Presque un mois après leur parution, les projets de programmes ont déjà fait couler beaucoup d’encre. Des craintes surgissent sur les arbitrages locaux ou la réduction d’heures disciplinaires sur une toile de fond hélas bien connue maintenant, celle de la recherche d’économies. Notre propos concerne ici davantage les contenus de géographie et d’histoire présentés dans ces nouvelles maquettes que le cadrage de leur enseignement même si, bien entendu, nous ne pouvons pas totalement éluder cet aspect.

Après avoir étudié

Qu’en sera-t-il également des « contenus » liés, laisseront-ils cette liberté ou seront-ils aussi détaillés que nous les connaissions jusqu’alors ? La grande question à se poser pour les enseignants du primaire comme du collège sera donc celle du choix des événements, des personnages, des dates, des lieux, des parcours entre les thèmes au choix en Histoire comme en Géographie… donc quid des documents d’accompagnement (qui devront arriver rapidement et non 4 ans après comme pour les programmes de 2008) ? Un travail important attend les enseignants avec la remise à plat des programmations et des progressions de cycle

1. L’esprit général

1.1. Un nouveau cycle 3 incluant la 6ème…

Ce glissement de la 6ème vers le cycle 3 symbolise l’abandon du cycle dit « d’adaptation ». La 6ème constitue-t-elle réellement une continuité dans le cycle 3 en termes de contenus ?
La continuité se joue surtout sur la manière d’appréhender les disciplines. Les compétences doivent être acquises en fin de 6ème…mais il est de la responsabilité des enseignants des 1er et 2nd degré de les faire acquérir de manière progressive. Pour la plupart des compétences visées, la 6ème constitue un enrichissement et une phase d’autonomisation par une guidance de plus en plus effacée.
Le cycle 4 se lit comme une « entrée réelle » dans les disciplines par leur enjeu de « compréhension du monde actuel ». Les équipes auront à choisir des parcours cohérents dans ces programmes où les choix (notamment en 5ème) risquent de se révéler difficiles.

1.2. Des compétences en préalable et non support

Là réside la grande nouveauté de ces projets de programmes… et sans aucun doute une plus grande ambition.
Jusqu’alors les contenus étaient premiers. Ici, nul doute que les professeurs seront étonnés (voire déstabilisés) de ne pas « être soumis » à la liste de repères, de connaissances à enseigner et à faire mémoriser…
Entrer par les compétences dans les programmes est une toute autre démarche. Décrites et définies, les compétences sont les principaux objectifs de ces programmes: spécifiques à l’Histoire et la Géographie, soulignant leur points communs (sur le document par exemple) ou précisées dans un cadre plus général (le numérique, la coopération et mutualisation, l’oral…).
Nul doute que cette démarche va entraîner un nouvel enseignement, mais aussi beaucoup d’inquiétude quant à l’évaluation…Ne risque-t-on pas d’avoir des disparités entre les écoles ? N’aurait-il pas fallu plutôt donner des sujets d’étude pour tous et éventuellement un au choix selon les ressources locales ? La liberté pédagogique est fondamentale pour les enseignants mais ceux-ci ont besoin de repères, surtout pour les novices.

1.3. Une liaison au socle…

Enfin, la grande nouveauté reste l’affirmation du socle comme objectif final et l’intégration de chacune des disciplines (dont les nôtres) ou champ disciplinaire (dont l’Education Civique et Morale et l’Histoire Des Arts) à l’acquisition de chacun des 5 domaines. Une contribution spécifique et essentielle de l’Histoire Géographie y est décrite, semblant parfois redondante par écho aux compétences à acquérir dans le cycle 4.
Pourvu que la validation du socle ne ressemble plus à ces listes d’items sous items…que nous avons connus.
Dans cette partie, il est à noter par ailleurs que l’ECM semble liée à l’Histoire Géographie, au moins par la typographie du tableau, quant aux langages (domaine 1), aux méthodes (domaine 2) et séparée pour les 3 autres domaines (formation de la personne/systèmes naturels/représentations du monde).

