Le Vietnam est un Etat très particulièrement à étudier, une illustration de toutes les étapes de la pénétration européenne, des premiers missionnaires à la colonisation pure et simple à la fin du XIXème. A travers ses relations avec le Laos, les Khmers mais aussi la Chine, le Vietnam nous permet d’explorer les colonisations intra-asiatiques.
Cet article est la retranscription du podcast audio. Il est là pour faciliter l’écoute, en tant que support additionnel.
Le podcast « Histoire des Indes Orientales » est disponible sur les applications Podcast des appareils Apple et sur d’autres applications Android comme Soundcloud ou Podcast Addict.

Bonjour et bienvenu dans le deuxième épisode de l’histoire de l’Indochine.

Content de vous revoir sur le pont ! La semaine dernière nous avons parlé de l’état du monde en 1415, de l’invention de la caravelle et des raisons qui ont poussé les portugais à partir sur les grandes mers.

Aujourd’hui nous parlerons du Vietnam, de ses rapports avec la Chine au début du XVème siècle. C’est un peu tot pour le dire mais pour le prochain siècle ou deux, je pense qu’il sera plus simple de garder une narration séparée entre ce qu’il se passe dans l’Océan Indien et dans la Mer de Chine.

Même si des liens existent, on voit une separation assez claire entre un Océan Indien dominé par les marchands musulmans et hindous, sans qu’un seul pouvoir soit l’hégémone absolu et une mer de Chine qui s’appelle pas mer de Chine sans raison. A l’Est de la Thailande on entre vraiment dans un autre monde.

Ces deux mondes sont bien plus connectés que ne l’étaient l’Europe et l’Inde avant le XVème mais on peut les prendre relativement séparément. D’un côté un ensemble islamo-hindous allant de la baie du Bengale au Mozambique. Ce monde trafique des épices, de l’or et des esclaves d’Afrique. Les marchands musulmans et gujarat, du nord de l’Inde y sont très puissants.

Même si on retrouve des acteurs étatiques relativement puissant selon les époques, aucun ne sort du lot pour imposer sa loi. A l’inverse, des réseaux transversaux, basés sur la religion ou l’ethnicité par exemple, sont le ciment de ce bloc. De l’autre côté, un réseau centré sur la Chine qui va exporter de l’or et de la porcelaine contre des épices et du métal d’argent. Ce réseau comme on va le voir est organisé comme un ensemble d’états tributaires de la Chine. Ce monde chinois va aussi avoir des états relativement puissants et plus proches des états-nations modernes.

Le premier problème de l’histoire du Vietnam à cette époque est le manque de source. On va surtout travailler à partir du Dai Viet Su Ky. Le deuxième problème de l’histoire du Vietnam est que le Dai Viet Su Ky est un texte uniquement en vietnamien, un langage que je ne maitrise pas, comme la plupart des potentiels historiens français et même étrangers.

Je vais donc devoir travailler sur des sources secondaires, comme le par ailleurs excellent Cours d’histoire annamite à l’usage des écoles de la Basse-Cochinchine écrit par Vinh Ky Truong et Jean-Baptiste Pétrus et publié en 1875. Le troisième problème de l’histoire du Vietnam à cette période est que le Dai Viet Su Ky est la chronique officielle de la dynastie régnante des Lê. Donc nous bossons sur une seule source qui est la source officielle. On imagine bien qu’elle ne va pas présenter les autres dynasties de la meilleure façon possible et transformer les Lê, notamment en une lignée de super-héros. C’est comme écrire l’histoire de la Seconde Guerre Mondiale en lisant uniquement les mémoires de de Gaulle. On pourra avoir l’impression générale mais il est probable que les détails apparaîtront plus en faveur du Général qu’autre chose.

La narration va donc tout faire pour faire apparaître les chinois comme un ennemi immense, insurmontable que nos héros vont défaire héroïquement.

