Cléopâtre, héroïne romantique des mangas : s’il est une femme de pouvoir qui est devenue une légende de son vivant au sens premier, c’est bien Cléopâtre VII Philopator. Dernière reine d’Égypte célébrée autant pour son intelligence que sa beauté, elle a, depuis sa mort, alimenté une très vaste production artistique plus ou moins populaire à l’échelle de la planète, preuve qu’elle a su traverser le temps et son histoire transcender les époques. À ce titre, il est logique et attendu que les mangakas en ait fait leur héroïne principale, essentiellement au travers de one shot[1].

Au mois de septembre dernier, les éditions Pika ont traduit et proposé un manga à vocation pédagogique signé conjoitement par Natsumi Mukai et Nozomu Kawai consacré à Cléopâtre. Cette publication est donc l’occasion de revenir sur le traitement et l’image véhiculée par la bande dessinée japonaise de la dernière reine d’Égypte et de revenir sur quelques aspects des représentations graphiques et artistiques de cette dernière depuis les années 70.

Cléopâtre pour les Nuls

Procédons à quelques rappels au cas où … Qui est Cléopâtre à part Monica Bellucchi ou Elizabeth Taylor ? Sans reprendre l’intégrale de la biographie que Maurice Sartre lui a consacré[2], nous nous contenterons ici d’en rappeler les (très) grandes lignes.

Cléopâtre, née vers 69 et morte le 12 août de l’an 30 av. J.-C, est issue de la dynastie des Lagides. Son ascendance est en partie obscure. Fille de Ptolémée XII Aulète, l’identité de sa mère reste encore osbcure. Concubine égyptienne ? Gréco-macédonienne ? Rien n’est sûr. Cléopâtre règne sur l’Égypte entre 51 et 30 avec ses frères-époux Ptolémée XIII et Ptolémée XIV. Elle est restée célèbre pour avoir été la compagne de Jules César puis de Marc-Antoine, avec lesquels elle a eu plusieurs enfants. Partie prenante dans la guerre civile opposant Marc-Antoine à Octave, elle est vaincue à la bataille d’Actium en -31. Sa défaite permet aux Romains de mener à bien la conquête de l’Égypte, événement qui marque la fin de l’époque hellénistique et de la dynastie des Lagides.

Buste de Cléopâtre VII (Altes Museum, Berlin)

A ce titre, Cléopâtre est donc une figure historique présente dans les mangas pédagogiques comme Jeanne D’Arc. Certains universitaires n’ont pas hésité à signer quelques versions à destination des plus jeunes, comme Jinbutsu-den : Cleopatra kodai Egypt, la version proposée en 2018 pour le scénario par Hiroshi Sakamoto né à Sendai en 1954 professeur spécialisé dans l’histoire romaine et vice-président de l’Aoyama Gakuin University tandis que Sakamoto Hiroshi assure les dessins. Quant au manga proposé par les éditions Pika, il est accompagné d’un dossier historique assez fourni pour permettre une première approche de la période.

 

Une héroïne romantique idéale pour un shōjo

Cléopâtre offre tout comme Jeanne d’Arc un profil et une ligne scénaristique idéale dont les angles morts permettent la fantaisie. Femme de pouvoir et ancrée dans l’histoire, célèbre à la fois pour sa beauté et son pouvoir politique, elle est donc tout comme la Pucelle d’Orléans représentative d’un certain idéal féminin. Sa vie en elle-même, plus longue et davantage connue que celle de Jeanne est un long roman : héritière d’une dynastie prestigieuse rattachée aux exploits d’Alexandre le Grand, Cléopâtre se retrouve à la tête d’un pays et d’une civilisation millénaire qui continue de faire rêver. Mais, davantage que son rôle politique, ce sont ses amours tumultueuses et sa mort mêlant le tragique et le romantique qui prennent en général le dessus comme en attestent les premières productions culturelles d’envergure qui lui sont consacrées telles que la pièce de théâtre de William Shakespeare Antoine et Cléopâtre publiée en 1623. Mais, à l’inverse de Jeanne d’Arc, Cléopâtre peut et fait l’objet d’une sexualisation parfois outrancière. Cet aspect, influencé par les sources et la propagande romaines ont aussi créé une légende noire qui, tout en n’occultant pas son intelligence politique, insiste davantage sur ses mœurs dissolues contraires à la morale sous la période d’Auguste. Elle se rapproche ainsi davantage de la prostituée et de l’intrigante, aspect déjà abordé bien avant l’avènement de la bande dessinée japonaise, chez Dante ou Boccace.