2. Géographie : des espérances confirmées

2.1. Un outillage méthodologique renforcé

La volonté de rompre avec une géographie encyclopédique aux capacités peu explicites et peu ambitieuses se ressent dans l’ensemble du texte. Dès le cycle 2, le rôle des « acteurs » est souligné comme pour introduire cette idée forte que l’espace ne se façonne pas de lui même et qu’il est bien un construit humain.

Et pour ne pas « subir » l’analyse des territoires au travers d’approches proposant des documents déjà constitués, les « attendus de fin de cycle » font la part belle au besoin de « raisonner », « concevoir, créer, réaliser » et « pratiquer différents langages », à la fois écrits, graphiques et oraux. On appréciera au passage, dans la précision des démarches de ce dernier point, l’attention portée à la « polysémie du vocabulaire » et à « l’utilisation des mots dans des contextes particuliers » et l’on sait que la géographie entretient une relation particulière avec le langage courant et les emprunts à d’autres sphères.

L’exigence de « comprendre un document » et d’en identifier la nature constitue une nouveauté également bienvenue. Combien d’élèves sèchent ou se trompent lorsqu’on leur demande de quelle nature est le document qui leur est présenté ? La recherche de l’acquisition de cette compétence ne pourra que légitimer la nécessité opportune d’offrir un panel varié de documents pour lesquels il conviendra de maîtriser les spécificités de leurs examens.

Enfin, il est intéressant de noter que les temporalités apparaissent aussi et ce, tant sur les thématiques à étudier (« Les enjeux liés à la nécessité de faire comprendre aux élèves l’impératif d’un développement « soutenable » de l’habitation humaine de la terre constituent une armature des programmes de géographie des cycles 3 et 4. Ils introduisent un nouveau rapport au futur, via notamment une sensibilisation à la prospective territoriale, car il est important d’apprendre aux élèves à inscrire leur réflexion dans un temps long et à imaginer des alternatives à ce que l’on pense comme un futur inéluctable. ») que sur la forme méthodologique (utilité des « écrits de travail », des « écrits intermédiaires », du « brouillon »…). Un pas salutaire à une époque où l’immédiateté, voire « l’immédiatisme », semble constituer l’inquiétante norme.

2.2. La coloration thématique de l’habiter en cycle 3

Si la programmation du cycle 2 reste très libre comme elle l’a toujours été et que celle du cycle 4 ne modifie sensiblement pas les thèmes actuellement à l’étude en collège, celle du cycle 3 se centre autour de la très riche question de « l’habiter » que l’on a en quelque sorte « étiré » de la 6ème vers le CM1 et le CM2 pour l’enrichir.

L’année de 6ème se trouve légèrement modifiée en perdant l’analyse de l’espace proche mais conserve le détail de l’habiter en zone urbaine, rurale, littorale, avec en toile de fond l’étude de la répartition de la population mondiale et celle de la vulnérabilité des territoires.

L’habiter se verrait donc traité de manière plus thématique sur les années de CM1 et CM2 : la localisation de son/ses lieu(x) de vie à différentes échelles, le fait qu’habiter ne se résume pas à résider mais rime avec logement, travail, loisirs, consommation et bien sûr déplacement, le tout avec, en arrière-plan, l’idée de « mieux co-habiter » avec son environnement naturel.

Il conviendra d’être vigilant sur les intitulés des thèmes 2 et 3 du CM1 évoquant « logement, travail, loisirs en France » avec un focus sur un espace touristique (possibilités nombreuses de comprendre la (co)habitation temporaire) et des (seuls ?) « espaces urbains » ainsi que « consommer en France ». Tomber dans un certain réductionnisme spatial sur ces deux entrées serait dommage d’autant que la démarche multiscalaire est très présente ailleurs, et même en cycle 2, dans le volet « comprendre les organisations du monde ». Sur cette crainte, le thème retenu de la consommation « alimentaire » rassurera puisqu’il ne pourra être seulement question de circuits courts mais la force des mots choisis par les documents officiels est telle dans l’esprit des enseignants et des concepteurs de formations et de manuels que la remarque mérite d’être faite. De même, les espaces ruraux, montagnards et littoraux, explicitement absents du thème 2 du CM1 se retrouveront, selon les choix, dans l’étude de l’espace touristique et seront (re)vus en 6ème.

