Il convient de rappeler que des programmes, même rédigés dans les règles de l’art, ne sauraient faire l’unanimité. Un intitulé de chapitre, une répartition horaire, un ordre d’exécution, un choix d’exemple ou d’étude de cas, tout peut se discuter. Comme il faut bien finir par trancher, un programme n’est que l’addition de compromis.

Qu’en est-il de celui qui vient de paraître pour le lycée au Bulletin officiel du 22 janvier 2019 ?  La critique, bonne ou mauvaise, est d’autant plus difficile ici que notre perception se trouve pour l’instant amputée du programme de Terminale. Difficile dans ces conditions d’appréhender le sens, c’est-à-dire la direction de l’ensemble. Quand on prend un train, on aime en général savoir où il va. Reste la signification de ce qui est donné à voir, dans sa double composante théorique et pratique.

Concernant le programme de tronc commun 

En Seconde, les programmes en Histoire sont cohérents et débutent par un utile préambule sur la périodisation de l’échelle du temps. La structure d’ensemble est très classique. Nous revoilà dix ans en arrière avec une Antiquité grecque limitée à la seule figure de Périclès et un retour du christianisme sous Constantin. En Histoire médiévale, l’examen des sociétés rurales et urbaines a disparu au profit de la seule Méditerranée comme carrefour civilisationnel. Enfin, l’examen des débuts du monde moderne s’affranchit des études de cas audacieuses sur Pékin ou une cité précolombienne. La grande nouveauté vient de la nette revalorisation de l’Histoire moderne qui, à côté du traditionnel thème sur le XVIe siècle, se voit renforcée par une première douzaine d’heures sur l’État en France et en Angleterre aux XVIIe et XVIIIe siècles et une seconde relative aux ruptures sociales et intellectuelles pré-révolutionnaires. Si l’on peut se féliciter de cette remise en perspective de l’arrière-plan de 1789, nous sommes plus réservés quant au report en début de Première de la Révolution elle-même. En Première, l’enseignant retrouvera l’histoire du XIXe siècle, son industrialisation, son mouvement des nationalités, ses empires coloniaux… La Deuxième République et le Second Empire font leur grand retour et la Troisième République se voit nettement renforcée par un thème de près de 13 heures. L’année se terminera par le « suicide européen » dans la Grande guerre. Les enseignants pourront enfin consacrer un volume horaire décent à ce conflit, à moins bien entendu que la corpulence des chapitres précédents ne conduise au très prévisible pas-de-course final. Car c’est là où le bât blesse, aussi bien en Seconde qu’en Première, il faudra cravacher. Dans la pratique, nous sommes prêts à prendre les paris que l’ambitieux volet moderniste sera écorné de plusieurs heures en fin de Seconde et qu’il en sera de même pour la Grande guerre. Dans ce dernier cas, le sacrifice annoncé prend un goût bien amer quand on songe que nous sortons d’un cycle de quatre années de commémoration du Centenaire.

En Géographie, l’éclatement des analyses sur la France délivre certes l’enseignant du pensum actuel en Première mais risque de désarticuler davantage les connaissances de l’élève. En abandonnant la géographie régionale en Seconde et en Première, le programme tombe dans le piège du tout-thématique qui avait été fort critiqué en son temps pour l’histoire en Première. La seule exception, guère compréhensible sur le fond d’ailleurs, vient des chapitres conclusifs consacrés à l’Afrique australe (Seconde) et à la Chine (Première). Dans l’absolu, ces deux espaces auraient pu avoir leurs propres études de cas dans les chapitres précédents. Sans doute que les prochains programmes de Terminale éclaireront rétrospectivement ces choix. Les sujets abordés sont, comme en histoire, déjà bien connus des enseignants : démographie, migrations et mobilités et environnement en Seconde, espaces productifs, métropolisation et espaces ruraux en Première.  Dommage toutefois que les questions environnementales ne soient plus abordées ailleurs que dans le premier thème de Seconde. Sans doute que les enseignants rectifieront le tir dans la pratique mais on peut regretter que l’Éducation nationale ne soit pas plus offensive, alors que la recherche se montre nettement plus dynamique. On verra ce qu’il en est avec la future « Classe de maturité ».

