Ce compte-rendu émane d’une visite guidée assurée par Vincent Blanchard, commissaire de l’exposition. Il s’agit de redécouvrir les civilisations oubliées des états néo-hittites et araméens, fondés après l’extension de l’empire hittite en Anatolie à l’âge de fer, la grande puissance rivale de l’Égypte antique.

A l’entrée de l’exposition, les visiteurs sont accueillis par une œuvre d’un artiste contemporain libanais, intitulée ORTHOSTATE 2017. Ce créateur est un descendant du secrétaire d’un archéologue allemand qui a fouillé le site de Tell Halaf et qui a récolté une collection exceptionnelle d’objets, un fond conservé aujourd’hui au Pergamonmuseum de Berlin. Un orthostate est une base en pierre qui protège un monument de briques crues (en Mésopotamie, on met du bitume). L’œuvre contemporaine fait donc écho aux efforts continuels du Louvre pour lancer des missions de sauvegarde d’un patrimoine en péril dans les pays en situation de conflit comme la Syrie.

Les objets exposés sont organisés en quatre sections.

Protomé de sphinx inachevés en basalte  1300 – 1100 BC

A la fin du IIe millénaire, l’empire hittite alors à son apogée (-1350 jusqu’à -1180) s’étend de l’Anatolie jusqu’au Levant. Ce peuple indo-européen venant d’Europe centrale ou d’Asie centrale fonde au IIIe millénaire, d’abord des petites chefferies, puis des royaumes qui s’unifient en un empire puissant et rival de l’Égypte du Nouvel Empire. Construite en briques crues avec des fondations en pierre, la capitale Hattusa comporte de nombreux temples en l’honneur du dieu de l’orage, de la déesse du soleil et des bassins sacrés. Cette cité entourée d’une enceinte est ornée de la porte au roi, la porte des lions et la porte des sphinx. Certains blocs en basalte, même inachevés ont été réemployés par les royaumes suivants. Les rois hittites éliminent les derniers successeurs d’Hammourabi et pillent Babylone.

En 1274 avant JC, le roi hittite Muwatalli II combat l’Égyptien Ramsès II à la bataille de Qadesh où il sort plutôt vainqueur (malgré les proclamations du roi égyptien). Des pièces d’orfèvrerie comme le rhyton en argent (un vase à libation pour une divinité de l’agriculture) en forme de cervidé ou cette minuscule figurine de déesse en or assise avec un enfant montrent l’habilité des artisans. Une statuette d’un dieu guerrier en bronze provenant d’Ugarit témoigne du style hittite caractéristique avec les jambes allongées, un pagne court strié.

Rhyton en argent en forme de cerf- 1400/1200 BC

Des moulages faits par des archéologues montrent des bas-reliefs représentant des offrandes ou des libations faites aux dieux par les rois. Les Hittites utilisent deux types d’écritures : le cunéiforme mésopotamien pour des usages quotidiens et les hiéroglyphes louvites pour les inscriptions monumentales. Plusieurs langues sont en circulation, le névite (hittite) et l’akkadien, le sumérien…

 

Jambage de porte couvert de hiéroglyphes louvites. Mention du roi Katuwa et de la déesse Kubaba du royaume de Karkémish

Deux hommes partagent un banquet funéraire composé de pains et de canards-875 BC
Stèle de Tarhunpiya,
800 BC- Louvre

Vers 1180 avant JC, des bouleversements au Proche Orient, par l’arrivée des peuples de la mer, entraînent l’effondrement de la puissance hittite et l’abandon de la capitale sans doute par la perturbation du commerce et de l’approvisionnement, notamment en blé venant d’Égypte. Sur les anciens territoires de l’empire, des royaumes néo-hittites et araméens naissent. A Karkemish et à Malizi/Melid, les nouveaux rois descendent en ligne directe des anciens gouverneurs  et par la  même, des grands rois hittites. En Syrie, par contre, des nomades de langue sémite venant des steppes, les Araméens, fondent des royaumes sur le modèles des Hittites mais dont la population est mélangée. Les royaumes indépendants reprennent des pratiques artistiques néo-hittites comme les stèles funéraires montrant les banquets des défunts après la mort ou un roi divinisé juché sur un socle à tête de lions. Dans l’ancien royaume de Gurgum, la stèle funéraire de Tarhunpiya montre un homme de haut rang, vêtu d’une tunique frangée, d’une coiffe en boule maintenue par un bandeau. Il tient un oiseau de proie utilisé pour la chasse en dessous duquel sont représentés un écritoire et un calame. Debout sur les genoux d’une femme qui l’entoure de ses bras, ce défunt semble être accueilli par sa mère dans le monde des morts. On ne sait si c’est la mère qui a commandé cette stèle en souvenir de son fils ou l’inverse.

 

 

 

Une troisième partie de l’exposition est consacrée à la découverte de Tell Halaf par le baron allemand, Max Von Oppenheim. Au nord de la Syrie actuelle, ont été trouvées des statues monumentales d’animaux à tête humaine. Les fouilles ont duré de 1911 à 1913 et elles ont dégagé les principales structures d’une ville araméenne datée du Xe siècle avant JC avec l’impressionnant palais du roi Kapara. De 1927 à 1930, le baron fait installer dans une ancienne fonderie à Berlin un musée pour exposer les sculptures qui reproduisent l’entrée monumentale du palais. Malheureusement, le musée est bombardé en 1943 et le basalte chauffé par l’incendie fait exploser les objets en 27 000 fragments. La chute du mur de Berlin en 1989 permet de commencer un travail archéologique de remontage. Sont ainsi reconstituées les statues monumentales qui ornaient le côté nord du palais dont la maquette montre une présentation originale du portail. Il a fallu dix ans d’un travail de titans pour remonter près d’une centaine de statues.

Statue d’homme griffon et d’homme scorpion,
Reconstitution
Portrait du baron Max Von Oppenheim devant une sculpture de Tell Halaf.

 

Déesse funéraire de Tell Halaf-Xe-IXe avant JC

Située sur un puits funéraire, la statue féminine dite « Déesse trônant » montre un culte privé des ancêtres qui se perpétue jusqu’aux derniers descendants de la famille. Cette étrange statue cube fut une des plus grandes joies de son découvreur, comme en témoigne l’affiche de l’exposition.

 

 

 

 

 

Les territoires contrôlés par les rois néo-hittites et araméens sont bordés par de puissants voisins : l’Urartu (Arménie actuelle), la Phénicie et l’Assyrie. Entre coalitions et rivalités, les Assyriens apparaissent comme les grands vainqueurs et les petits royaumes sont absorbés dans leur empire. Cependant, la culture néo-hittite influence durablement les conquérants. Les grands orthostates des palais de Khorsabad ou de Ninive sont les héritiers de la sculpture monumentale plus ancienne. L’araméen devient la langue internationale du Proche-Orient après la déportation des peuples conquis. L’empire est donc bilingue : la langue assyrienn avec son écriture cunéiforme et l’Araméen fixé avec l’alphabet linéaire phénicien.

 

Dernière salle des royaumes voisins

La belle muséographie de cette exposition composée de reliefs monumentaux et de belles pièces d’orfèvrerie et d’ivoire nous ferait oublier la difficulté du sujet, un mélange de peuples, de langues, une localisation mouvante des espaces. Non spécialiste, préparez votre visite si vous voulez comprendre la création et l’organisation de ces royaumes oubliés vite absorbés par leurs puissants voisins, qui nous sont tout de même plus familiers, les Assyriens puis les Babyloniens…