L’art de bâtir oasien nous rappelle à quel point architecture et agriculture permettent de façonner des milieux afin que les sociétés humaines puissent s’établir durablement dans des environnements extrêmes. Cette architecture de collecte où sont liés pierres, terres et végétaux est à même de nourrir une dynamique d’écoconstruction selon une logique de paléoinnovation, soit la redécouverte de techniques historiques pour un usage contemporain.

La conférencière, Salima Naji, est architecte et anthropologue, auteur de nombreux ouvrages.

Quand on parle d’éco-construction, on parle d’une architecture reposant sur des matériaux locaux, respectueux du milieu dans lequel il s’insère, dans le sillon creusé par la Cop 22 qui a été essentielle pour le Maroc. Il s’agit de construire, non pas comme les anciens, mais dans l’esprit des anciens. Sa matrice, ce sont les greniers collectifs, construits souvent sur des éperons rocheux, dans le prolongement du paysage, en pièce sèche à la fondation, puis avec des élévations en pierre hourdée à la terre. La paléo-innovation est un mot savant mais il décrit des pratiques respectueuses du passé qu’on a pu observer à Guédelon, c’est-à-dire une reprise et adaptation de techniques anciennes. Salima Naji renie la croyance selon laquelle le ciment allait tout transformer partout et selon laquelle une architecture d’ingénieur, sans ancrage territorial, pouvait tout résoudre.

Dans le cadre de la Biennale internationale de Design 2022 à Saint-Etienne, intitulé « Penser depuis l’Afrique », notre conférencière avait pris la parole et exposé un certain nombre de photographies significatives de son travail. On peut également l’entendre en podcast.

Le legs patrimonial : au-delà des greniers collectifs

Dans son travail, Salima Naji a inventorié environ 300 greniers pendant sept ans et en a restaurés une douzaine pour des sommes assez modestes (20 à 50000 euros). Les greniers, encore en fonction par endroits, servent à stocker fourragères et semences, notamment ces blés locaux, spécifiques, à plusieurs épis qui consomment peu d’eau. Ils sont la manifestation d’un « bien commun », notamment dans des « pays de neige », reculés.

(Crédit photo : Mehdi Benssid)
Grenier de Ait Kin © Salima Naji

Les enfants sont sollicités, ils approchent le chantier, refont des maquettes, sont initiés aux secrets de la construction, à ces règles qui permettent de maintenir la fraîcheur et de respecter la palmeraie. Les femmes aussi sont présentes pour que leurs travaux artisanaux réinvestissent les lieux. Cette architecture sans architectes des greniers n’est pas si difficile à mettre en œuvre. Pourtant elle produit une grande diversité de plans et de figures, qui peuvent être reproduits ou modifiés selon les besoins de nouvelles constructions. Cette « esthétique de la courbe » sert autant la beauté, que la ventilation ou la défense des lieux. Rien n’est figé, contrairement à ce que l’on pourrait penser. C’est une architecture de qualité, durable et adaptée aux communautés qui y vivent.

Éco-construction : la leçon du vernaculaire

Les leçons sont nombreuses. La première s’inscrit dans le plan des principes : ce sont des architectures de la solidarité. La seconde est la mise en œuvre d’une très grande diversité des matériaux et de dispositifs, que la restauration entend révéler. Tous les travaux sont réversibles à la chaux ou la pierre sèche. L’architecture est fille de l’agriculture. On utilise la houx, qui est l’instrument-clé et qui est pourtant un outil très rudimentaire, utile à une quantité de travaux tant au jardin que dans la construction.

Dans les chantiers présentés, cet ancien tribunal transformé en point d’information dont la restauration s’est faite sans les chaînages de béton que pourtant quantité d’entreprises voulaient lui installer sans raison. On a vu aussi ce musée fait en pisé (centre d’interprétation du patrimoine à Tiznit). À chaque fois, ce qui ressort, c’est qu’une architecture ancrée ne coûte pas cher, au contraire, elle n’est pas dépendante des importations et échappe de facto aux filets de la corruption. De même, on perçoit mieux les parentés de construction entre ce que l’on observe au Maroc et au Mali, ainsi que la pertinence de ces constructions pour résister au soleil, avec leurs galeries bioclimatiques qui vont diffuser une petite brise légère et maintenir une température comprise entre 27-28°C quand l’extérieur est écrasé par des températures à 40°C.

Synagogue d’Aguerd © Salima Naji
Point d’information et musée, à Tafraout (crédits photo : David Gueury)
Point d’information et musée, à Tafraout (crédits photo : David Gueury)

À Agadir, on a travaillé sur des linteaux de bois intercalés dans le pisé en transversal et longitudinal, qui permet de chaîner le bâti et de le rendre résistant aux séismes, comme à Bhatar au Pakistan. Même si, ici et là, il a fallu concéder un peu d’acier, l’essentiel est sauf. Cette architecture réconcilie les habitants avec leurs milieux, refait émerger des savoir-faire qui sont heureusement encore là et qui ont juste besoin d’être « réassurés », tant le tout-béton a fait des ravages. Par ailleurs, dans ces techniques, il est aussi question d’un certain rapport au travail : le savoir-faire ancien donne une autonomie à l’artisan par rapport à son entreprise.  Mais c’est un combat quotidien. Contre l’administration, contre les entreprises (surtout les grosses), contre les ingénieurs qui tous fonctionnent avec des certitudes.

Vue des aménagements à Agadir (crédit photo : Salima Naji)
Autre vue des aménagements à Agadir (crédit photo : Salima Naji)

 

Des constructions à l’épreuve des séismes (crédit photo : Salima Naji)