Sur la forme, les programmes d’Histoire oscillent entre dirigisme (« points de passage et d’ouverture) et incitation (« on peut mettre en avant »), là où la Géographie se montre nettement plus libérale avec des études de cas au choix. Or, le volume alloué à nos disciplines ayant été réduit, il paraît peu probable que ces points de passage et d’ouverture soient autre chose qu’une rapide allusion au détour du cours, ne serait-ce que parce qu’ils sont tous obligatoires. Enfin, les choix proposés semblent céder au politiquement correct. Faute par exemple d’un vrai chapitre sur la condition féminine, le programme donne le sentiment de compenser en imposant l’examen de quelques figures supposées tout résumer. Mme Roland ici, Louise Michel là…

Point de désaccord total enfin, le sort réservé à la série technologique. Coup sur coup, l’enseignant devra affronter la perte d’une demi-heure hebdomadaire et un programme terriblement fastidieux et indigeste pour les élèves qui, il faut le rappeler, ne sont pas des élèves de lycée général. Notre incompréhension est totale.

Concernant le programme de spécialité 

D’un côté, l’association se réjouit de retrouver quelques-unes des propositions qu’elle a pu formuler en audience. Nous avions en effet souhaité le maintien de certaines questions incontournables comme « Médias et opinion publique » ou encore celle du Proche et Moyen Orient. C’est chose faite, quoique le Moyen Orient paraisse survolé. Il y a d’ailleurs une certaine audace à glisser en histoire une approche des théories du complot alors qu’en parallèle, le sujet sera abordé en Seconde (Emc et Sciences numériques et technologie).

D’un autre côté, le programme de spécialité paraît bien ambitieux dans sa formulation. Il aurait gagné à plus de simplicité, une partie des élèves n’ayant pas forcément la capacité de faire des bonds dans le temps de plusieurs siècles dans un même axe. Ajoutons que ce n’est pas non plus dans les usages de la formation universitaire que de télescoper pêle-mêle, le limes romain, la conférence de Berlin et la crise coréenne. Il aurait mieux valu accepter d’emblée la souplesse en proposant des thèmes au choix. Ici, le saut qualitatif  est net. L’association n’est évidemment pas opposée à l’exigence mais il faudrait rappeler que la réforme intervient après celle du collège et qu’il est difficile d’alléger d’abord les contenus pour les durcir ensuite. Par ailleurs, si la marche du lycée général devient trop haute, l’Éducation nationale est-elle prête à en tirer toutes les conséquences pour les résultats au Baccalauréat et même l’orientation des élèves en fin de Seconde ? À moins bien entendu que la montagne n’accouche d’une souris et que les attendus terminaux se révèlent bien modestes. Dans tous les cas, les programmes deviendront ce que les professeurs en feront. Notre liberté pédagogique permettra de nuancer certains « partis pris » par des « choisis ».

En guise de conclusion, terminons sur cette phrase épineuse tirée des documents d’accompagnement:  « L’enseignement est assuré par les professeurs d’histoire et géographie avec l’appui, le cas échéant, des professeurs de sciences économiques et sociales ».

Dès le début, les Clionautes se sont battus pour que l’enseignement de spécialité revienne aux seuls professeurs d’Histoire-Géographie. Force est de constater que des logiques souterraines ont prévalu et que dans les établissements, à l’approche des discussions sur la dotation horaire globale, certains proviseurs et certains collègues sont déjà prêts à tronçonner notre spécialité.

Faut-il rappeler qu’en bon français, « le cas échéant » signifie « si cela se produit » ou « éventuellement » et qu’on ne saurait donc, à moins que les collègues d’Histoire-Géographie ne le demandent eux-mêmes, imposer des enseignants de Ses. Or, nous avons appris que dans certains lycées, les chefs d’établissement envisageaient une séparation 50/50 entre Ses et Histoire-Géographie. C’est inacceptable. Nous invitons les collègues concernés à contacter leurs inspecteurs pour faire valoir leurs droits et à nous remonter ces situations pour avoir une vue aussi large que possible du problème.

