« les enseignants innovants » au 6ème forum du Café pédagogique à Nantes, les 5-6 avril 2013

Deux jours intenses et réussis, grâce aux projets présentés (une centaine !) et à l’organisation (Café pédagogique et Région Pays de la Loire). Je n’aborderai pas certains aspects « annexes » qui mériteraient compte-rendu voire débat – Je pense à la conférence sur le lycée expérimental de St Nazaire, les ateliers sur la parité, la remédiation, l’usage raisonné des Tice, sans compter les moments festifs.

Je mentionnerai seulement la présence le vendredi matin des personnalités qui ont présidé au lancement du forum : François Jarraud, président et fondateur du forum, Jacques Auxiette, président de la région Pays de la Loire qui nous accueillait à l’hôtel de Région, George Pau-Langevin, ministre déléguée à la réussite éducative et le nouveau recteur de l’académie de Nantes, William Marois.

Je souhaite me concentrer sur l’aspect qui me semble essentiel et qui motive notre participation/soutien à ce forum en tant qu’association : le travail accompli par les collègues « innovants » et si nous devons continuer à y participer en tant qu’association.

Nous sommes reçus vendredi matin à l’Hôtel de Région de l’Ile Baulieu, lieu nantais de ces nouveaux territoires urbains devenus « coeur de ville », par les effets conjoints de l’expansion de l’urbanisation et des aménagements intégrant architecture novatrice, restaurations des friches industrielles et mixité sociale.
Lieux spacieux et naturellement éclairés malgré le temps hivernal inhabituel qui règne là comme ailleurs en France. Les candidats présentent leurs projets à l’aide d’affiches, accompagnés d’appareils connectés. 100 projets ont été retenus sur plus de 170 envoyés. Le grand hall d’entrée est plein comme un oeuf. En tant que représentant d’une association soutenant le forum, je fais donc partie du jury en binôme avec une collègue de l’association Cnarela, Hélène Huet, professeure de lettres classiques. Nous devons écouter et questionner au moins 10 profs dont les n° nous sont attribués, et si possible en voir d’autres ; poser des questions aux concepteurs et en choisir 3-4 qui sortent selon nous du lot.
Deux matinées y seront consacrées, 2 fois 3h qui ne seront pas suffisantes pour tout voir, la qualité des travaux étant impressionnante. Être juré est un redoutable honneur quand il s’agit de faire des choix et donc d’éliminer une majorité de projets remarquables.

Nous remarquons d’abord des projets qui impressionnent par leurs qualités techniques et la maitrise de leurs concepteurs et aussi par leurs intentions pédagogiques ; tout le monde ici est motivé par le fait de faire progresser ses élèves, de leur redonner le sens de l’école, de les amener à ne pas subir l’enseignement, mais en être les acteurs.
D’autres cherchent à faire travailler ensemble plusieurs enseignants de différentes matières, voire une partie de leur établissement dans un projet commun.
Quel est en fait leur dénominateur commun ? L’innovation. Mais selon quels critères ? D’abord la dimension sociale et citoyenne couplée à la forte implication des élèves et l’importance de la transposition, sans forcément être estampillé « Tice ».

Eh bien oui, les Tice ne sont pas ici un passage obligé. D’ailleurs quand on entre dans le hall, ce qui frappe ce sont les grandes affiches qui surplombent les postes des candidats, bien avant les appareils connectés. Du papier, quand on est innovant, c’est curieux à prime abord, mais le lieu commande : il faut déjà faire tenir 100 espaces restreints avec affiche, connexion et table pour le matériel. Difficile d’avoir 100 vidéo-projecteurs (à amener ? en prêt ?). Donc l’essentiel n’est pas là, les Tice, oui, ils sont là avec une présence forte des outils nomades. D’ailleurs les 12 lauréats primés recevront une tablette (Samsung)… Cela dit, le bon vieil ordinateur résiste bien, ne serait-ce que pour les plateformes, sites, wikis, logiciels quasi toujours en OpenSource et donc pas (encore) existants sur tablettes; et bien sûr la communication qu’ils permettent, notamment avec les réseaux sociaux.