Dès lors, les mangakas spécialisés dans le genre shōjo (« manga pour filles »)  n’ont pas à aller chercher bien loin le scénario, Cléopâtre faisant figure d’héroïne historique idéale.

 

… Où Liz Taylor, Claudette Godard et Saori Kido ne sont jamais très loin …

Mais, avant de revenir sur les mangas à proprement parler, il faut aussi revenir sur le traitement de Cléopâtre brièvement dans l’industrie du cinéma, ce point jouant un rôle important pour la suite. Très tôt, Cléopâtre a fait l’objet d’adaptations cinématographiques nombreuses plus ou moins connues et réputées.

Si nous avons tous en tête la référence absolue et le film réalisé en 1963 par Joseph L. Mankiewicz et ayant en tête d’affiche Élizabeth Taylor et Richard Burton, il ne faut pas oublier certains précédents. En 1917, Theda Bara l’incarne dans un genre qu’elle contribue à forger : celui de la vamp. Puis en 1934, c’est au tour de Claudette Colbert dans la version de Cecil B DeMille de l’incarner. Le cinéma n’hésite pas à l’érotiser très tôt en proposant quelques bons gros nanars destinés plutôt à célébrer la femme libre à l’appétit sexuel débridé que la femme politique et romantique. A ce titre, le film italien Due notti con Cleopatra de Mario Mattoli avec Sophia Loren en 1953, en est un parfait exemple, tout en restant malgré tout grand public.

 

 

La bande dessinée européenne elle-même n’est pas en reste, les productions occidentales étant particulièrement nombreuses. N’oublions pas également la très vive polémique qui a éclaté au mois de septembre dernier concernant la prochaine adaptation de la reine d’Égypte par Pat Jenkins qui a confié le rôle à l’actrice israélienne Gal Gadot connue à l’échelle internationale pour interpréter Wonder Woman. La polémique, qui peine à masquer un antisémitisme latent, expose que Gal Gadot serait trop blanche et « pas assez africaine » pour interpréter le rôle. Nous ne reviendrons pas sur ces débats stériles concernant la couleur de peau de Cléopâtre (une partie de ses origines étant incertaines), mais nous les garderons en tête pour voir comment Cléopâtre est traitée dans les mangas dans un pays qui, contrairement à l’Europe et la France, n’a jamais été gagné par une quelconque forme d’égyptomanie, qu’elle soit populaire ou élitiste[3].

