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À l’occasion de la sortie en format de poche d’une nouvelle édition revue et augmentée de son ouvrage publié en 2011 aux éditions Vendémiaire, Maquis noirs et faux maquis (1943-1947) , Fabrice Grenard anime un café historique en présence d’une assistance nombreuse.

Les guerres suscitent souvent des périodes de banditisme : ainsi en va-t-il des Grandes compagnies durant la Guerre de cent ans, des chauffeurs sous le Directoire, ou encore des attaques de diligences durant la guerre de 1870-1871. La guerre crée des zones de non-droit, la guerre civile davantage encore quand elle s’accompagne d’un effondrement de l’État. C’est le cas en 1944 ou la création de maquis représente un véritable défi à l’autorité de Vichy. Ainsi le préfet de Corrèze déclare-t-il, en février 1944, ne contrôler dans son département qu’un canton sur deux.

Les vrais maquis

La Résistance en France n’avait pas pensé à créer des maquis. Pour les communistes, l’action armée devait être menée dans les villes. Pour les non communistes, l’idée était d’organiser une Armée secrète qui ne passerait à l’action que quand les Alliés le lui demanderaient. C’est le Service du travail obligatoire (STO) qui, en multipliant les hommes qui cherchaient à se cacher, obligea les organisations de résistance à organiser des camps de réfractaires. Les premiers furent des « camps pouponnières » qui rassemblaient de jeunes hommes sans expérience qu’il fallait prendre en main. Les instances dirigeantes de la Résistance se trouvèrent donc devant un fait accompli, ce qui suscita une crise terrible : à Londres, où on ne voulait pas les armer ; dans la Résistance intérieure où on avait des projets différents. Néanmoins fut créé le Service National Maquis qui avait pour objectif de transformer les réfractaires en combattants.

On se représente souvent les Glières comme l’exemple du maquis, mais il s’agit au contraire d’un contre-exemple : les maquisards sont des militaires, ils sont nombreux, ils ont un camp, ils entreprennent une lutte frontale avec la Milice puis les Allemands. Les maquis sont en réalité de petits groupes mobiles qui vivent dans une ferme, un alpage etc. et sont intermittents. L’objectif des chefs de maquis et aussi d’incarner un contre-pouvoir. On parle de « préfet du maquis », qui légifère sur l’espace du maquis, en fixant les prix, en luttant contre le Ravitaillement général etc. Dans ces zones contrôlées par les maquis, les tournées des gendarmes sont suspendues. Des zones de non droit sont donc créées dont profitent les bandits.

Le banditisme profite des zones de non droit

Au début de 1944 il est facile de se faire passer pour un maquisard et de réquisitionner. Des voyous en profitent. L’existence de faux maquisards est un phénomène dont tout le monde parle, à commencer par les chefs de maquis qui entendent lutter contre ce banditisme : la lutte contre les faux maquis est même le « second front » du maquis. Fabrice Grenard donne l’exemple de Lucien et Jean Jacquet qui, originaires de l’Aisne vont se fixer à Limoges après l’exode. Au début de 1943, avec quelques acolytes, ils constituent une petite association de malfaiteurs pour braquer les commerçants. L’intervention des gendarmes les conduits à changer de plan et à procéder à des attaques de fermes. Ils agirent dans l’espace du département non contrôlé par Guingouin et réalisèrent plus de 50 opérations de banditisme.

Typologie des faux maquis

– Groupe rassemblant de vrais bandits
– Groupe de réfractaires qui se cachent et vivent sur le pays
– Groupe de collaborateurs qui infiltrent la Résistance, pour la discréditer et la couper de la population, ou pour la noyauter afin de la détruire. Un exemple sinistre est celui de Pierre Paoli, chef de la Gestapo de Bourges, qui s’installe en 1944 avec les Allemands dans la région de Sedan. Les Allemands lui demandent de créer un contre maquis. Paoli rassemble des hommes qui ne sont pas connus dans la région, qui sont vêtus comme des maquisards, qui se font connaître en parlant de parachutages à organiser. D’authentiques patriotes rejoignent ce maquis. Paoli parvient à prendre contact avec les véritables maquis et organisations de résistance. Un jour, Paoli fait arrêter et exécuter tous les jeunes qui l’ont rallié ainsi que tous les cadres locaux de la résistance.
– Groupe constitué par des chefs de maquis déviants qui deviennent de petits tyrans de campagne. Ainsi Alex Hardy, exilé russe, qui intègre un maquis, puis fonde le sien. Ces hommes vivent sur le pays, ce qui provoque l’hostilité de la population et il est dénoncé aux Allemands. La mémoire en a fait un faux maquis alors que son intention était résistante. L’exemple le plus étonnant est celui du maquis Lecoze à Loches.