Le Vietnam donc. Le XVème siècle est absolument charnière pour le Vietnam. A cette époque, le pays n’est pas encore unifié dans ses frontières modernes, on trouve une séparation entre la moitié nord, tenue par la dynastie des Trinh et le sud qui n’est pas encore vietnamien mais qui comprend le royaume de Champa qui correspond, au sud de Hué, à la façade Est tandis que le sud, là où est Saïgon et tout le détroit du Mékong appartient au royaume du Cambodge.

A cette époque le royaume est fatigué par des décades de lutte permanente contre les champas au sud et des luttes dynastiques culminant en 1400 par un coup de palais. Ho Qui Ly, régent depuis 1394 après de nombreuses intrigues, dégage officiellement l’ancienne dynastie des Tran qui régnait depuis le XIIIème siècle. Un point très important à souligner ici est l’importance du lien entre le Vietnam et la Chine. Le roi du Vietnam est légitimé, confirmé par l’Empereur de Chine.

A cette époque, la Chine est au sommet. Après avoir dispersé les hordes mongoles, elle va organiser un système d’état tributaire autour d’elle. La Chine se voit comme le centre naturel du monde et les autres royaumes comme ses vassaux naturels. Toute la péninsule indochinoise, jusqu’à la Birmanie lui doit allégeance, ainsi que la Corée et l’Insulinde, les îles de l’Indonésie et de la Malaysie. C’est un système plus symbolique qu’autre chose : les vassaux envoient des produits du sol, l’Empereur renvoie des biens de plus grande valeur. En retour, la Chine valide l’investiture des nouveaux rois. Cette puissance tient pour beaucoup à la démonstration de force de la dynastie Ming qui a chassé les mongols de Chine en 1368 et enlevé une grande menace aux pays limitrophes. Les mongols avaient par exemple tenté d’envahir le Vietnam et même s’ils s’étaient fait repoussé, ce n’avait pas été une expérience particulièrement agréable.

La Chine ne veut pas s’étendre, elle est ravie de pouvoir asseoir son pouvoir et tant qu’il n’y a pas de menace, elle ne fera pas de bruit. De toute façon, elle doit encore se protéger contre les hordes nomades du Nord et de l’Ouest. Ca ne veut pas dire que ce sont des pacifistes. En 1377, les coréens vont conclure une alliance avec les mongoles de Mandchourie. L’Empereur menacera alors, je cite :

« d’envoyer notre flotte, en formation s’étendant sur des kilomètres et apportant avec elles des dizaines de milliers de soldats. Même si nous ne vous exterminons pas, nous pourrons faire de la majeure partie de votre population des prisonniers. »

Il faut bien noter que cette menace, comme d’autres ne seront pas mises à exécution. Les seules mesures que la Chine prendra seront des mesures d’embargo économique. La Chine en effet n’a pas la capacité de projection nécessaire. En théorie, elle a les soldats mais toutes ses forces sont occupées à la défense des frontières contre les mongoles. A l’opposé, Ho Qui Ly en finit en 1390 avec la menace Champa en tuant leur roi et en annexant leurs provinces du nord. Il va passer les années suivantes à reconstruire le Vietnam et à le transformer en état militariste et efficace. Il va même envahir des marches chinoises en 1402.

Ho Qui Ly va donc envoyer des ambassadeurs à l’Empereur pour se voir confirmer en 1400.

A ce moment, la guerre civile commence à fermenter avec les partisans de la dynastie Tran qui n’acceptent que difficilement l’usurpateur et son fils qu’il a placé sur le trone un an après son accession au pouvoir.

Ho Qui Ly prétextant l’absence de successeur Tran, l’Empereur le confirme en 1403, laissant Ho Qui Ly asseoir son pouvoir. Là c’est intéressant : normalement l’Empereur de Chine est le « protecteur » de la dynastie régnante et le protecteur du Vietnam. S’il y avait encore eu des prétendants au trône, l’Empereur aurait eu pour devoir de protéger la lignée légitime. En l’absence d’héritiers, il va accorder l’investiture au prétendant logique, en l’occurrence Ho Qui Ly. En 1401, il sera succédé par Ho Han Thuong, son fils après qu’il se soit retiré du pouvoir officiel, gardant le titre de roi-père.