Si le manga est une publication essentiellement en noir et blanc, elle n’occulte pas toutes les nuances de teintes possibles et il est possible d’introduire différentes subtilités dans la carnation d’un personnage. Mais Cléopâtre ne souffre d’aucune ambiguïté dans la bande dessinée japonaise. Le débat sur ses origines est globalement tranché : pour les mangakas elle est grecque avant tout comme le montrent les traitements représentatifs proposés par Machiko Satonaka et le duo composé de Natsumi Mukai et Nozomu Kawai. En effet, leurs versions s’ouvrent sur la conquête de l’Égypte et la présente dès la première page en héritière directe de Philippe et d’Alexandre via le Général Ptolémée 1er tandis que sa mère n’est pas réellement évoquée. Elle est, dans la très grande majorité des cas (si ce n’est la totalité), dotée d’un teint clair et pâle, et ses cheveux sont raides et noirs. Mais il faut ici quitter les polémiques occidentales, se décentrer et revenir sur la symbolique de la peau claire en Asie en général et en au Japon en particulier. Il ne faut absolument pas y voir ici une quelconque forme d’influence occidentale sur un idéal de beauté mais bel et bien un trait culturel spécifiquement japonais poussant les femmes à adopter un teint clair et à fuir les rayons du soleil. Cette attitude, présente dès l’époque de Nara (VIIIème siècle après J.-C.) se résume par une expression celle de « la beauté blanche » que traduit le terme de 美白 (bihaku), qui concerne principalement les femmes, les hommes étant peu ou pas concernés par cette recherche de la blancheur. Cette caractéristique se retrouve toujours chez les geishas qui intègrent ce fameux maquillage blanc sur leur peau qui fait d’autant plus ressortir le rouge de leurs lèvres et le noir de leur chevelure architecturalement relevée. Par conséquent, le traitement graphique de Cléopâtre correspond parfaitement en tous points à cet idéal de beauté féminine japonaise qui n’est pas tombée en désuétude à la grande joie des dermatologues japonais. De là à penser que Cléopâtre est une forme de geisha égyptienne inconsciemment pour le/la mangaka ? Il s’agit là d’une hypothèse que je risque à titre personnel … (de l’audace encore de l’audace toujours de l’audace comme le disait Depard… non … Danton)

Mais, au-delà de cette caractéristique nous pouvons cependant noter la très forte inspiration de certains dessinateurs qui n’hésitent pas à reprendre pour modèle les actrices occidentales qui ont incarné la reine d’Égypte. Ainsi, il est difficile de ne pas penser à Claudette Godart dans la version proposée par Kasumi Kuroda en 1996, ou encore Élizabeth Taylor, incontournable, dans le manga très réaliste du point de vue graphique proposé par Seisaku Kano et Ryo Kurashina intitulé Cleopatra : Sekai Jotei Retsuden ou encore chez Tezuka.

Mais, parmi toutes ses représentations il en est une, assez unique, qui ne manquera pas de faire sourciller quelques passionnés avec le cas de l’illustratrice Michi Himeno qui s’affranchit de toute représentation réaliste. Michi Himeno est avant tout connue pour avoir été l’assistante personnelle de Shingo Araki, lui-même character designer de séries illustres connues en Occident parmi lesquelles Ulysse 31, Lady Oscar mais aussi et surtout Saint Seiya. Reprenant les traits et le style du Maître, elle propose une série d’illustrations pour non pas un manga, mais plutôt pour un roman illustré intitulé Alexandria Monogatari et nous propose une Cléopâtre plus proche, selon les plans pour les fins connaisseurs, de Saori ou de la princesse Hilda de Polaris que de la reine d’Égypte. Notons également le traitement de César, Marc-Antoine qui montre que de toute évidence que quelques Gold Saints se sont livrés à un cosplay pour l’occasion ![4]

Si depuis quelques années des interrogations subsistent quant aux représentations du corps féminin dans le manga et qu’une certaine confusion règne quant à l’âge supposé d’héroïnes mineures hypersexualisées, en général Cléopâtre reste représentée en adulte et ne souffre globalement d’aucune ambiguïté visuelle sur son âge supposé. Seules quelques exceptions entretiennent encore une confusion dans le trait comme cette version publiée en 2016 Cleopatra na Hibi proposée par Mitsuki Yanagihara.

 

… présentée comme une intelligence et une patriote …

Enfin, les mangas cas n’oublient pas de louer son intelligence et sa culture très vastes, en une case ou davantage. A l’occasion elle se fait civilisatrice : sous son influence César aurait adopté le calendrier solaire grâce à elle selon Machiko Satonata. Quelles que soient les versions proposées, on rappelle qu’elle parle neuf langues et qu’elle a agi et est morte avant tout pour l’Égypte et son peuple, justifiant ainsi son surnom Philopator, « qui aime sa patrie ». Ce trait ne peut que rejoindre un certain idéal du courage, le sens du suicide de sacrifice au profit de la collectivité[5] vu positivement dans la culture japonaise comme une preuve de la liberté humaine, de sa dignité et de son courage [6].

