Conférence de Thomas MERLE, vendredi 5 octobre 2018.

Dans le cadre du FIG 2018 – ayant comme thème « La France demain » – Thomas Merle a présenté une conférence dans laquelle il a questionné la possible balkanisation de la France de demain, en lien avec l’affirmation des autonomismes, des régionalismes et des nationalismes dans les territoires ultramarins, mettant ainsi en exergue le paradoxe entre les aspirations d’autonomie et l’unicité de la République.

Professeur agrégé de géographie, Thomas Merle est également agrégé d’histoire et enseigne actuellement en tant qu’ATER à l’Université de Reims. Il prépare une thèse sur les Etats autoproclamés de l’ex-URSS et a également publié un ouvrage de méthodologie destiné aux candidats du Capes et de l’agrégation, ainsi qu’un manuel de concours sur la question du tourisme et des loisirs aux éditions Atlande.

Cette conférence s’inscrit pleinement dans l’actualité, comme l’illustre parfaitement le référendum d’autodétermination prévu début novembre en Nouvelle-Calédonie.

Ici, le terme de « régionalisme » est à entendre comme la revendication d’une autonomie accrue au niveau d’une région, alors que celui de « sécessionnisme » reflète la volonté de constituer une Etat souverain plein et entier et peut donc conduite à une « partition » c’est-à-dire à la séparation d’un Etat en deux Etats.

Adoptant ici une démarche géo-historique, Thomas Merle propose de se demander comment concilier l’unité (unicité ?) de la République avec les aspirations autonomistes de certains territoires.

  1. De la France d’hier à la France d’aujourd’hui : entre unification/centralisation et autonomisation 

La France a connu un processus de construction et d’extension, avec la construction lente et progressive d’un Etat centralisé à partir d’Hugues Capet (987) et jusqu’aux XVIIIe – XIXe siècles. En effet, le roi de France étend progressivement son domaine royal pour le faire correspondre aux limites du royaume de France par le biais de guerres, mariages, rachats… La prise de conscience d’une nécessaire centralisation remonte surtout à Philippe Auguste qui en 1194 perd les archives de la monarchie (à la bataille de Fréteval face à Richard Cœur de Lion). Cela conduit à l’établissement d’un impôt régulier (au début du XIVe siècle, sous Philippe le Bel), mais aussi à l’unification des Etats langues d’oc et d’oïl (lors des Etats Généraux de 1484) ainsi qu’à une simplification administrative avec la création des départements (au moment de la Révolution).

Sous Louis XV, la France connaît un premier recul sur la scène internationale avec le Traité de Paris de 1763 qui met fin à la Guerre de Sept Ans. Elle cède alors une partie de ses territoires ultramarins aux Britanniques, mais il ne s’agit pas d’une balkanisation puisque les colonies sont récupérées par d’autres puissances coloniales donc le nombre d’États n’augmente pas. 

La décolonisation peut cependant apparaître comme une première forme de balkanisation. Ainsi, dans le cas de l’Algérie, le territoire jusqu’alors contrôlé par la France devient un État indépendant et reconnu. Cependant, il s’agit plutôt d’une partition plus que d’une balkanisation. La décolonisation est une balkanisation du monde mais pas nécessairement de la France ; en effet, il est discutable de dire que les colonies françaises étaient vraiment partie intégrantes de la France dans la plupart des cas. La Tunisie ou le Maroc sont par exemple des protectorats. La décolonisation aboutit indubitablement à une (nouvelle) balkanisation du monde mais pas nécessairement à une balkanisation de la France. 

  1. De la France d’aujourd’hui à celle de demain : une balkanisation à venir ?  

Depuis les années 1980, la France connaît un processus de décentralisation, pouvant conduire à un potentiel recul de l’intégration nationale en métropole comme en outre-mer. En effet, les lois Defferre (1982) créant les régions comme les collectivités locales marquent le début d’une période d’inflexion après quasiment 1000 ans de centralisation plus ou moins continue. Il existait déjà les communes et départements français depuis la Révolution française, mais Napoléon avait institué un contrôle très fort de l’État central en nommant des préfets dans chaque département. 

En 2003, l’acte II de la décentralisation concerne en particulier l’outre-mer avec la révision constitutionnelle qui transfert de nouvelles compétences de l’État vers les collectivités départementales et régionales. L’acte III, sous François Hollande, en 2014-2015, fusionne des régions, accroît les transferts de compétences (considérés comme un désengagement de l’État par ses détracteurs) et crée un statut de métropoles pour les plus grandes villes (Lyon est la plus avancée en matière, le Grand Lyon ayant récupéré sur son territoire toutes les compétences du département). 

L’Etat français – dans le contexte de la mondialisation – est également affaibli par l’ONU et l’UE. En effet, l’Union européenne affaiblit de fait les États en créant un échelon supranational qui les concurrence. La même chose vaut dans la mondialisation économique avec les entreprises qui viennent concurrencer les États, et avec la mondialisation politique liée à l’ONU, qui entend renforcer les droits des habitants locaux voire impulser une décolonisation pour les cas d’outre-mer. Ainsi, l’ONU semble parfois s’acharner à vouloir donner une indépendance à des habitants qui n’en veulent pas toujours avec par exemple sa liste des « territoires non autonomes » c’est-à-dire des territoires perçus comme à décoloniser.  Il s’agit de dix-sept territoires, dont l’indépendance est souhaitée par l’ONU (ex : la Polynésie française, désinscrite de la liste en 1947 avant d’être réinscrite en 2013).

Il s’agit donc ici d’une « balkanisation de la France par le haut ».

Depuis 2003 et la révision constitutionnelle, l’outre-mer français semble s’inscrire de plus en plus dans une logique « à la carte », marquée par plus d’autonomie et la multiplication des statuts. L’éclatement des statuts correspond à une balkanisation juridique mais sans balkanisation territoriale à court terme car aucun territoire ne prend son indépendance dans l’immédiat ; les DOM-TOM sont remplacés par les DROM -COM, les COM étant chacune différente et les DROM ayant en réalité des spécificités propres malgré une intégration plus forte à la France. 

Conclusion : Quelles alternatives à la balkanisation de la France de demain ? 

La poussée des nationalismes concurrents au sein de la France, pousse la République, constitutionnellement une et indivisible, à s’adapter, avec des statuts à la carte. Plusieurs scénarios de prospective sont envisageables:

  • Le modèle nordique (type Danemark avec le Groenland), fondé sur un large consensus, une forme proche du give and keep britannique avec le Commonwealth : donner l’indépendance mais préserver les liens.
  • Le modèle d’une intégration accrue sous forme d’une départementalisation (scénario opposé au modèle scandinave). Mayotte étant l’exception qui confirme la règle avec sa départementalisation en 2011. 
  • Des modèles intermédiaires avec une indépendance peut-être de la Nouvelle-Calédonie (rien n’est joué sur le scrutin) voire de la Polynésie française mais un maintien probable des autres collectivités en association forte avec la France malgré une autonomie accrue. 

Sur le temps long, l’outre-mer français, vestige de l’empire colonial, a une dynamique centripète par définition : ce sont les territoires qui ont choisi de rester associés à la France alors que la plupart des colonies ont pris leur indépendance.  Sur un temps plus court, cette dynamique n’a pas complètement disparu (ex : Mayotte, seule île des Comores qui a choisi de rester associée à la France au milieu des années 1970, devenant un TOM puis un DROM en 2011 suite au référendum de 2009).

Camille Guillon pour ©Les Clionautes