Peut-on échapper à nos ancêtres les Gaulois ?

Vincent GUICHARD

Vincent GUICHARD est responsable de Bibracte, qui est à la fois un centre de recherche et musée. C’est le lieu d’un oppidum très connu. A 200m du musée, il y a un chantier de fouilles.

Comment construire au début du XXIe siècle le discours d’un musée de site attaché à un haut-lieu de la mémoire nationale ?

Bibracte est un lieu emblématique de la guerre des Gaules. Il regroupe des héritages pluri-millénaires. C’est un grand site de fouilles dans le Morvan.

L’archéologie protohistorique s’est inventée au moment où les Gaulois ont été enrôlés par les historiens pour construire un récit national. Notre discipline doit encore vivre avec cet héritage d’autant plus encombrant que notre époque se caractérise par de vives interrogations sur notre place et notre avenir. Nous sommes en recherche de récits qui légitiment l’existence des Etats-nations.

Nous avons peu de sources écrites mais malgré tout, c’est la première fois qu’on en a. « Keltoi et Galatai » sont des noms conservés des Grecs ou Celtae et Galli des Romains qui cristallisent l’attention des Européens. Quelques auteurs donnent quelques noms de peuples pour le Vème.

On peut mettre les Celtes et les Gaulois au service de n’importe quelle idéologie. De nombreuses hypothèses sont possibles. Une représentation figurée muette comme celle de Msecké Zehrovice laisse la porte ouverte à toutes sortes d’interprétations : un ancêtre héroïsé ? Boïen ? Celte ? Une divinité ?

Le catéchisme de la IIIème République : les Gaulois, ancêtres des Français

Héritage de la IIIe République et de son catéchisme sur la Gaule (Tour de France de deux enfants par G. Bruno, 1877). Jules César a qualifié notre territoire de Gaule. Ce nom ancien permet d’asseoir une autochtonie. La description des Gaulois représente une image inversée dont se voyaient les Romains.

Par ailleurs, il y a toujours ce qualificatif familial de « nos ancêtres ». C’est une analogie trompeuse. Les Gaulois ont été mobilisés pour construire la Nation française. Ils bénéficient d’une faveur durable en France pour construire la nation. Durant la guerre de 1870, la Première Guerre mondiale. Il s’agit d’un enrôlement coupable, d’une récupération par le régime de Vichy : Vercingétorix représenté comme faisant don de sa personne à l’Imperator romain. Pour Astérix, c’est moins la présentation historique qui compte (de qualité médiocre) que le portrait de la France des Trente Glorieuses en creux. Gossinni détourne les textes antiques de façon sympathique.

De la même façon, les Germains ont été récupérés par la propagande nazie.

Les Celtes ont jusque là été épargnés par la récupération, à part en Irlande aux XVIIIème – XIXème siècles, mais avec peu de retentissement. Les Celtes restent une ancestralité libre.

Dans les années 1980-1990, les Celtes ont été récupérés comme ancêtres de la construction européenne puisqu’ils ne sont rattachés à aucune nation particulière. Cela ne met pas de prééminence sur les Français ou les Allemands. Les archéologues ont été plutôt complaisants. Les Celtes ont été aussi revendiqués par des communautarismes régionaux (Galice, Asturies, etc.). Il s’agit de l’invention d’un folklore celtique globalisé, mondialisé.

Bibracte est un haut lieu historique au cœur de la Bourgogne et à 20km d’Autun. C’est un lieu de mémoire (au sens de Pierre Nora). C’est un lieu de la guerre des Gaules C’est là que Vercingétorix s’est vu confirmer le commandement après Gergovie. C’est là que César a passé son dernier hivernage après Alésia et c’est là qu’il rédigea la Guerre des Gaules. C’est un lieu important pour l’histoire de France … (il était probablement en retrait, vers Autun pas encore fondé)