Patriote, elle est également présentée comme modeste et studieuse durant sa jeunesse, la mangaka Machiko Satonaka n’hésite pas à la mettre en miroir scénaristique avec sa sœur Bérénice présentée comme futile et volage, peu intéressée par les études. Mais, si son intelligence, son savoir et sa vaste culture sont soulignés, pour autant ils ne constituent pas pour autant l’axe des intrigues proposées dans les mangas. Ce qui intéresse avant tout l’auteur sont ses amours avec Jules César et Marc-Antoine qui dépassent tout autre sujet, occulté par la dimension romantique de l’histoire de Cléopâtre. La géopolitique et les causes menant à la bataille d’Actium restent présentes mais secondaires comme le chaînon manquant menant à son suicide.

A ce titre nous pouvons souligner tout l’effort du seinen (manga pour jeune homme) de Chie Inudoh. En effet, Reine d’Égypte s’écarte des stéréotypes classiques pour s’intéresser en plusieurs volumes à l’action politique d’Hatchepsout, reine-pharaon et cinquième souverain de la XVIIIème dynastie, subordonnant et soumettant l’histoire d’amour aux ambitions et réalisations politiques de l’héroïne. Pour autant, son auteur ne revendique pas avoir créé un manga historique à proprement parler. Selon Chie Inudoh 80% de l’intrigue résulte de la fiction : « Il y a énormément de part d’ombre dans l’Histoire mais cela donne aussi beaucoup de liberté dans l’écriture du personnage. Il n’y a pas de réponse absolue sur le passé d’un personnage comme Hatchepsout, il faut donc considérer Reine d’Égypte comme ma propre interprétation de cette figure historique » explique-t-elle[7]. Interrogée sur son choix d’avoir choisi Hatchepsout plutôt que Cléopâtre elle avance les explications suivantes : « La grande différence, c’est qu’à l’époque de Cléopâtre, l’Egypte était plutôt en position de faiblesse. Quand un Empire ou un pays se trouve en position de faiblesse, c’est moins rare de voir des femmes accéder à sa tête. Alors que pour Hatchepsout, c’était à l’époque où l’Empire égyptien était extrêmement fort et puissant, et donc c’était encore plus rare et peu naturel qu’une femme devienne reine à cette époque-là. C’est pour cela qu’Hatchepsout m’a paru plus intéressante que Cléopâtre »[8]. Indirectement, cette dernière réflexion démontre bien la difficulté de traiter de Cléopâtre en dehors de ses relations personnelles.

 

… mais une beauté sexy et romantique avant tout …

Globalement, la figure historique de Cléopâtre se prête à peu près tous les genres possibles de mangas, que ce soient le genre pédagogique, le seinen, le shōjo ou encore le hentai. Ce dernier relevant de la pornographie la plus crue et la plus violente sera bien entendue ici écarté mais, Cléopâtre y est particulièrement présente conformément à une réputation que l’Antiquité et certains auteurs romains lui ont construit. Tout au plus, nous pouvons mentionner le film érotique réalisé par le pape du manga et de l’animation japonaise Osamu Tezuka sorti en 1970 qui fait la part belle aux scènes dénudées, et où Jules César a, très judicieusement, un teint vert adapté à sa position de prédateur. Ce film a fait l’objet d’une adaptation en manga par Tezuka et Hisashi Sakaguchi sortie exclusivement dans le numéro d’octobre 1970 du magazine COM Supplement.[9]

 

