Compte rendu la la conférence du 9 octobre 2014

Il y avait salle comble dès jeudi pour une des premières tables rondes organisée autour du thème des « rebelles de l’antiquité » au château de Blois.
Maurice Sartre, de l’université de Tours, menait les débats entouré de spécialistes d’une vaste période (Orient ancien-Bas Empire). Pourtant, malgré les aller-retours dans le temps, cette manifestation avait une belle cohérence. Anne-Emmanuelle Veisse (Egypte perse, ptoléméenne et romaine), Francis Joannès (Orient ancien), Sylvain Janniard et Antonio Gonzales (histoire romaine) éclairaient le débat d’aperçus liés à leur domaine d’étude.

Même si, à l’origine, comme le fit remarquer un auditeur, les premiers rebelles de l’Antiquité furent les enfants des dieux se révoltant contre leurs parents, on établissait rapidement que, dans un monde antique conservateur, normalisé et soucieux de cohésion sociale, les rebelles avaient bien mauvaise image. Il faut dire que, pour leur défense, la plupart des auteurs de l’époque étaient très conservateurs, comme Polybe, Dion Cassius ou encore Flavius Josèphe qui voit des brigands partout. Notre perception du rebelle est faussée par notre individualisme moderne. Che Guevara, par exemple, iconisé à tel point que, quand j’enseignais en Nouvelle-Calédonie, certains de mes élèves le confondaient avec Jésus de Nazareth. Dans le monde antique, Ernesto Guevara aurait été considéré comme un « brigand », un « bandit » ou un « pillard ». Le rebelle individuel est atypique, exalté, un martyr.

Il y a une volonté nette,chez ceux qui écrivent, de ne trouver aucune légitimation à ceux qui s’opposent à l’ordre établi. On leur nie le « droit » de se rebeller, c’est à dire de « refaire la guerre » afin de changer une situation inadéquate. Jules César, face à Vercingétorix, avait bien compris le phénomène. Le chef arvène n’est pas un rebelle, mais un adversaire étranger qu’il combat par la guerre. Il amplifie ses forces, amplifie son caractère gaulois, son altérité, en somme. Nier le caractère de rebelle permet aussi de réprimer les rébellions « à l’ancienne », avec force massacres et liquidation de villes, sans se poser de questions éthiques ou politiques. Quand à la notion de révolutionnaire, elle est tout simplement anachronique pour l’époque. Même une icône révolutionnaire comme Spartacus (mouvement spartakiste allemand), rebelle parmi les rebelles, conservait la pratique de l’esclavage, voulant juste de meilleures conditions de vie pour les esclaves, et, de façon plus générale, pour les paysans déclassés.

Alors, au fond, ces rebelles antiques, qui sont-ils ? On peut, à travers les interventions de cette table ronde, établir une certaine typologie.

Il y a d’abord les désespérés, les « desperados » comme on dirait dans le monde hispanique, petits paysans égyptiens sans plus aucune ressource fuyant la pression fiscale romaine et se rassemblant en bandes armées (révolte des Bouviers vers 170 après JC) dont Dion Cassius donne une image très négative en écrivant que lesdits bouviers auraient scellé leur union en mangeant les entrailles d’un centurion.

Avec le thrace Spartacus et le gaulois Crixos, on est à un autre stade, en particulier parce qu’il y a tentative de création d’un système, d’un gouvernement, alternatif à celui des Romains. La révolte de Spartacus attire non seulement des esclaves mais aussi, comme je l’ai écrit plus haut, des citoyens romains déclassés (on dirait des « petits blancs », aujourd’hui). La rébellion devient très dangereuse pour le pouvoir en place. Des forces de police puis des légions sont mises à mal, ce qui n’est pas anecdotique.

On ne saurait ignorer les rébellions fiscales. Elles marquent très souvent un rejet de l’Etat incarné par un occupant étranger, mais pas toujours….Dans l’Orient ancien, à chaque fois qu’une dynastie assyrienne changeait de maître, on trouvait des tentatives d’échapper aux nouveaux dominants à travers l’impôt. Idem pour les Juifs de Palestine qui soupçonnent les Romains d’instaurer des taxes et des impôts pour un oui ou pour un non. Mais nous avons aussi, dans la période du Bas-Empire, des rébellions fiscales endémiques qui ne sont pas liées au rejet d’un occupant étranger, mais à l’incapacité simple de supporter un régime fiscal devenu trop lourd par rapport aux ressources réelles, à tel oint qu’on assiste a des démissions en masse de décurions chargés du relèvement de l’impôt.

Après, nous avons ceux qui, pourtant intégrés à un système et partie prenante de celui-ci, se mettent à réclamer les mêmes droits que leurs suzerains (même si le terme est inapproprié pour la période antique). La reine celte Boadicée, gouvernant un peuple romanisé se lasse pourtant d’un réel plafond de verre établi par Rome et empêchant les élites celtes de dépasser un certain niveau. Elle finit par tenter de chasser les Romains de Bretagne. Idem pou les « Socii », les alliés de Rome qui, vers 91 avant JC réclament les mêmes droits que les citoyens romains. Dans ce cas, la rébellion ne s’affiche pas contre un système, mais pour plus d’intégration dans un système.

Après le traumatisme « spartakiste », on fait face aussi à des rébellions conservatrices. C’est à dire issues de groupes souhaitant un retour à l’ordre antérieur. Ainsi le patricien Scipion Emilien laisse assassiner Tiberius Gracchus, icône plébéienne et promoteur d’une réforme agraire issue d’une réaction face aux menées de Spartacus. Dans ce cas, le rebelle recherche le retour au statut antérieur et peut être assimilé au contre-révolutionnaire des années 1795-1798.

Avec le christianisme comme religion dominante après 312 apparaît une nouvelle forme de rébellion, la rébellion religieuse. Le fait que, dans un premier temps, le culte de l’empereur s’associe au culte chrétien pose un problème. Dès lors, Arianistes et Donatiens sont considérés comme formes de rébellions par rapport au credo défini à Nicée. Ils ne respectent pas l’Empereur comme « dieu vivant ». L’hérétique se rebelle alors contre à la fois l’Eglise officielle et le pouvoir militaire. Dans une autre réalité sociale, les circoncellions de Numidie sont aussi intéressantes, car là nous avons à la fois un refus de l’ordre social romain doublé d’une exigence d’un christianisme très rigoureux et épuré, ce qui fait que de simples croyants s’en prennent aux collecteurs d’impôts et aux propriétaires.

Pour terminer, on notera quand même que la réalité est très subjective. Anne-Emmanuelle Veisse faisait remarquer que, en Egypte, les tentatives de rébellions contre le pouvoir ptoléméen furent des échecs, et donc considérées comme des brigandages. A l’inverse, dans le même pays, face aux Perses vers 410, le rétablissement d’une forme de rétablissement du pouvoir « national » égyptien fut considéré comme légitime. Une forme de restauration, en somme…
Tout cela nous mène quand même au fond de la réalité du mot « rebelle ». Quand il gagne, il est légitime, quand il perd il est discrédité.

Mathieu Souyris, collège de Bram