En parallèle, en 1403 un nouvel Empereur de Chine se voit couronné après trois ans de guerre civile. Il a acquis ses galons sur le champ de bataille et se veut moins passif que le précédent. En deux ans, l’Empereur va redresser le pays. Mais à ce moment, des rumeurs d’invasions par Tamerlan, grand chef mongole le force à porter son attention sur ses frontières du Nord-Ouest.

Cette année, Ho Han Thuong va envoyer une ambassade à Yongle pour obtenir l’investiture. L’Empereur enverra une commission d’enquête pour attester de la disparition complète de la lignée Tran. Yongle est différent de son père, il ne se contentera pas que son pouvoir soit vaguement reconnu par une ambassade et trois cadeaux de temps en temps. Yongle veut être sûr que personne n’ait de doute. La Chine a le plus gros baton du coin et même, le plus gros baton de tout l’Océan Indien. Que tout le monde le sache et l’accepte. Cette politique de domination complète se traduira notamment par les flottes de Zheng He dont les bateaux gigantesques traverseront l’Océan, de Pékin à Mombassa, aujourd’hui au sud du Kenya. On reviendra sur Zheng He et sa flotte plus tard, cela nous permettra de faire une visite de l’Océan. Il était traditionnel pour les empereurs de considérer la Chine comme le centre du monde. L’objectif de Yongle sera de s’assurer que ce tout le monde le reconnaisse.

Pendant l’été 1403, les vietnamiens jouent à leur sport national et assiègent Campapura, la capitale du Champa, par une attaque terrestre et navale. Les champas, tributaire de la Chine tout comme le Vietnam, demandent l’aide de la Chine pour faire pression sur le Vietnam. L’ambassade, accompagnée tout de même de 9 vaisseaux de guerre, va croiser la flotte annamite et lui demander de gentiment arrêter de taper sur les Champas dès qu’ils ont le dos tourné.

L’amiral annamite va accepter et lever le siège, au grand dam d’Ho Qui Ly qui le limogera sur le champ et reprendre les hostilités dès que possible. Là on voit vraiment que Ho Qui Ly et son fils n’en ont plus rien à faire de la prééminence chinoise. Après des décennies de menaces creuses, le tigre semble avoir perdu ses griffes et Ho Qui Ly compte bien en profiter. Néanmoins, pour temporairement calmer la Chine, il va envoyer un convoi de nonnes, d’eunuques et de « masseuses ».

La commission d’enquête envoyée par Yongle revient d’Annam, porteuse d’une lettre de Ho Han Thuong, le fils de Ho Qui Ly, et contresignée par les familles nobles clamant que la lignée Tran est effectivement éteinte. En conséquence, l’Empereur va lui accorder l’investiture.

Cela parait un geste d’apaisement et on pourrait penser que la situation va se dégonfler mais il n’en est rien. Yongle présente un ultimatum aux ambassadeurs d’Annam quelques mois plus tard.

Vers août, des ambassadeurs Champas arrivent à la cour de Yongle, porteurs d’une missive de la plus haute importance. Les vietnamiens continuent leur invasion, malgré les remontrances chinoises. Champa va alors offrir à l’Empereur la souveraineté complète et l’administration de leur royaume pour les protéger. Un nouvel ultimatum et de nouvelles tensions.

En octobre 1404, le 2 pour être exact, un homme prétendant appartenir à la dynastie Tran se présente à l’Empereur. Cela met évidemment à mal l’argument que la lignée était finie et donne un prétexte parfait à l’Empereur.

En 1405, Tamerlan, leader mongol, meurt. Libéré de sa menace au nord, Yongle peut alors se concentrer sur le Vietnam.