Nous tenons à rappeler que les Ses ont déjà leur spécialité. Le programme de notre spécialité est, de toute évidence, rédigé à l’intention de diplômés en Histoire et/ou Géographie. Quand les professeurs de Ses auraient-ils appris à faire de la Géographie ou de la Géopolitique ? On peut bien entendu toujours soutenir que de prochaines formations clés en main, financées on-ne-sait-comment, régleront tout mais alors à quoi bon hausser les exigences pour les élèves si on les abaisse pour les enseignants ?

En l’absence de chapitres taillés explicitement pour les Ses, on ne voit pas ce qui pourrait justifier la présence de leurs professeurs, si ce n’est les sempiternels problèmes d’ajustement de service. Certes, en tant que collègues, nous ne pouvons qu’être sensibles au problème des suppressions de poste mais il faudrait rappeler que, même si l’Histoire-Géographie est en tronc commun, c’est avec un volume horaire réduit par rapport à l’existant et avec le problème toujours pendant de la disparation des heures de Dnl, dont on sait qu’elles sont souvent tenues par les enseignants d’Histoire-Géographie. Autrement dit, notre matière aussi, doit supporter des pertes sans être tenue, évidemment, pour responsable des problèmes des Ses. Précisons également que la réforme ouvre de nouvelles heures pour l’orientation ou le droit qui pourraient tout à fait justifier la présence des enseignants d’économie à nos côtés. On voit bien ici que l’on ne parle plus du tout de pédagogie mais de ressources humaines. Là où certains proviseurs espèrent tout régler par le découpage de notre spécialité, ils se préparent en réalité des lendemains qui déchantent, dans l’articulation du bloc horaire sur l’emploi du temps, dans la lisibilité du bulletin, des notes et des moyennes, dans l’organisation des épreuves communes à venir, tant dans la confection des sujets que dans la correction. À cet égard, les proviseurs seraient bien inspirés de discuter avec les principaux des collèges sur les immenses difficultés d’organisation soulevées par l’épreuve de Sciences du Brevet, partagée entre collègues de Mathématiques, Physique et Svt.  La stabilité n’est-elle pas une condition nécessaire à la mise en œuvre du nouveau programme ?

Il ne nous appartient pas de trouver des solutions miracles pour les collègues des autres disciplines aussi bien en sciences économiques et sociales qu’en français, philosophie ou mathématiques. Les Clionautes restent persuadés que le manque d’heures ne peut pas être résolu en venant braconner celles des autres matières, au risque de sombrer dans un défaut majeur unanimement dénoncé : privilégier une logique comptable au détriment de l’intérêt des élèves.

Concernant l’Enseignement moral et civique

En l’absence de fléchage explicite, n’importe quel enseignant peut s’occuper des heures d’Emc. Quand on songe que jadis, ces heures ont été prises sur le volume de l’histoire-géographie, on ne peut que déplorer la banalisation de notre expertise en la matière.

Bien entendu, la réforme de 2018 n’a pas créé le problème mais on peut se désoler qu’elle ne le résolve point. Les thématiques abordées en Seconde, sur la conquête des libertés et l’État de droit, entrent en résonance avec le programme d’histoire de Première. Le complotisme et le révisionnisme envisagés en Première peuvent également être reliés avec le chapitre de spécialité consacré aux médias.

À propos de l’évaluation, l’Emc entre explicitement dans le contrôle continu avec une ligne spécifique. Le ministère souhaite manifestement en finir avec une vieille pratiquée encore ici-et-là qui font des heures d’Emc le prétexte à des approfondissements dans la matière principale de l’enseignant.  Les Clionautes sont toutefois surpris de la disparition des chapitres consacrés à la Défense, dont on rappelle qu’ils faisaient partie de la formation civique élémentaire des élèves. Nous espérons qu’il ne s’agit que d’un report sur la classe de Terminale. Étant soucieux de développer le lien entre l’armée et la nation, nous serons vigilants sur ce point, notamment lors de la prochaine audience du Conseil supérieur des programmes en mars.

Cécile Dunouhaud- Déborah Caquet – Ludovic Chevassus