L’année dernière Pierre-François Souyri avait fait forte impression lors d’une table ronde sur les rebellions paysannes (http://www.clionautes.org/spip.php?page=article&id_article=3283). Le retrouver seul devant un public conquis était un grand moment. Un public demandeur (« continuez ! » entendait-on alors qu’on se préparait au rituel des questions. Un public comblé car P.F. Souyri déborda de 30 minutes l’horaire prévu.

LA FIN DE DEUX EMPIRES

S’appuyant tout au long de la conférence sur un pseudo power point bricolé et dont il s’amuse, parfois hilarant, parfois terrifiant, P.F. Souyri abordait le sujet du démantèlement de l’Empire japonais en septembre 1945.

Il fallait avant tout clarifier les choses sur la notion d’Empire. Car la fin de l’Empire est à la fois celle de l’Empire colonial japonais et celle de l’Empire traditionnel immémorial, avec un empereur qui règne mais qui ne gouverne pas, un empereur qui « est », un point c’est tout. Un empereur, Hiro-Hito en l’occurrence qui, entre 1932 et 1940, est plus un shogun qu’un empereur traditionnel. Sa responsabilité en tant que tel, que criminel de guerre, fut d’ailleurs éludée suite à une entrevue atypique avec Mac Arthur au quartier général des forces US de Tokyo. Il faut voir P.F. Souyri raconter avec plaisir et humour cette rencontre, Mac Arthur impressionné, Hiro-Hito craignant pour sa vie, un grand type de l’Arkansas mal à l’aise avec son corps (1,83 m) face à un homme de haute lignée mais mesurant à peine 1,65 mètres. Contraste saisissant immortalisé par ce que P.F. Souyri appelle la « photo de mariage », non sans malice.

Hiro-Hito fut en fait épargné par pragmatisme, contre l’avis de Truman, car Mac Arthur avait besoin de lui pour « tenir » le Japon. L’éviction ou la condamnation de l’Empereur faisait craindre au général une résistance et un ressentiment inouï. On fit donc comme si Hiro-Hito n’avait rien vu, rien su, tout en exécutant des « méchants » plus consensuels, comme Hideki Tojo, Koki Hirota ou Seishiro Itagaki. On tournait la page, et on envoyait ainsi un message fort au simple soldat, au sous-officier : si l’Empereur est innocent, ne le suis-je pas aussi ?

Une des forces de la conférence de P.F. Souyri était de montrer que, contrairement aux idées reçues, les Japonais étaient réellement fatigués de la guerre, et que la capitulation et le passage à un régime démocratique fut un immense soulagement pour le pays tout entier, qui approuva à 70% la nouvelle constitution, avec le fameux article 9 sur le renoncement à la guerre récemment remis en cause par Shinzo Abe, le premier ministre actuel.
Il faut dire qu’en septembre 1945 le Japon est dans un état de délabrement total, littéralement mis à plat par les bombardements, et pas seulement ceux de Hiroshima et de Nagasaki, ou de Tokyo, au napalm.

LES SOVIETIQUES ECRASENT L’ARMEE DU GUANDONG : PLUS FORT QUE HIROSHIMA ET NAGASAKI ?

A ce sujet, P.F. Souyri pense que, plus que les deux bombardements atomiques, c’est l’entrée en guerre de l’URSS contre le Japon le 8 août qui provoque la capitulation. Il faut dire que les Japonais ont déjà l’expérience du combat face aux soviétiques, qu’ils ont combattu de mai à septembre 1939 entre Mongolie intérieure et Sibérie. L’armée du Guandong y subit alors une sévère défaite, ce qui pousse le Japon à signer un pacte de non-agression avec l’URSS en 1941….deux mois avant la rupture du pacte Ribbentrop-Molotov par Hitler !
Or le 8 et le 9 août 1945 l’armée rouge se rue littéralement dans les territoires contrôlés par l’armée japonaise qui détale, officiers en tête. Cette armée du Guandong, intacte, était peut-être la dernière carte du régime Showa. D’où la décision de capituler prise par Hiro-Hito le 10 août et concrétisée le 2 septembre.

Il fallait ensuite rapatrier les Japonais encore situés dans l’ancienne « sphère de coprospérité », vers un un pays exsangue. En somme il convenait de les sortir de cet empire colonial élaboré à la fin du XIX° siècle avec la mise sous tutelle de Taiwan, puis de la Corée, jusqu’à l’invasion de la Mandchourie en 1932. A ce sujet, il est curieux de comprendre que la seconde guerre mondiale est en fait la coexistence d’une « guerre idéologique », dira-t-on, en Europe et d’une guerre de type colonial, du moins dans l’esprit des Japonais, en Asie.
Le rapatriement se fit entre 1945 et 1956. Dans la plupart des anciens pays sous domination japonaise, les choses se passèrent plutôt bien, y compris en Chine, où l’on s’arrangea pour trouver des moyens de ramener les citoyens japonais au bercail, peut être de peur qu’ils ne forment en restant une cinquième colonne. Certains soldats nippons furent même embauchés par les maoistes pour faire la guerre aux nationalistes. En revanche les choses allèrent plutôt mal en Corée, où les soviétiques commirent de nombreuses exactions contre les Japonais et encouragèrent les Coréens à faire de même. Cela amena plus tard une grande partie de la population japonaise à être résolument anti-communiste tandis que, de façon inattendue, la moitié des réfugiés Coréens devenait elle farouchement pro-communistes. La mention des réfugiés japonais, avec une image très forte d’une petite fille portant à son cou un sac avec des restes de sa famille, permettait à P.F. Souyri de faire un parallèle avec les réfugiés d’aujourd’hui, sans moralisme aucun, mais montrant bien l’absence de choix et le désarroi de populations entières.

Plus qu’une conférence, c’était en fait un véritable cours sur ce que fut le Japon et ses relations avec ses voisins, ses ennemis et ses alliés (pour peu que l’Allemagne nazie ait été une allié du Japon, ce que beaucoup de faits contredisent) entre 1932 et 1945.
L’automne 1945 marque au final l’émergence d’un nouveau Japon, pacifique, démocratique, où bientôt Hiro-Hito posera aux côtés de Mickey, traduisant ainsi involontairement la mise sous tutelle militaire du pays par les Américains lors du traité de San Francisco en 1952, traité inégal, comme le rappelait P.F. Souyri qui fut longuement applaudi en fin de conférence.

Mathieu Souyris, lycée Paul Sabatier, Carcassonne