La mise en ligne des « définitions des épreuves communes de contrôle continu » du tronc commun et de la spécialité en fin de Première a enfin levé le voile sur les ultimes contours de la réforme du Baccalauréat, point d’orgue de la réforme du lycée engagée depuis 2017. Certes, il y avait eu des fuites syndicales ces dernières semaines mais tant que rien n’était publié, on pouvait encore espérer, pour ne pas dire faire confiance.

À quoi s’attendre alors? Pour le tronc commun, il faudra compter avec une « réponse à une question problématisée » appelée aussi « réponse rédigée et construite », suivie au choix par une « analyse de documents » ou « la réalisation d’une production graphique » à partir d’un texte, le tout en deux heures. Pour la spécialité, les élèves qui abandonnent l’Histoire-Géographie en fin de Première plancheront sur une composition de deux heures. La dernière inconnue reste donc la définition de l’épreuve terminale de spécialité.

Voilà qui a de quoi inquiéter.

Formellement, les épreuves du tronc commun ressemblent furieusement à celles du Diplôme national du Brevet, non pas dans une version dinosauresque antémassification mais dans sa mouture la plus récente, celle de 2015 modifiée en 20171 : deux heures d’épreuve, une analyse de document et un « développement construit », tout est semblable. C’est bien là le problème. Peut-on se satisfaire qu’un lycéen, avec au moins 70 heures supplémentaires de cours depuis la fin du collège, ne soit soumis qu’à une version homéopathiquement améliorée du Brevet ? Précisons d’ailleurs que rien ne change en Terminale : toujours deux heures, toujours une « réponse rédigée et construite », toujours une « analyse de document ». La progressivité semble être tombée dans un vortex spiralaire.

Ce format d’épreuve est lourd de conséquences pour le post-bac qui devra désormais prendre en charge la totalité de l’apprentissage de la composition pour tous ceux qui n’auront pas choisi la spécialité HGG. Bien des filières et des écoles, soucieuses de ménager leur vivier d’élèves ont conseillé des spécialités fort diverses, s’imaginant sans doute que le tronc commun serait là pour suppléer. HEC a par exemple précisé que toutes les spécialités étaient acceptables pour s’engager en CPGE EC, même les SVT ou la Physique2. Sciences Po Paris et des IEP de province alimentent toutes les rumeurs quant à la disparition du concours d’entrée au profit d’un recrutement par Parcoursup. Quant aux licences universitaires, elles sont nombreuses à refuser de limiter les inscriptions aux seuls anciens inscrits en spécialité de la discipline étudiée. On les comprend d’ailleurs car, après tout, un lycéen peut changer d’avis et s’essayer à des études qui ne correspondent pas à son cursus initial. N’est-ce pas justement ce qu’est supposé permettre un bac dit « général »?

Or, dans le précédent système, n’importe quel bon bachelier pouvait raisonnablement envisager de réussir en Licence d’Histoire ou de Géographie ; dans le nouveau, s’il n’a pas suivi l’enseignement de spécialité, il lui sera très difficile d’y prétendre sur la base des exercices du tronc commun. Quand on pense que cette réforme a été motivée explicitement par le problème des échecs en Licence et le besoin de renforcer la cohérence Bac -3/ Bac +3, on peut craindre que la situation soit bientôt pire. Cette réalité doit impérativement frapper le Supérieur au plus vite.

Ce format d’épreuve est aussi une mauvaise nouvelle pour l’enseignant. Cette réforme prolonge une forme de déqualification du métier. À quoi bon passer des concours difficiles, pour ne pas dire tatillons, et se retrouver à corriger des petits croquis de 6-7 figurés en Terminale ? À quoi bon maintenir une agrégation si l’aboutissement technique d’une discipline scolaire est une composition de deux heures dans un enseignement de spécialité à la marge d’un hypothétique service en lycée ? Cette réforme n’a pas créé le problème mais il est évident qu’elle l’aggrave. Mécaniquement, la défense de concours nationaux de recrutement, avec toute la solennité et l’exigence scientifique qu’ils comportent, devient plus que jamais un combat d’arrière-garde. Et c’est dommage.

Bien entendu, les désolantes insuffisances du bac de demain ne doivent pas faire oublier celles du bac d’aujourd’hui. La récitation de cours pure et simple que l’on impose en épreuve majeure méritait-elle vraiment le qualificatif de composition? Quelles aptitudes cartographiques mesurait-on avec des reproductions de croquis d’enseignant ou de manuel ? Le ver était déjà le fruit. Au moins, le prochain bac nous laisse encore dans l’espérance que les sujets, pris dans la fameuse banque de données annoncée depuis des mois, obligeront à une réflexion originale. Mais ce n’est qu’une espérance car, à dire vrai, on peut tout autant retomber dans l’ornière des libellés-placages qui sévissent depuis des années.

Tout cela ne fait qu’accentuer notre incompréhension devant une décision prise sans consultation. Autant nous avons été reçus, comme d’autres, par le Conseil Supérieur des Programmes au moment de la publication des programmes, autant les associations ont été totalement écartées de ces sujets. Nous avions d’ailleurs tenté, au moment d’audiences spécifiques avec la Degesco, d’alerter sur les problèmes posés par des épreuves communes corrigées au sein du même lycée mais sans avoir l’impression d’être véritablement entendus.

Il est possible, même dans le cadre des deux heures d’épreuve du Tronc commun, d’améliorer l’épreuve. Pourquoi par exemple s’astreindre à trois épreuves identiques? On aurait tout à fait pu envisager en Terminale une composition, quitte à maintenir ce qui est prévu en Première. On aurait ainsi pu créer une vraie progressivité sur les deux années d’examen. Par contre, pour la Spécialité, nous estimons que le format deux heures est nettement insuffisant. Pour rappel, la composition de deux heures est l’équivalent de l’épreuve majeure de la Terminale S qui est la filière générale la moins favorable à l’Histoire-Géographie, alors qu’on parle ici d’un enseignement de spécialité qui a représenté quatre heures hebdomadaires pendant un an.

Le 14 février 2018, Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, appelait à un « baccalauréat remusclé » qui devait avec le nouveau lycée « projeter vers la réussite dans l’enseignement supérieur ». Avec ces épreuves, où est passée cette promesse ?

1 Note de service n°2017-172 du 22 décembre 2017. https://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?cid_bo=122780