Dans la catégorie du shōjo, un manga se distingue comme la référence, celui publié en 1976 par Machiko Satonaka et publié chez Black Box en France en 2015. Ici, la fiction l’emporte assez largement et, après lecture de manière assez efficace. Mais il faut renoncer à une partie de la réalité historique. Cléopâtre est dotée d’une belle-mère nommée Europe (!), experte en manipulation et qui tente un coup d’état pour s’emparer du pouvoir. Elle tue le frère de Cléopâtre Ptolémée XIII et cherche à obtenir l’assentiment de César pour monter sur le trône d’Égypte. Cléopâtre, qui est sauvée par son conseiller Rei (son amoureux secret depuis l’enfance…), s’affirme et décide de s’allier à Rome afin de se venger et de servir le peuple. Jules César tombe, bien sûr, sous le charme de la jeune reine et lui accorde le trône. Le traitement psychologique nous propose une Cléopâtre moins shakespearienne qu’oedipienne puisqu’à travers Jules César, la jeune Reine avoue se chercher à la fois un père et son Alexandre le Grand qui la comblera sur le plan affectif. Certains épisodes faisant partie du mythe romanesque sont délibérément écartés. Ainsi la rencontre entre Jules César et Cléopâtre écarte l’épisode du tapis, mais par contre, celui de la perle dans du vinaigre est présent mais comme étant un goût personnel de la reine et non une démonstration ostentatoire de sa puissance et de sa richesse. Elle n’a ici qu’un seul enfant, Césarion, au lieu de quatre, et qui a la vie sauve. La fin se termine logiquement par la bataille d’Actium et la victoire d’Octave. Le drame n’est pas loin puisqu’après l’avoir haï, Octave, grand seigneur tombé sous son charme, souhaite la ramener à Rome pour l’y épouser. Cléopâtre décide de se suicider mais non avec une vipère aspic mais du poison que lui avait remis son conseiller Rei au cours d’une conversation prémonitoire.

 

« Cléopâtre contre les nazis »

Mais en fouillant et en compilant les divers mangas mettant en scène la dernière reine d’Égypte nous pouvons tomber sur quelques fantaisies surprises. De même, que nous retrouvons Cléopâtre aux côtés de Jeanne d’Arc dans la série Fate Grand Order, une série doit être mentionnée : IM – Great Priest Imhotep de Makoto Morishita publié depuis 2015, qui met en scène le plus puissant des prêtres magiciens de l’ancienne Égypte, dans un combat millénaire contre les Magai. Imhotep est amené à affronter une Cléopâtre négative et simpliste qui souhaite ici venger sa défaite à Actium qui lui a fait tout perdre.

La représentation de Cléopâtre dans le RPG Fate Grand Order qui connait de nombreux dérivés dans l’univers de l’anime et du manga permet quant à elle de saisir quelques éléments intéressants en tant que caricature historique aboutie de la dernière Reine d’Égypte : un physique attrayant, des yeux perçants dominateurs et une peau blanche, cheveux longs de couleur bleu nuit, l’aspic enroulé autour de la cuisse rappelant sa mort en plus d’ajouter un soupçon de danger. La coiffe des pharaons le némès de couleur or et bleue, popularisé par la coiffe funéraire de Toutankhamon, est ici recyclée en paréo et sexualisée à son tour.

Enfin, Cléopâtre tout comme Jeanne d’Arc sert parfois de prétexte à des mangas n’ayant plus rien à voir avec l’histoire et l’Égypte. Le shonen Cleopatra DC de Kaoru Shintari publié en 1986, mais non traduit en français, s’inscrit dans cette veine. Le fil directeur est le suivant : le groupe Cleopatra Corns, alias Cleopatra DC, est un puissant conglomérat financier contrôlant la majeure partie de l’économie américaine, presque aussi puissant que le gouvernement américain lui-même. Au sommet de l’organisation se trouve la (forcément) très belle, intelligente et courageuse Mme Cleo (tiens ?), Présidente du Groupe qui multiplie les aventures improbables à coup d’artefacts volés et de projets top-secrets qui tournent mal.

Et puis …. Vient le jour où j’ai eu la surprise de tomber sur une version en cours au Japon totalement loufoque et barrée qui pourrait a priori s’intituler en français : « Cléopâtre contre les nazis » mais qui s’intitule Cleopatra and the Iron Cross et qui a pour auteur Manabe Jouji [10].

