L’exposition du musée national du Moyen-Age de Cluny explore une période charnière de l’histoire de France et de l’histoire de l’art, à travers plusieurs chefs-d’œuvre. A un moment où la guerre de Cent ans arrive bientôt à son terme, de multiples foyers artistiques émergent.

En dépit de ces temps tourmentés, la production artistique est riche et dynamique, alimentée notamment par les commandes des élites (l’entourage royal, la haute noblesse, les officiers, les marchands…) auprès d’une nouvelle génération. Elle bénéficie d’un renouveau. Cette exposition permet d’en avoir un très bon aperçu.
Les chefs d’œuvre exposés sont nombreux. Tous les arts et techniques sont convoqués : peintures, sculptures, tapisseries, vitraux, orfèvrerie, et surtout les manuscrits enluminés. Des prêts exceptionnels ont été consentis, permettant la reconstitution du Triptyque de Dreux Budé.
Les commissaires insistent sur la circulation des œuvres et des artistes. Dans la continuité de la période précédente, l’accent est mis sur l’influence flamande qui se poursuit. Ce XVe siècle, entre gothique international et Renaissance, à la croisée des modèles artistiques des Pays-Bas septentrionaux et de l’Italie, révèle un foisonnement de créations.

– La reconquête politique et artistique du royaume

Charles VII, la reconquête du royaume et la reconstruction de l’État

Le roi construit une refondation de l’État, s’appuyant sur l’administration, particulièrement les institutions judiciaires (le Parlement), ressoudant les élites autour de son projet de gouvernement, en menant une réforme de l’armée afin de conduire aux succès militaires. La fidélisation des hommes de guerre est nécessaire pour la victoire par les armes.
Il faut asseoir la légitimité du roi dans un contexte de pacification du royaume. Le traité d’Arras en 1435 scelle la paix avec le nouveau duc de Bourgogne Philippe le Bon.
L’historiographie ancienne est écartée. Il convient de démontrer que Charles VII est un roi moins hésitant ou faible, et donc davantage politique.

Cotte de mailles provenant du champ de bataille de Formigny
Europe de l’Ouest, XVe siècle
Fer et alliage cuivreux
Caen, musée de Normandie, inv D-2007-11-001a

Épée d’arçon et d’estoc
France ?, Angleterre ?, vers 1450, fer forgé
Provenance : épave de la Dordogne, Castillon-la-Bataille
Paris, musée de l’Armée, inv 21592
© Eric Joly

La célèbre Tapisserie des cerfs ailés, conservée au musée de la rue Beauvoisine à Rouen, délivre un message plein de symboles, correspondant bien au contexte de l’époque. Un cerf ailé installé dans un jardin clos, où figure une targe fleurdelisée sur le plessis, tient un étendard représentant saint Michel terrassant le dragon. Hypothétiquement, le carton de cette œuvre pourrait être attribué à Jacob de Litemont, peintre de Charles VII. Les deux cerfs posant une patte à l’intérieur de l’enclos symbolisent les provinces de Normandie et de Guyenne – reprises des Anglais lors des batailles de Formigny (1450) et de Castillon (1453) – intégrant le royaume de France.

Lissier anonyme, sur un carton de Jacob de Litemont (?)
Tapisserie des cerfs ailés
Pays-Bas du sud ou nord de la France (?), entre 1453 et 1461
Laine et soie
Rouen, musée des Antiquités, inv 1854
© Eric Joly

Pour illustrer le conflit entre les Armagnacs et les Bourguignons, des enseignes politiques sont exposées. Elles devaient être cousues sur des vêtements ou des chaperons. Les Parisiens, soutenant majoritairement le parti bourguignon, utilisent l’emblématique de Jean sans Peur : le niveau de maçon (symbole d’un État stable) et le rabot. A cela s’ajoute la fleur de lys (pour la lignée capétienne du duc de Bourgogne) et la figure du patron de la Bourgogne, saint André, accompagné de sa croix. Le parti d’Armagnac arbore le dauphin.

Enseignes politiques : parti bourguignon et parti du dauphin
France, premier tiers du XVe siècle
Plomb et étain moulés
Paris, musée de Cluny, musée national du Moyen-Age
© Eric Joly

Cette section permet de redécouvrir le registre du parlement de Paris où figure au feuillet 121 le fameux petit portrait de Jeanne d’Arc esquissé par le greffier. En complément une missive dictée par la Pucelle à l’attention des habitants de Reims leur promettant la délivrance datée du 16 mars 1420 est exposée.

Clément de Fauquembergue
Registre du parlement de Paris
Paris, 1428-1436, papier
Paris, Archives nationales de France, X1a 1481, f°121 (détail)
© Eric Joly

Jeanne d’Arc
Lettre aux habitants de Reims
Sully-sur-Loire, 16 mars 1430, papier
Reims, archives municipales et communautaires de Reims, FAC 734, liasse 8
© Eric Joly

Avec le procès de Jeanne d’Arc, il s’agit de montrer que l’accès au trône de Charles VII, grâce au soutien d’une hérétique et sorcière, est illégitime.