Au début de 1406, le prétendant Tran, accompagné d’une forte escorte chinoise passe la frontière. Malheur ! Le 4 avril, il tombe dans une embuscade, l’escorte est massacrée et il est tué sur le champ de bataille. Ho Han Thuong annonce une grande victoire, 100.000 hommes auraient été tués. En vrai, l’escorte était d’environ 5000 hommes. Ce n’est certes pas rien mais ce n’est pas une armée d’invasion. Ce n’est pas une vraie menace pour l’Annam, mais c’était par contre un fameux prétexte pour les deux camps. Si le prétendant avait atteint Hanoi, il aurait été couronné, devenant une marionnette de la cour chinoise. S’il a un accident en route, les chinois peuvent hurler à la duplicité vietnamienne. Si son escorte est massacrée par une troupe vietnamienne, les chinois peuvent hurler et les vietnamiens peuvent dire qu’ils ont repoussé une invasion et ne sont donc pas les agresseurs. Tout le monde est ravi. Sauf le prétendant bien entendu.

En réponse, Yongle va assembler une armée de 215.000 hommes et envahir l’Annam. Pour la propagande, il en annoncera 800.000. Ce sera relaye dans les milieux annamites pour une raison simple. Vous vainquez une armée de 800.000 hommes vous êtes un héros légendaire. Si vous perdez, eh, 800.000 hommes, qu’est-ce que vous pouviez y faire ?

Pour comparaison, la bataille d’Azincourt vers la même époque a rassemblé environ 40.000 hommes en ajoutant les deux camps.

L’armée passe la frontière le 19 novembre 1406. Le 16 juin, Ho Qui Ly et son fils sont capturés, la résistance annamite est brisée. Une campagne de sept mois en tout.

Yongle réussissait deux choses par ça. Un, il sécurisait sa frontière. Le Vietnam avait fait des avancées modestes mais certaines dans quelques provinces à la frontière et agissait de façon arrogante. Il y avait un risque que le pays devienne une puissance régionale pouvant concurrencer la Chine, surtout s’ils réussissaient à annexer complètement le Champa. Deuxièmement, il s’agissait de montrer à tout le monde qui était le patron. Après une campagne de six mois contre les barbares du sud, cela ne faisait aucun doute.

Après la chute de Ho Qui Ly, les chinois firent mine d’appeler un éventuel prétendant Tran au trône avant de remarquer à quel point c’était dommage qu’il n’y ait personne et que puisqu’ils étaient là, autant installer leur administration. Ça tombait bien.

Mais à l’automne 1407, coup de tonnerre ! Un prétendant Tran, la dynastie que Ho Qui Ly avait renversé et que les chinois étaient venus rétablir, sort du bois et se fait couronner par un général vietnamien. Ce roi, qui prit le nom de Gian Dinh, ne put attirer assez de partisans dès le début pour tenir tête aux chinois et va se faire rapidement repousser dans la citadelle de Nghé-an. Retenez bien ce nom, il va revenir souvent dans cet épisode. Nghé An est une province à 83% montagneuse au sud du Tonkin. Sur une carte c’est là où le Vietnam s’enfonce comme un pic dans le Laos au nord de la bande centrale de l’Annam.

C’est donc une région difficile d’accès, où on peut facilement monter des embuscades si on connait le terrain, à distance correcte du cœur du Vietnam de l’époque et avec un accès à la mer. On pourrait difficilement rêver mieux pour monter une action de résistance. Grâce à de nombreuses rivières, l’approvisionnement y est relativement facile si on sait où aller et est un facteur de plus pour réussir une embuscade. De plus, le fait qu’elle soit au sud l’éloigne des lignes de réapprovisionnement chinoises.

Les chinois contre-attaquent, les vietnamiens contre-contre-attaquent. Nous sommes maintenant à l’automne 1408, Gian Dinh réussit à pousser jusqu’à Hanoi et il est célébré en libérateur sur le chemin. Il y a une grande bataille contre les chinois qui se finit en victoire magistrale pour Gian Dinh. Le Vietnam serait-il déjà libéré ?

Allons, un prince héroïque, libérant son royaume après une bataille décisive contre l’envahisseur, qu’est-ce qui pourrait arriver ?