En voici le résumé … Le premier volume s’ouvre sur le suicide de Cléopâtre qui tient fièrement tête à Octave, ici dans le rôle caricatural de l’imbécile victorieux agressif, furieux de ne pouvoir capturer vivante la dernière reine d’Égypte. Cléopâtre, tout en narguant son vainqueur se fait mordre par un serpent plus proche d’un python géant que d’une vipère aspic. Elle sombre dans un sommeil éternel profond. Notons que ce début, fait totalement abstraction de la vie passée de Cléopâtre, aucune mention de César ou de Marc-Antoine ou des raisons expliquant sa défaite… dans un premier temps !

Elle se réveille quelques siècles plus tard, en 1942, à la frontière entre l’Égypte et la Libye sous l’œil d’Anubis, la faute à un vacarme épouvantable se déroulant au-dessus de sa tête. Prévenue par le dieu Anubis visiblement excédé par cette reine capricieuse, elle entreprend d’aller voir en surface qui ose venir troubler le sommeil éternel de sa modeste et royale personne. Ne comprenant pas vraiment ce qui se passe, elle ne tarde pas à se fait attraper par un lieutenant italien, prénommé comme par hasard Antonio visiblement tout aussi surpris de tomber nez à nez avec une bombe sexuelle à deux mètres de son char et qui le confond très vite avec « son » Marc-Antoine dont elle garde un souvenir ému.

Ce manga offre la possibilité de voir à peu près tous les stéréotypes d’hypersexualisation de Cléopâtre. En effet, si nous passons sur ces attributs physiques extrêmement généreux, son habillement n’a strictement plus rien d’égyptien puisqu’il se résume à un string, un soutien-gorge minimaliste qui ne laisse plus de place à l’imagination, et au port d’un pantalon particulier qui au fil du temps est passé du monde des cow-boys à celui de la prostitution : les chaps. Quelques bijoux choisis viennent cependant rappeler son identité antique. Cependant, ne soyons pas injuste : l’auteur a su faire preuve de réalisme historique extrême dans le traitement de la bataille à proprement parler puisqu’il s’est directement inspiré du film de Franklin J. Schaffner Patton, sorti en 1970 pour dessiner de manière réaliste l’armée en mouvement.

 

C’est sur cette note qui sauve l’honneur de l’armée que je vous laisse avec ces diverses références … 🙂

Cécile DUNOUHAUD

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[1] One shot : expression consacrée désignant un volume unique.

[2] Maurice Sartre Cléopâtre un rêve de puissance, Paris Éditions Tallandier, 2018.

[3] Le Japon a cependant été à partir du début du XXème siècle un centre de fabrication de bibelots d’inspiration égyptienne dans le but de conquérir de nouveaux marchés. Par exemple la manufacture de porcelaine Noritake exporte des objets vers les États-Unis et la Grande-Bretagne avec succès. Cf Jean-Marcel Humbert Titillons Néfertiti : l’égyptomanie, un art éminemment populaire (1880-1980) – Lien internet : https://books.openedition.org/inha/7200?lang=fr

[4] Pour les vrais geeks : l’honneur de Shakka et de Mû est sauf ! Par contre Aïolas …

[5] Voir à ce sujet l’ouvrage incontournable de Maurice Pinguet La mort volontaire au Japon, Gallimard, 1984 pour la première édition.

[6] Bernard Steven Éthique et suicide au Japon, Revue Philosophique de Louvain, année 2003, 101-1, pp. 71-79

[7] Interview pour mangasnews.com, 8 juin 2017 disponible ici : https://www.manga-news.com/index.php/actus/2018/05/21/Interview-Chie-Inudoh-Reine-dEgypte#:~:text=Il%20n’y%20a%20pas,distingue%20des%20personnages%20%22mauvais%22.

[8] Interview pour planèteBD menée par Nicolas Demay, 11 juin 2017 disponible ici : https://www.planetebd.com/interview/chie-inudoh/1035.html

[9] Ce manga a été publié à nouveau au Japon en 2018.

[10] Il est interdit aux moins de 17 ans. La série n’est pas traduite en français mais en allemand. Deux tomes sont pour le moment disponibles.