Quelques disparitions/déplacements à noter : l’Union Européenne (qu’on ne voit seulement en histoire en cycle 3 mais qu’on retrouve en 3ème en géographie), la frontière (nouveau thème salutairement apparu en 4ème), l’Outre-Mer (présente en 3ème), l’eau (étudiée en 5ème).

3. Histoire : une apparente simplification ?

A la première lecture de ces nouveaux programmes, on peut se dire que les enseignants du primaire ont été écoutés sur l’état d’un programme 2008 trop dense, avec trop de dates, trop de personnages, trop d’événements. Comme l’écrit le rapport national sur la consultation des programmes : les enseignants déplorent en effet un amoncellement de faits qui ne laisse pas de place à la réflexion. La chronologie est largement dénoncée comme trop difficile au CE2 quand les élèves ne se repèrent pas dans le temps. Un retour à l’histoire locale est plébiscité par les enseignants.

Travailler en histoire pour mettre en place une histoire et une culture commune et non une accumulation de faits, de dates, voilà l’objectif principal de ces nouveaux programmes un bel objectif et des programmes qui donnent l’impression de s’en donner les moyens.

3.1. En cycle 2

Pour le cycle 2 qui intègre maintenant le CE2, « la découverte du monde » devient « questionner l’espace et le temps ». On retrouve pour le CP et le CE1 les mêmes notions que dans les programmes précédents, se repérer dans le temps vécu de l’enfant, puis sur 2 ou 3 générations… La grande nouveauté est le glissement vers le CE2 de ces notions qui doivent être approfondies. Exit l’étude de toutes les périodes du programme, exit les premières traces de vie humaine, la romanisation de la Gaule, les Grandes Découvertes et autres….Du moins en apparence, en effet, la classe de CE2 étudiera le temps long, donc la chronologie, la frise historique « à travers quelques événements, personnages et modes de vie caractéristiques des principales périodes de l’Histoire de France et du monde occidental.
L’enseignant, pour construire cette « première histoire », s’appuiera sur des diachronies diverses : alimentation, habitat, vêtement, outils, guerre, déplacements…..et ce, afin d’élaborer une frise chronologique qui pourra aussi s’enrichir du travail réalisé en histoire de l’art. L’appui sur les ressources locales est bien spécifié : monuments, traces (on verra d’ailleurs que ces ressources sont fortement sollicités pour le nouveau cycle 3).

3.2. En cycle 3

Pour le nouveau cycle 3 (CM1-CM2 et 6ème), la perception du temps long se construit progressivement sur ces 3 années. Il est reconnu qu’en effet la construction du temps s’avère complexe pour des enfants de cet âge. Rien ne sert en effet d’accumuler des connaissances et des dates si les élèves sont incapables de les situer et de se repérer dans le temps !
Le travail sur document est bien explicité, une nouveauté et une nécessité pour le travail en classe ! Aussi bien pour l’élève que pour l’enseignant….
Cela donne du sens au document en histoire : le comprendre, l’analyser, le construire et ce dès le CE2 avec l’élaboration de cartes légendées simples, de tableaux à double entrée pour comparer des modes de vie des sociétés étudiées dans le temps historique
L’utilisation de transdisciplinarité est soulignée : les mathématiques, le français, la technologie sont convoqués. Ne pas cloisonner les matières pourra permettre aux élèves de trouver du sens à ce qu’ils étudient en classe. On ne travaille pas sur les tableaux à double entrée uniquement pour apparier des ronds avec des couleurs mais bien pour les utiliser en histoire, en sciences etc….

Dans le concret, on assiste donc à un glissement du programme de CE2 dans le CM1 avec 3 grands thèmes à travailler : des traces de l’histoire dans l’environnement des élèves, la France d’avant la France et le temps des rois. On est loin des 9 points forts de 2008, déclinés en 34 sous points !
L’enseignant s’appuie, pour le premier thème, sur le travail réalisé en CE2 (ce qui signifie un travail d’équipe dans l’école pour constituer les programmations !) et sur les ressources locales (ce qui signifie aussi une bonne connaissance de la part de l’enseignant de l’endroit où il enseigne, le rôle de la formation continue et de stages disciplinaires est alors plus que nécessaire dans un temps où celle-ci est de plus en plus dématérialisée avec M@gistère !)