Début 1409, Gian Dinh se fait détrôner par un coup de palais. Son neveu revendique le trône et le pays est donc divisé entre les chinois et les deux factions rivales, envoyant le pays dans la guerre civile alors qu’il était encore en guerre contre l’envahisseur. Gian Dinh va se faire battre très rapidement par les troupes de son neveu alors qu’il progressait contre les chinois. Son neveu va, très diplomatiquement, lui conférer le titre de roi-père et commencer à travailler avec lui au problème plus pressant de l’invasion étrangère. Ils ont un certain succès, réussissant à bloquer les troupes chinoises dans leurs forts et donc à ravir l’initiative mais une nouvelle armée chinoise renversera la vapeur.

Après des difficultés, la cour annamite va se réfugier dans le Nghé An. Les chinois vont occuper le reste du Vietnam et pouvoir asseoir leur pouvoir, mettant les locaux à corvée ce qui va provoquer une famine terrible. En 1414, les vietnamiens rencontrent un certain succès dans une campagne sur la côte. Enhardi, le roi, neveu de Gianh Dinh, va se mettre à la tête de ses troupes pour poursuivre la campagne. En parallèle, il va envoyer une nouvelle ambassade aux chinois pour demander l’investiture.

En 1414, la guerre se termine par une claire victoire chinoise. Les chinois vont donc commencer une large campagne d’assimilation, interdisant les cheveux longs et les tatouages, forçant les gens à porter des habits traditionnels chinois, y exportant sa religion, etc…

Globalement tout se passe plutôt bien. Il faut dire que pour la première fois depuis sept ans, le pays est en paix. L’agriculture reprend, tout a l’air d’aller, jusqu’à ce qu’en 1416, les chinois fassent monter la pression et commence à demander plus de corvées du peuple.

Lé Loi, ancien membre de la cour vietnamienne, va se révolter et entamer une guerre de partisan contre l’occupant. Son premier grand succès arrive en 1418 quand le chef du Nghé An se rallie à lui. Cette révolte va presque réussir à ravir la forteresse régionale mais devra se retirer face à une armée chinoise, se ralliant à la troupe de Lé Loi. On peut imaginer l’ampleur de la guérilla quand on voit que Ly Ban, le général chinois, passera sept mois à pacifier la région.

Vers 1420 on va voir un tournant de la guerre, d’une guerre de guerilla avec des irréguliers à des batailles plus rangées où les chinois ont un avantage numérique large mais perdent quand même. On peut imaginer que les troupes vietnamiennes défendant leur pays sont plus motivés. Rappelons-nous aussi qu’à ce point ce sont probablement des vétérans.

Lé Loi va peu à peu affermir son pouvoir, allant jusqu’à une expédition punitive au Laos. Un deuxième tournant est en 1424 quand Yong Lo, Empereur de Chine, meurt. Il va en profiter pour prendre fermement l’initiative. Les chinois vont même proposer un traité de paix dont les négociations vont échouer. Fin 1427, la paix est conclue après un faux départ, laissant Lé Loi chef incontesté du Vietnam, reconnu par les chinois et par les vietnamiens de tous rangs. Bien que Lé Loi demande l’investiture officiel à l’Empereur il va organiser autour de lui un réseau d’états tributaires. Il mourra en 1434 après un règne exemplaire d’après ses propres chroniques. Son fils lui succèdera, lançant la dynastie des Lé postérieurs. Le Vietnam eut la chance d’avoir plusieurs rois qui régnèrent longtemps, le deuxième pour 10 ans et celui d’après pour 17 ans et le suivant 38 ans.

Celui-ci, Lé-thanh-tong fut un des grands empereurs du Vietnam. Citons directement Truong Vin-Ki :

« Rien de ce qui touchait aux choses de l’administration ne lui demeura étranger ; la politique, l’instruction publique, la guerre, les finances, la législation eurent leur part de ses soins vigilants, et les 38 ans de son règne, s’ils ne s’écoulèrent pas dans une paix complète, furent […] marqués par une prospérité constante. »

A partir de 1465, cinq ans après son couronnement, il perfectionna l’armée vietnamienne avec plus d’instructions aux soldats ainsi que par la rédaction de traités. Il organisa une défense contre la piraterie en 1470 mais fit aussi des grands travaux avec la construction de canaux. Je ne vais pas faire la liste de tous ses accomplissements mais il fit effectivement de grands efforts. On peut voir plusieurs axes.

