l’habiter ». Les individus ont toujours des histoires à raconter sur l’habiter qui ne signifie pas uniquement résider, mais qui implique des liens de familles, d’ancêtres, de religion. Habiter n’est pas seulement ce que l’architecture et ses styles signifient mais aussi ce qu’elle met en relation et la manière dont elle nous ouvre au monde. « Les matériaux qu’on travaille nous travaillent aussi ». Les rapports à la matérialité transforment les ouvriers qui les travaillent.

Nos rapports à l’habitation ne sont pas qu’un usage fonctionnel. On habite un habitat qui nous habite aussi. Par exemple, en Indonésie, sur l’île de Sulawesi, chez les Toraja, les lieux de résidences sont des maisons en tôle mais les lieux de mémoire et d’attachement sont les tongkonan au toit en forme de coque de bateaux. Les valeurs y sont préservées. On n’habite jamais seul mais on apporte son histoire, les mémoires et les savoir-faire mobilisés, comme à Saint-Pierre et Miquelon, un territoire insoutenable. Cependant les hommes veulent y rester en mémoire avec leurs ancêtres.

« Les matériaux qu’on travaille nous travaillent aussi ».

Antoine Dagnoux :

Construire avec les constantes du climat et les ressources locales orientent le travail de l’agence : utilisation du bois, de la laine de bois et de la paille. Des matériaux biosourcés donnent un beau manteau de protection. Le bioclimatisme, l’utilisation du climat, l’orientation de la course du soleil, permettent de se protéger l’été et d’en profiter l’hiver. Les calculs et les outils sont très basiques. Les résidents sont ainsi impactés : odeur sensuelle de bois, une dalle en bois moins froide. Les chantiers biosourcés sont plus apaisés et impactent les résidents.

Il s’agit d’une architecture qui demande une grande technicité mais qui est low-tech signifiant un recours modéré à la technologie. Pourtant, le bois est utilisé pour les bâtiments de grande hauteur  (R+11), 11 niveaux de structure bois, une cage d’escalier en bois, isolés en paille et 100 % passifs.

Il faut beaucoup d’investissements pour que les entreprises françaises travaillent au stade industriel. Parfois le bois européen est acheté. L’important est de faire bâtir par des entreprises locales d’où le low-tech avec des techniques constructives simples, qui soient à la portée de tous, exactement le contraire des grands projets dans des villes mondiales où la technicité est telle que peu de groupes peuvent construire et surtout faire la maintenance. Aujourd’hui, il est nécessaire de penser à la pérennité et impacter le minimum. Certains logements sociaux dits écologiques sont adoptés par leurs résidents. Ceux-ci développent des comportements écocitoyens, venant de l’association « économie, confort et écologie ».

Michel Lussault parle de simplicité d’une architecture vernaculaire, du concept de simplexité.

Plutôt que de parler de Low-tech, Michel Lussault propose de reprendre le terme de simplexité d’Alain Berthoz (professeur au Collège de France, spécialiste des neurosciences). Comment en tenant compte de la complexité du cerveau peut-on arriver à mettre en œuvre des explications et des investigations scientifiques qui soient suffisamment simples pour être maîtrisables. Pour Berthoz, ce concept de la simplexité est l’activité simple qui correspond à la complexité. Michel Lussault préfère donc parler de simplexité constructive.

Philippe Simay 

Une bonne architecture doit articuler le local et un modèle économique, la main-d’œuvre, les ressources… Il s’agit de changer de représentation (la paille ne serait pas solide, peu résistante au feu…) et de reprendre les traditions en gardant l’esthétisme moderne. La qualité des chantiers est fondamentale. L’architecte doit sortir de sa tour d’ivoire et travailler à l’horizontal, être conscient des filières. Voilà une vision plus riche du métier en partageant une culture spatiale.

Dans un pays comme la France, le système de normes et de règles pourrait être une barrière. Comment fait-on quand on utilise des matériaux comme la paille, ou le pisé traditionnel dans la région lyonnaise ? Comment faire pour convaincre ?