Sur les 2 ans, l’ensemble des périodes historiques est abordé. Les repères annuels semblent succincts par rapport aux programmes de 2008. Du coup, beaucoup de choses disparaissent : l’Islam, la Guerre de 100 ans, les Grandes Découvertes, l’esclavage…

En CM2, 3 grands thèmes également : le temps de la République, l’âge industriel en France avec 2 sujets d’étude avec entrées concrètes au choix sur 4 et la France, des guerres mondiales à l’Union Européenne en s’appuyant encore sur les traces laissées par les conflits.

Ces nouveaux programmes donnent l’impression d’avoir pioché dans les anciennes instructions officielles, celles de 2002 pour l’utilisation du local, celles plus lointaines de 1985 avec pour le cours élémentaire (CE1 et CE2 réunis) les sujets d’étude à mettre en place…et l’étude sur 2 ans plus systématique de l’histoire réservé au cours moyen (CM1 et CM2 réunis).

3.3. En cycle 4

Concernant le cycle 4, le fait religieux reste présent du moins dans la naissance des 3 monothéismes: en 6ème (fin cycle 3), il est très abordé avec le thème 2 « Croyances et récits fondateurs dans la Méditerranée antique au Ier millénaire avant J.‐C. » où l’on retrouve les débuts du judaïsme et dans le thème 3 sur l’Empire romain où l’on reprend les débuts du christianisme comme c’était le cas dans les anciens programmes. En 5ème, le premier chapitre du thème 1 aborde l’Islam: L’Islam : (débuts, expansion, sociétés et cultures), « L’histoire du fait religieux, abordée au cours de l’année de sixième, est complétée et approfondie et permet à l’élève de mieux situer et comprendre les débats actuels. » (Les débats actuels sont-ils historiques/géographiques/ civiques et moraux ?).

Enfin, on voit peut-être mieux apparaître l’Histoire globale dans les directions historiographiques à suivre: « L’élève s’interroge sur le rapport des Européens au monde, les contacts entre civilisations, les décloisonnements et les connexions entre sociétés (tous ces aspects pouvant être analysés dans le cadre de l’histoire globale) ».

Au niveau de la « chronologie », le seul glissement important en Histoire est la 1ère guerre mondiale qui passe de la 3ème vers la 4ème introduisant une nouvelle rupture dans la tête des élèves, parce que même si l’on est dans le même cycle, le dernier chapitre (habituellement peu approfondi pour cause « d’infaisabilité » à finir les programmes). La rupture devient celle (politique) des années 20 -30 en Europe, non plus celle de 1914, l’après guerre et non la PREMIERE guerre MONDIALE. L’histoire ne devient donc pas MONDIALE seulement en 3ème. Il faudra faire clairement apparaître tout au long du cycle 4 cette évidence de convergence des histoires, de débordement d’échelles.
Il reste ensuite la place de l’Histoire des Arts, qui reste importante. 20% de nos programmes en 2008, sa place est réaffirmée dans les nouveaux programmes dans les 2 cycles.

4. Conclusion

Pour conclure, ces nouveaux programmes et leur liaison au socle semblent faire entrer définitivement le collège dans l’enseignement par compétences (mais qu’en sera-t-il de l’évaluation par compétences justement ?)
La 6ème intégrée au cycle 3 semble trouver sa place au vu des programmes, une place apparemment cohérente (mais qu’en sera-t-il de la collaboration école-collège ?). Un travail conséquent à mettre en place dans ces nouveaux cycles, avec de nouvelles progressions et de nouvelles programmations, cela ne se fera sans heurt dans certaines écoles, du temps devra être dégagé pour cela, sans compter les autres matières à retravailler.
Un nouveau défi pour les enseignants mais globalement des programmes intéressants à mettre en place si on en donne les moyens aux professeurs ! C’est justement sur cette question des moyens que le débat se poursuit : documents d’accompagnements, horaires, formation, manuels…la prochaine étape se fera à partir du 11 mai, date à laquelle la consultation sur ces programmes s’ouvrira et où chacun pourra donner son avis.