Le festival de Cannes vient de couronner une nouvelle œuvre au bout d’une quinzaine dont les critiques sont unanimes pour avancer la qualité des productions, après une session 2018 en demi-teinte. Au même moment, le dernier Avenger explose tous les records au box office, le public portant cet opus au firmament de l’industrie du cinéma. L’œuvre de Anthony et Joe Russo aurait-elle pu remporter la palme d’or ? Dans une uchronie improbable, peut-être. Dans le pays de la culture légitime, c’est peu probable. Sans doute la qualité intrinsèque du film ne permet pas d’envisager de figurer dans le palmarès d’un tel festival dédié au cinéma. Mais, plus que de ses qualités cinématographiques, cet Avenger souffre de tirer un boulet majeur : il est une pierre d’infinité de la vaste galaxie geek. 

Finalement rien de neuf sous le soleil ; si la série Game of Thrones semble tirer son épingle du jeu en apportant une forme de reconnaissance de la Fantasy auprès des critiques et milieux de la culture traditionnelle, c’est un petit peu l’Ent qui occulte Fangorn. 

En septembre dernier Daniel Cohen, Normalien, économiste reconnu bien au-delà de notre petit hexagone, nous prévenait au détour d’une interview sur BFM : « Avec Netflix, c’est le nouveau métro, boulot, dodo ». L’intellectuel empruntait le chemin labouré à l’envie par les multiples personnalités, politiques telle Ségolène Royal ou d’autres profils des plus divers à l’instar d’un Éric Zemmour, parangons de la défense d’une véritable culture face à cette pop culture tout juste capable de lobotomiser les esprits faibles du peuple. 

Quand on y songe la peur est souvent au cœur des analyses négatives. Peur d’un effondrement du niveau de la culture, peur d’une perte de conscience des citoyens, peur de sombrer dans les abîmes de l’ignorance et de la perte du beau. Platon ne se plaignait-il pas déjà des mauvaises valeurs transmises aux jeunes par l’Odyssée ?  

Comment expliquer ce décalage entre les œuvres ici vilipendées par des intellectuels et les succès enregistrés auprès des masses ? 

Heureusement, le tableau n’est pas si noir. La pop culture s’est invitée à l’Université et plus seulement sur les bancs des amphithéâtres mais dans les laboratoires de recherches. Cédric Delaunay et William Blanc traquent les références historiques dans Games of Thrones ; Florian Besson et Justine Breton ont très justement décortiqué la relecture moderne du mythe arthurien dans Kaamelott d’Alexandre Astier ; Laurent Di Filippo a retracé les fils de la mythologie nordique depuis les textes médiévaux jusqu’au MMORPG Age of Conan. Anne Besson explore avec finesse et érudition les chemins de la fantasy et de la science-fiction. La liste serait trop longue, tellement toutes les sciences humaines et sociales se sont emparées de la culture geek.

Comic Con Convention Centre

Nous appartenons à cette pop culture, à ces univers geek. Nous aimons la science-fiction, la fantasy, les comics, les séries télévisées, les mangas, les animes ou encore les jeux vidéos. Nous les regardons, nous en discutons, nous y jouons ; tout comme nos élèves et leurs parents. Il est de notre devoir d’aider nos élèves à porter un regard critique sur ces documents d’histoire. 

Et en y réfléchissant bien, nous utilisons déjà tellement de productions culturelles produites par le passé. Comptons ensemble le nombre tableaux, de films, de romans, de pièces de théâtre que nous utilisons à longueur d’année scolaire. Ce sont autant de productions qui replacées dans leur contexte nous permettent de saisir le regard d’un artiste — et à travers lui d’une partie de la société — sur le passé, le présent et l’avenir. De la même manière, les oeuvres issues de la pop culture actuelles sont autant de portes nous laissant découvrir le regard que notre monde porte sur le passé, sur le présent et sur le futur.

Nous aimons aussi mûrir et mettre en perspective. Nous pensons que tout est intéressant et nous sommes curieux. Ce jour marque la naissance de Clio-Geek, un espace de liberté et de réflexion autour de supports qui ne sont pas nécessairement les premiers à être mis en avant lorsqu’on fait de l’Histoire ou de la Géographie. À travers des dossiers, des articles, nous nous proposons de creuser des pistes de réflexion afin que chacune et chacun puissent en tirer profit, si le cœur vous en dit. Les jeux vidéo permettent-ils d’apprendre et de progresser en histoire ? Peut-on les utiliser avec des élèves ? La science-fiction est-elle une porte d’entrée pertinente pour aborder les totalitarismes ? Que nous dit la fantasy des époques où les œuvres ont été rédigées ? Les dessins animés font-ils de la géographie ? En quoi étudier Robert E. Howard serait-il moins pertinent que d’utiliser Zola ?

Clio-Geek n’a pas vocation de chercher le consensus. Clio-Geek sera un espace de curiosité, de réflexion la plus rigoureuse possible sans rien s’interdire. Car, pour nous, il n’y a pas de culture légitime et une sous-culture médiocre. 

Notre dossier fondateur traite de la peur et des espoirs liés à l’arme atomique. La Guerre froide constitue donc la trame d’arrière-plan, de la fin des années 40 au début des années 90. Nous nous baladerons sur divers supports, du Japon martyrisé aux États-Unis triomphants, sans oublier le vieux continent. Staline croisera Gojira, vous en apprendrez un peu plus sur Capitaine Flam sans quitter notre galaxie et, qui sait, vous pourriez peut-être prendre un peu de plaisir dans ce monde remuant.

Que les plus téméraires nous rejoignent afin d’ouvrir les perspectives de l’évasion nécessaire sans sacrifier à fructueuse réflexion et mise en perspective.

William Brou et Ludovic Chevassus