Antoine Dagnoux 

Il s’agit d’un travail d’équipe. Le mille-feuille est très complexe mais il convient de simplifier en associant les futurs habitants. L’architecte devient un meneur d’équipe qui utilise beaucoup d’études numériques. Le modèle économique se construit avec des bailleurs sociaux. Investir un peu plus pour gagner à long terme. La projection à court terme est souvent mauvaise en construction. À qualité équivalente, le biosourcé coûte presque pareil que le standard.

Philippe Simay

Il est difficile de faire reconnaître le low-tech. Les assureurs préfèrent le high-tech. Le réemploi n’est pas crédible et semble un frein dans la société. Aujourd’hui, les changements climatiques conduisent à une sécurisation en lien avec la métropolisation.

Michel Lussault

Nous sommes devant deux choix. Celui de la bulle sécuritaire, de boites fermées, les shoppings mall, les parcs de loisirs, les aéroports, les immeubles… Face à « la menace sociale, pour refuser d’être avec d’autres », ce sont des modèles ségrégationnistes où l’entre-soi l’emporte. On construit des communautés fermées avec des grilles, des sas, des gardiens, des caméras de vidéosurveillance (gated communities). Il existe des villes sous cloche. Un autre modèle serait un choix plus hospitalier et plus ouvert. Comment organiser nos abris ? Comment permettre d’abriter notre vie sociale en conservant la vertu d’hospitalité, de traverser, d’accueil de nos abris ? Thierry Paquot parle de l’accueillance. Certains architectes modernes proposent des architectures peu hospitalières comme Le Corbusier.

Antoine Dagnoux

La formation en école d’architecture est axée sur la fourniture d’espace. Partir de l’appropriation des gens, comment ils font société, le partage de l’espace collectif, le bien-être ou l’aménité.

L’agence a gagné le concours en théâtralisant les espaces communs où la cage d’escalier centrale est scénarisée. Ainsi invente-t-elle un espace de cohabitation plus épanouissant. La contrainte environnementale apporte une nouvelle manière de concevoir la cohabitation, une transformation d’une contrainte en qualité.

Philippe Simay

On habite en parlant et en racontant des histoires, des lieux, des êtres vivants. Il s’agit de mettre en mot pour renouveler les imaginaires et concevoir de nouvelles façons d’habiter. Habiter signifie apprendre à partager l’espace, à accueillir les humains et les autres êtres vivants. On essaie d’être des gestionnaires de ressources qui ne nous appartiennent pas. Réfléchir en société, vivre une frugalité conduira à être plus heureux et à partager le monde de façon plus juste.

Échanges avec le public 

Les Islandais des îles Vesmanne ont vécu une éruption volcanique qui a détruit les villages. Si beaucoup sont partis, certains sont restés. Ils veulent vivre avec cette forme d’instabilité. Les habitants se définissent eux-mêmes par leur relation à la nature, là où les glaciers reculent à vue d’œil.

Les formes vernaculaires semblent instables tandis que les gratte-ciel se targuent d’être inébranlables. Il faut prendre conscience de l’instabilité des habitats.

Certains architectes pensent qu’un constructeur devrait être félicité au bout de 15 ans. Quand on reste sur le territoire, il est intéressant de voir comment les logements que l’on a construits ont évolué. Il faut 4 à 5 ans pour que les agences aient des retours sur les usages.

L’échelle de la métropole est-elle convenable pour appréhender le vivre ensemble ? Pour Michel Lussault, aucune d’échelle n’est adéquate. La situation mesure la bonne échelle consistante. Si on prend l’exemple du téléphone portable acheté en France, l’échelle serait celle du lithium prélevé dans le désert d’Atacama au Chili. Chacun peut s’établir une éthique de responsabilité environnementale dans les échelles du territoire.

Et pour aller plus loin…

Vous pouvez consulter le compte-rendu du dernier numéro de la revue Urbanisme sur la Cliothèque

Vous pouvez également consulter les autres comptes-rendus de conférence du FIG 2020 consacré au climat