Bonjour,

Voici ma 2ème contribution sur le thème 3. Le débat se poursuit sur le forum de l’AG virtuelle :

http://agvirtuelle.forumactif.org/t82-consultation-nationale-theme-3-le-numerique-et-les-competences-de-demain

Jean-Michel Crosnier
#1090, le 08/03/2015 – 11:14
L’Ecole au défi de l’humanisme numérique

Nous comprenons que les métiers de demain seront soit nouveaux parce que la société voit les transformations technologiques s’accélérer, soit des métiers déjà existants mais profondément transformés par le numérique, ici les algorithmes et le code. Quelles compétences alors l’Ecole pourrait-elle bien dans ces conditions mettre en oeuvre ?

Un grand défi est lancé à l’Ecole.

Est-elle la mieux placée pour y répondre ? Rien n’est moins sûr, car si l’institution scolaire est la fille de la république égale pour tous, qui a su produire les élites républicaines que l’on sait. elle a été construite sur un modèle centralisé et vertical, qui se révèle difficilement en phase avec la 3ème révolution industrielle issue de l’informatique. Celle-ci a engendré de nouveaux géants tout juste âgés de quelques décennies – parfois moins, nés d’individus n’ayant pas terminé leurs cursus universitaires.

D’autres acteurs vont se positionner :

Les citoyens, également parents, les entreprises vont proposer, impulser, choisir des modèles, des voies alternatives.

Les médias vont populariser ces alternatives souvent considérées comme plus simples, mieux adaptées, plus économiques pour le consommateur-citoyen, et qui bousculent les positions traditionnelles. Ici et là des alternatives commerciales apparaissent : des fonctions algorithmiques proposent des tâches automatisées d’apprentissage et se positionnent déjà en remplaçants d’une partie du travail enseignant…
Vont-ils attendre que l’Ecole réussisse à être le planificateur des compétences scolaires comme l’Etat cherche encore à être celui de l’économie numérique ?

L’Ecole peut-elle courir après Google, ou freiner des quatre fers en sanctuarisant son territoire ? Doit-elle s’adapter ?

Si s’adapter c’est se rappeler qu’elle a à former d’abord des citoyens, alors oui. Si le citoyen de demain est un cyber-citoyen, il faut que l’Ecole le forme aux « humanités numériques » (Milad Doueihi, « Pour un humanisme numérique », Seuil, 2011).

Aux côtés de la culture qui nous a été transmise et que nous devons chérir et défendre, le jeune devra acquérir ces « habilités » qui feront de lui un praticien informé et critique des outils et des valeurs sociétales de son temps. Ces humanités numériques comprennent la connaissance du code, nouvelle littéracie, qui devra être accompagnée d’un enseignement juridique et philosophique.
Faut-il pour cela créer une nouvelle discipline « numérique » ? Le nouveau socle commun proposé par le Conseil supérieur des programmes et son président Michel Lussault a supprimé le pilier « numérique » qui se traduisait jusqu’ici par une certification au collège avec le B2i (Brevet informatique et internet) obligatoire pour l’obtention du Brevet des collèges. Si les attendus du B2i étaient méritoires, puisqu’aux côtés de compétences techniques, celui-ci proposait l’acquisition de notions éthiques novatrices, ce fut un fiasco pédagogique et culturel… On comprend que le numérique est censé irradier tout le spectre des compétences attendues par le nouveau socle, mais comment et sous quelle forme ?

Quelques pistes pour l’avenir proche :

  1. Des professeurs volontaires pour une formation en culture numérique qui ne seraient pas seulement des professeurs d’une discipline : nous avons besoin de mécaniciens, d’ingénieurs, de réparateurs, de formateurs, de penseurs du numérique ! A terme toutes les disciplines devraient s’en emparer…
  2. Des pratiques pédagogiques dans les disciplines existantes qui intègrent cette littéracie numérique de façon active (outils numériques en classe, travaux et projets collaboratifs, production et évaluation autant écrite qu’orale – cette dernière compétence étant anormalement absente des examens scolaires, alors que l’interaction écrit-oral joue un rôle de plus en plus central dans nos vies professionnelles.
  3. Des espaces numériques réactifs aux évolutions technologiques et aux usages nouveaux, simples d’emploi, dont la « réussite » ne se limite pas aux tâches administratives chronophages (appel, cahier de textes), qui intègrent l’écriture collaborative par exemple.
  4. Des outils simples (smartphones et tablettes), qu’il serait bon que l’on arrête de considérer comme des outils uniquement ludiques, interdits par les règlements intérieurs, en réservant les stations fixes à des tâches plus spécifiques.
  5. Des espaces mobiliers et immobiliers permettant à la fois le regroupement des élèves (cours magistraux) et leur éparpillement (TP, recherches, tutorat, entretiens).
  6. Des horaires à revoir, car conçus en fonction de programmes encyclopédiques et fractionnant le savoir, devant être accompagnés de règles précises sur les limites à l’externalité du travail, le numérique rendant opaque la séparation travail-maison.

Tous nos schémas de fonctionnement et de pensée risquent d’être bousculés ; soyons ouverts à la modernité tout en étant attentifs à ses abus et à ses pièges.