Le maquis Lecoze à Loches

Avec le soutien de résistants locaux, en particulier d’un des chefs de l’Armée secrète de Loches, Dubosq, qui se fait désormais appeler « capitaine Lecoze », décide de fonder son propre maquis. Il reçoit un appui de poids en la personne du capitaine de La Mazière dont la famille habite au château des Genêts à Villeloin-Coulangé. En effet, celui-ci n’est autre que le beau-frère du général de Lattre ! Aussi, le maquis Lecoze va-t-il bientôt être reconnu par Londres et recevoir des armes. Cantonné au départ, en juillet 1944, dans les bois de Grandvault près de Loches, le maquis voit ses effectifs s’accroître rapidement. Il s’installe en forêt de Loches puis en forêt de Brouard près de Saint-Aignan. Ensuite, délaissant les bois, la troupe, qui atteint jusqu’à près de deux cents hommes (dont une bonne partie d’étrangers : Américains, Canadiens, Ukrainiens, Polonais …), ne se fixe plus que dans des châteaux. Le maquis Lecoze acquiert très vite une triste réputation dans la région où il fait régner la terreur, pillant et tuant sans scrupules. Les pillages sont évalués à 15 millions de francs à la fin de la guerre : ils permettent au « Capitaine » et à sa troupe, parmi laquelle on compte une bonne vingtaine de femmes peu farouches, de mener un train de vie fastueux. Le pillage le plus spectaculaire est celui du château de la Gitonnière, à Genillé, propriété de Juifs autrichiens, qui rapporte environ 8 millions de francs au maquis. A la fin de la guerre, Lecoze est reconnu coupable de dix-huit assassinats. Ses victimes, exécutées sans jugement, ne sont pas seulement des personnes soupçonnées de collaboration, il tue aussi des membres de son maquis qui, conscients de s’être fourvoyés, veulent le quitter.
D’authentiques patriotes rejoignirent ce maquis et furent d’authentiques résistants car Lecoze accomplissait ses exactions avec un petit groupe d’acolytes, et, parallèlement, s’inscrivait dans la stratégie des vraies organisations de résistance et accomplissait de vraies opérations de résistance.

De l’usage politique du terme de faux maquis

L’accusation de faux maquis fut parfois portée par une organisation de résistance pour en discréditer une autre : souvent les maquis FTP furent ainsi stigmatisés par ceux de l’Armée secrète ou par ceux de l’ORA (Organisation de résistance de l’Armée). Après la guerre, les accusations tendant à assimiler les organisations FTP à la fausse Résistance furent réactivées, dans le contexte de la guerre froide naissante. Après la guerre, l’accusation de fausse résistance et de faux maquis continua à être instrumentalisée à des fins politiques et participa largement à la « guerre des mémoires » de la Résistance. Des actions qui s’inscrivaient dans le contexte de la guerre furent décontextualisées et présentées par les anticommunistes comme des crimes ou des pillages.

Vichy a voulu discréditer les maquis. Pour Darnand il n’y a pas de bons maquis, ce sont tous des ennemis. Pour qualifier les maquisards les Allemands parlent de « terroristes ». Vichy a d’abord repris le terme, mais a dû constater que la population n’adhérait pas à cette représentation. Aussi la propagande a-t-elle changé de stratégie et qualifié les maquisards de « bandits ». Cette propagande anti maquis fut portée à son paroxysme par Philippe Henriot qui qualifia les maquisards des Glières, de « ramassis de pillards et de bandits ».

Répression des faux maquis par la vraie résistance

Lorsqu’ils sont capturés par les vrais maquis, les faux maquisards et leurs chefs sont exécutés, après passage devant un tribunal du maquis. L’exécution est médiatisée, parfois même publique. Le Service National Maquis fait en sorte que la discipline soit respectée, que les actions soient menées en uniforme, que des bons de réquisition soient donnés, que les indemnisations soient faites. La police du maquis est donc essentielle, assurée souvent par d’anciens gendarmes.

Cette présentation est suivie des réponses aux questions que pose le public et qui portent principalement sur la stratégie communiste à la libération, suite aux thèses caricaturales affirmées par un auditeur, qui d’ailleurs ne voudra rien entendre. Fabrice Grenard rappelle donc que la stratégie du parti communiste à la libération n’était pas d’utiliser ses maquisards pour faire de la France une république populaire, que l’épuration ne fut pas la guerre civile et que ce mythe de la guerre civile fut créé au moment de la Guerre froide.