C’est un site archéologique majeur, bien conservé, avec des vestiges du Ier siècle recouvert par la foret quand à la fin du 1er siècle, la ville a été reconstruite à Autun. C’était la capitale des Eduens. C’est un site qui a attiré les archéologues très tôt, dès le milieu du XIXème siècle. C’est l’un des sites où l’archéologie protohistorique s’est créée. Ce site a permis à Joseph Déchelette de caractériser au début du XXe siècle les villes fortifiées (oppida) typiques de la fin de l’âge du Fer. Les recherches de terrain ont débuté sous Napoléon III, et reprennent en 1984 sous des auspices très traditionnelles et nationales. Le musée de Bibracte est inauguré en 1995 par François Mitterrand et n’échappe pas au Celtic Revival de l’époque, du moins par son nom… Le « musée de la civilisation celtique » : c’est maintenant plus un vestige archéologique.

En réalité, la présentation de Bibracte, ville fortifiée du Ier s av JC, se fait dans un contexte européen. Dans les faits, le propos était celui d’un musée de site qui avait l’ambition d’insérer Bibracte dans des contextes géographique et historique larges, en « posant » les Celtes dès l’entrée du parcours, avant de développer un propos plus franchement archéologique. Le bâtiment est moderne.

Depuis le début des années 1990, il y a une relecture des sources et de l’histoire de la recherche pour comprendre la construction des concepts. Il s’agit de bien définir le terme Celte.

Cette tradition celtique est très vivace dans les îles britanniques et en Europe, les Celtomaniacs ont laissé la place aux Celtosceptics.

On a convenu qu’il fallait abandonner le grand récit des migrations celtiques, construit à partir de la fin du XIXe siècle. Ce récit est le produit de la confusion du vocabulaire (entre Celtes des historiens, des archéologues et des linguistes) et de l’engouement pour la lecture culturaliste des données archéologiques, dont les hérauts furent Gustav Kossina et Gordon Childe. La « chose celtique » pour les linguistes est très vaste (breton, gaélique, … ce sont des langues celtiques). La lecture culturaliste du passé s’est développée au XIXème siècle.

Comment, dans ce contexte, reconstruire en 2010 le discours d’un musée de site ?

Il s’agit de revenir aux sources. Le choix fut de revenir à la conception de Joseph Déchelette pour qui c’est la nature des relations entre les hommes qui compte, et non l’identité de ceux-ci. Ce savant commerçant est celui qui a permis de faire connaître Bibracte. Son approche échappe au discours culturaliste. Il avait une approche essentiellement spatiale. Il étudie les réseaux.

Le parti pris est donc de prendre comme sujet du musée le lieu lui-même plutôt que le peuple qui est supposé l’avoir investi à un moment donné de son histoire. On ne parle plus d’ancêtres mais de « prédécesseurs ». L’architecture du musée s’y prête. Le musée est la porte d’entrée du site archéologique qui se dévoile dans son écrin forestier.

La lecture se fait davantage sous l’angle de la géographie que de l’histoire. Les habitants de Bibracte sont nos « prédécesseurs » plutôt que nos ancêtres. l’héritage est marqué par eux.

La question de l’identité culturelle est secondaire dans le musée.

A quoi ça sert de fouiller des sites d’il y a 2500 ans ? Aujourd’hui, il y a un problème de déprise des services publics : il est important de voir d’où l’on vient. Sur le long terme, à l’aide des traces actives de choix qui ont été faits il y a plus de 2000 ans par les Eduens.

  • ouverture du musée sur le paysage du Morvan.

  • L’archéologie permet de voir des traces

  • familiarité avec le passé est impossible : on ne peut pas se mettre dans la tête des gens d’il y à 2000 ans

Le contexte environnemental : la porte d’entrée d’un site archéologique est important, sur la forêt.

Révélation progressive de l’ossature topographique de la ville gauloise.

Conclusion : l’archéologie permet d’introduire un espace géographique au travers de la narration de son histoire, peu importe la culture historique du visiteur. C’est le paysage qui porte quelque chose des Gaulois.

Remarque-question : ce sont les lois de 1941 et 1942 qui imposent la protection des vestiges archéologiques

Réponse : ce texte était déjà écrit avant Vichy, inspiré de Mussolini.