D’abord le renforcement de la capitale. C’est un thème récurrent dans l’histoire économique Vietnamienne, la capitale est aussi le centre économique et Hanoi est la capitale. En combattant la corruption dans son administration et en améliorant le réseau de transport, les canaux et les routes.

Comme Hausmann plus tard, il fit complètement repenser sa capitale, l’organisant autour de 36 rues commerçantes spécialisées. Couplée à l’amélioration des transports, la stabilité et une amélioration de la corruption, cela provoqua l’émergence d’une classe d’artisans et l’arrivée d’investissements massifs dans la capitale.

Il va aussi repenser l’organisation administrative de son pays, l’organisant en 12 provinces menées par un gouverneur. Il encouragea ses gouverneurs à faire tracer des cartes de leurs provinces pour avoir plus de visibilité. Il va améliorer le sort des fonctionnaires et s’éloigner d’un modèle féodale en remettant au gout du jour les examens d’entrée pour les fonctionnaires. Globalement il va mettre en place une administration confucéenne très claire.

On pourrait se dire qu’il fait ça par gaieté de cœur ou par conscience professionnelle mais la mise en place d’une administration par concours a un très gros impact qui n’est pas évident au premier abord.

Jusque là, une grande partie du pouvoir était entre les mains de familles venant de la province de Than Hoa, juste au nord du Nghé Han et 150km au sud de Hanoi. Il y a une accumulation de pouvoir entre les mains de familles nobles qui peuvent facilement créer un puissant contre-pouvoir face à un roi.

En faisant passer des concours aux fonctionnaires, il va empêcher la concentration de pouvoir héréditaire et créer des gens qui seront loyaux à l’Etat, en plus d’être compétents. Les premiers entrants du concours seront majoritairement du Delta aux alentours de Hanoi plutôt que des provinces du sud.

Cette stabilité leur permettre de s’adonner au sport préféré des rois vietnamiens : taper sur les Champas. Le royaume du Champa finira d’exister en tant qu’acteur en 1471 après que leur capitale ait été prise par les vietnamiens. Le quatrième roi de la dynastie Lé mourut en 1498, ce qui nous permet de nous synchroniser avec l’arrivée des européens dans l’océan indien.

Cette guerre et cette période sont charnières dans l’histoire du Vietnam. Ils vont les placer en tant qu’acteur majeur et indépendant, à la croisée du monde indien et du monde chinois. On va aussi y retrouver beaucoup des thèmes de l’histoire de l’Indochine, les rapports compliqués avec la Chine, les guerres de partisans et un patriotisme très ancré. C’est aussi très intéressant de voir les dynamiques de pouvoir à l’œuvre comparé à l’Europe. Ici le pouvoir religieux n’est pas une force politique majeure comme on peut le voir avec le pouvoir du clergé en Europe. On voit aussi qu’il y a une administration moderne en place qui permet de contrôler les provinces et de faire des levées en masse. Il y a aussi des systèmes diplomatiques très codifiés. Il n’y a pas à ce moment de système féodal au Vietnam ou en Asie du Sud-Est, il y a à la place le pouvoir du roi et de l’administration des mandarins. Les mandarins ne sont d’ailleurs pas héréditaires, ils sont choisis sur concours. Fernand Braudel théorise d’ailleurs que c’est une des raisons pour lesquelles le capitalisme a d’abord émergé en Europe. Un pouvoir héréditaire permet une accumulation de capital sur plusieurs générations. Si les élites sont renouvelées par concours à chaque génération, le capital ne peut pas s’accumuler et ne peut donc pas d’épancher dans des entreprises plus capitalistiques.

Nous reprendrons l’histoire du Vietnam avec l’épisode S01E06 qui explorera plus précisément la période entre 1427 et 1498.
Dans le prochain épisode, nous reviendrons sur les rêves africains du Portugal.