Quel avenir pour l’Europe ?

Au cœur du sujet du festival de géopolitique de Grenoble, école de management, cette émission réunissait Fabien Terpan, Jean-François Drevet, Pascal Boniface, et Laurent Chamontin.

La question centrale qui a permis aux quatre intervenants de s’exprimer pour cette émission géopolitique du dimanche soir, est bien celle de l’autonomie stratégique de l’Europe, et par voie de conséquence, ses relations avec les États-Unis, dans le cadre de l’OTAN. Jean-François Drevet, haut fonctionnaire européen, a montré les difficultés d’adapter les institutions d’une Europe qui avait été conçue pour six pays membres, 12, à la rigueur, mais certainement pas à 28. L’histoire a évidemment laissé des traces, et il a fallu sur plusieurs questions trouver des solutions, plus ou moins adaptées, qui ont conduit, à Lisbonne, comme à Nice, mais déjà à Maastricht, à faire évoluer les traités.

Plusieurs questions se posent à propos du passage de l’unanimité à la majorité qualifiée, dans un domaine particulièrement sensible et qui peut menacer la cohésion de l’union, à savoir la fiscalité, ou la politique migratoire. Jean-François Drevet a d’ailleurs rappelé que si l’Europe veut être indépendante, elle devra partager des éléments de plus en plus important de sa souveraineté.

Maître de conférences à l’institut d’études politiques de Grenoble, Fabien Terpan a insisté sur la nécessité de remettre en cause les politiques de dumping fiscal et social de certains pays. Mais il a également rappelé que si l’union européenne n’a pas réussi à résoudre les difficultés, notamment dans le domaine social, celles-ci n’ont toutefois pas été créées par l’Europe. Et il serait injuste de faire porter à Bruxelles la responsabilité des difficultés, une bonne partie des mesures mises en œuvre l’ayant été par le conseil européen, c’est-à-dire par la réunion des 28 chefs d’État.

Pour Laurent Chamontin, écrivain, consultant, spécialiste de l’Europe postsoviétique, l’un des points importants et celui de la mise en œuvre rapide d’une défense européenne. Le problème est qu’une défense européenne ne peut être fondée que sur une diplomatie commune, ce qui est loin d’être le cas. Il n’en demeure pas moins que les choses ont pu avancer, avec la nomination d’un haut-commissaire aux affaires étrangères de l’union européenne, Federica Mogherini. Parmi les interrogations qui ont pu être avancées, un rapprochement de la Russie avec l’union européenne peut être envisagé, même si la politique de Poutine aujourd’hui à l’égard de l’Ukraine et la pression exercée sur les pays baltes semble repousser cette idée à un avenir beaucoup plus lointain.

Pascal Boniface est revenu sur ses préoccupations, en considérant que la priorité doit être à une Europe forte face à la Chine, mais également face aux États-Unis. Il est vrai que l’addition de tous les budgets militaires des pays membres de l’union atteint les 250 milliards d’euros, ce qui mettrait l’union européenne au niveau des estimations communément admises pour le budget militaire de l’empire du milieu. Il est clair que la Chine souhaite une Europe divisée, sur laquelle des discussions bilatérales mettraient l’empire du milieu en position favorable. L’Europe est certes une puissance, même si elle n’est pas véritablement une puissance militaire, mais un certain nombre de menaces s’exerce sur sa cohérence à court ou à moyen terme. À long terme on peut s’interroger sur le fait de savoir si le couplage entre les États-Unis et l’union européenne par l’intermédiaire de l’OTAN survivra à l’administration républicaine actuelle, surtout dans la perspective d’un renouvellement du mandat de Donald Trump.

Le deuxième problème est celui posé par la Turquie qui exerce incontestablement une pression permanente sur l’Europe, en utilisant la question migratoire, mais aussi une politique à 360°, notamment un rapprochement avec la Russie, tout en entretenant des relations privilégiées, malgré un épisode particulièrement tendu récent, avec l’Arabie Saoudite, et le monde sunnite en général. Le rappel de cette autonomie stratégique reste tout de même central. Comment atteindre cet objectif, tant le tropisme national de chacun des membres de l’union est fort, comme l’a rappelé Laurent Chamontin.

Parmi les questions qui sont posées, et qui interpellent forcément les spécialistes, le rôle des États-Unis dans la défense de l’Europe, a été l’objet de différentes interventions. Pascal Boniface a eu le sens de la formule en expliquant que pendant la période de la guerre froide : « l’Europe avait un mari protecteur, elle a désormais, un mari violent ». La comparaison a forcément fait mouche. Se pose également la question des relations entre l’Europe et la Chine, un empire du milieu qui souhaite une Europe fragmentée, sur laquelle, à l’exemple de ce qui s’est passé récemment en Italie, des négociations bilatérales ne mettent pas les pays européens en position d’équilibre.

Pour Fabien Terpan, maître de conférences à Sciences-po Grenoble, il convient de relativiser la faiblesse de l’Europe, qui si elle n’est pas une puissance militaire, n’en demeure pas moins la première puissance économique du monde. Elle est tout de même confrontée à plusieurs défis, la question d’un éventuel découplage d’avec les États-Unis, la pression que la Turquie peut exercer également, avec une politique agressive, et enfin les risques existants sur les marges de l’Europe, de prolifération nucléaire.

Cette prolifération nucléaire, se retrouve à proximité des frontières de l’union, notamment avec l’Iran, d’autant plus que la politique de la Russie, avec ROSATOM diffuse largement des technologies nucléaires civiles, avec les risques de détournement qui peuvent en découler.