On remarque que l’utilisation de Twitter se répand pour les communications classe ou inter-classes. C’est vraiment l’outil idéal pour être réactif en groupe « fermé » et en même temps communiquer avec des personnes extérieures intéressées par l’expérience.
Facebook dont les possibilités sont plus étendues l’est paradoxalement moins, car il est concurrencé par les plateformes (ENT ou non) qui offrent des outils intéressants comme les forums (question à résoudre et propositions de réponses), les wikis (écriture collaborative), les blogs (compte-rendu de travaux, démarches, plans)…

Ensuite, l’implication de ces collègues, qui viennent de tout l’arc éducatif, de l’école maternelle aux classes préparatoires en passant par le CFA. Elle repose pour la plupart sur le fait que la société a changé, que les conditions d’enseignement ne peuvent plus se limiter à une transmission frontale traditionnelle vis à vis des publics massifiés qui sont les nôtres. Peu d’affirmations idéologiques d’ailleurs quand on interroge ces praticiens de l’éducation sur leur vision de l’école. La plupart cherchent simplement à faire fonctionner leur classe, hétérogène et peu réceptive à un enseignement vertical, et à trouver des solutions pour que l’école continue ses missions, dans une société chahutée par la crise, celle de l’économie, mais aussi celle des valeurs.

En parcourant toutes ses initiatives, venant aussi de professeurs souvent isolés qui tentent d’impliquer leurs collègues autour de leur action, on se dit que la plateforme numérique voulue par le ministre de l’Education serait une bonne chose, ne serait-ce que pour fédérer et permettre des transpositions à ceux qui voudraient les expérimenter. Or le scepticisme règne quand il s’agit de la Refondation, qui tranche avec le dynamisme des projets. Deux arguments qui reviennent en boucle, m’ont particulièrement frappé :
la réforme de l’éducation doit certes être impulsée dans ses grandes lignes, mais ne se fera qu’avec les acteurs du terrain. Or ceux-ci désignent souvent l’autorité hiérarchique comme facteur de frein, même si des collègues peuvent être soutenus par leurs inspecteurs ou leur chef d’établissement dans leurs projets, ce qui montre que les fonctions de conseil et d’accompagnement pourraient primer sur les comportements purement administratifs et parfois vexatoires. A ce propos, la ministre a évoqué les termes de « bienveillance éducative » pour qualifier l’innovation. Ce serait certainement une vraie avancée que cette belle idée s’appliquât à tous les acteurs du système éducatif.

Je suis sorti de ses 2 jours en ayant constaté sur le terrain l’artificialité de la coupure entre « modernistes », « pédagos » et « traditionnalistes ». Je n’ai entendu pour ainsi dire aucune des diatribes politiques dont nous abreuvent certains forums et personnage médiatiques sur le déclinisme scolaire, et ça fait du bien de savoir que nous ne sommes ni des fabricants d’une élite qui se coupe du peuple une fois installée aux postes de commandement, pas plus que des professionnels stigmatisant ceux de plus en plus nombreux qui décrochent de notre système scolaire, comme les comparaisons internationales le mettent malheureusement en évidence.
A ce propos, je voudrais saluer – et ce sera ma seule intervention « chauvine » – le travail remarquable de nos collègues de Clio-prépas, François Arnal (géographie, et dont le travail a été présenté sur la liste h-français) et de Franck Thénard-Duvivier (histoire, que j’ai eu le plaisir de côtoyer à Nantes, assistés de Yann Naessens (Informatique-C2i) qui ont su mettre en synergie les contenus de leur classe d’hypokhâgne avec l’acquisition de compétences indispensables à la préparation des concours (compte-rendus de lecture, mini-mémoires, soutenances devant jury) et avec celles requises pour la maîtrise des Tice et du C2i étudiant pour lesquels ils ont obtenu l’habilitation de la part de l’université Jean-Monnet de St Etienne.

Nos collègues montrent combien il est possible de concilier une exigence de contenus avec des compétences qui ne soient pas une coquille vide. Qu’ils en soient remerciés.

Le bilan de ce forum, dont la pérennité n’est pas assurée puisque sa subvention et ses soutiens (Le ministère de l’Education, Microsoft, le Syntec) se réduisent d’année en année, est donc pour moi très positif et justifie pleinement que des associations comme la nôtre puissent le soutenir et y participer.

Il serait souhaitable que l’an prochain, nous puissions à nouveau être au Jury en tant qu’association et que des Clionautes puissent présenter eux aussi leur projets. J’ai d’ailleurs contacté plusieurs collègues de nos disciplines pour qu’ils présentent leurs travaux sur nos sites.

Le débat est ouvert.

Bien à vous,

Jean-Michel Crosnier