Le manuscrit L’Arbre des batailles, d’Honoré Bouvet, commandé par le connétable de France Arthur de Richemont après sa reconquête de la Normandie (BnF, bibliothèque de l’Arsenal, ms. 2695), est connu des professeurs d’Histoire pour sa grande miniature au début de l’ouvrage. Elle présente en son centre le roi Charles, avec le dauphin Louis et le connétable, encadrés par la noblesse. Au registre supérieur, on distingue le pape, les cardinaux et la curie pontificale. Au niveau inférieur, tiers état et gens de l’Église se font face. L’affirmation de l’autorité royale est évidente. Il est en de même avec le journal du procureur Jean Dauvet dressant les procès-verbaux des séquestres et de l’adjudication des biens de Jacques Cœur. Faisant des affaires dans la draperie, le commerce de sel et du luxe, la fabrication d’armes, l’argentier (depuis 1438) est accusé de prise illégale d’intérêts et de malversation en 1451. Jean Dauvet est chargé de la liquidation des biens de Jacques Cœur. Son journal est ici ouvert au jour de la criée qui annonce la vente des biens, le 17 octobre 1453 à Bourges.

Honoré Bouvet
L’Arbre des batailles
Angers, après août 1450, parchemin
Enluminé par le Maître de l’Arsenal 2695
Paris, BnF, bibliothèque de l’Arsenal, ms. 2695, f°6v
© Eric Joly

Honoré Bouvet
L’Arbre des batailles
Angers, après août 1450, parchemin
Enluminé par le Maître de l’Arsenal 2695
Paris, BnF, bibliothèque de l’Arsenal, ms. 2695, f°6v (détail)
© Eric Joly

Jean Dauvet
Journal dressant les procès-verbaux des séquestres et de l’adjudication des biens de Jacques Cœur
29 mai 1453 – 5 juillet 1457
Paris, Archives nationales de France, KK 328
© Eric Joly

Les ordonnances de Charles VII permettent le rétablissement des finances royales (règlement, vérification des comptes, réunification de la Chambre des comptes) à partir de 1440. Dans le registre ci-dessous, le roi est figuré en souverain de justice (sceptre, robe et dais fleurdelisés) et entouré de ses principaux conseillers.

Registre ferré ou Livre des ordonnances de la Chambre des comptes de Paris
Paris, vers 1490, parchemin
Paris, Archives nationales de France, musée, AE II 523 (anc KK889), f°59
© Eric Joly

Une autre marque intéressante du rétablissement de l’autorité royale, est illustrée par un arrêt de renvoi du Parlement daté de 1453, dont le début du texte se compose par une calligraphie imposante sur la première ligne, avec ses trois lettres hypertrophiées : K (Karolus, Charles), U (Universis, à tous) et N (Notum facimus, nous faisons connaître). Les cadelures qui ornent ces lettrines participent aussi à l’éclat et la solennité du document.

Arrêt du Parlement renvoyant les conclusions d’un procès pendant entre Charles de Bourgogne, comte de Nevers et de Rethel, et le roi, au sujet des biens d’un bâtard
Paris, 22 février 1455, parchemin
Paris, Archives nationales, J 256 [Rethel], n°65
© Eric Joly

Les représentations de Charles VII

Le portrait royal individuel constitue un manifeste politique qui vise à asseoir la légitimité du pouvoir de Charles VII. Le célèbre tableau du Louvre peint par Jean Fouquet témoigne de cette volonté. Les dimensions imposantes de l’œuvre, la disposition et le contenu de l’inscription, ainsi que le motif des rideaux accentuent la sacralité du souverain. La théorie du double corps du roi, à la fois mortel (réalisme du portrait) et mystique (mise en scène avec le dévoilement autorisé par les rideaux), s’expose. Ce concept de dignitas transcende la personne du roi.
Le coussin sur lequel semble reposer les bras et mains du roi, fait penser à un prie-Dieu, ce qui pourrait confirmer la destination de cette œuvre. Il est supposé que ce tableau fut placé dans la Sainte-Chapelle de Bourges. On peut constater que la posture et le visage du roi renvoient à l’attitude des dévots, concentrés sur l’objet de leur dévotion.

Jean Fouquet
Portrait de Charles VII
Tours, vers 1450-1455
Peinture à l’huile sur panneau de chêne, 98,8 x 84,5 cm
Paris, musée du Louvre, département des Peintures, INV 9106
© Eric Joly

Les portraits de faveur du roi, commandés par de grands officiers, élargissent l’iconographie des représentations du roi. Exposée dans le Sanctuario du château de Chantilly, la miniature peinte par Jean Fouquet vers 1452-1460, pour les Heures d’Étienne Chevalier, constitue un exemple significatif. Au centre de la composition, Charles VII apparaît en Roi mage, agenouillé devant la Vierge à l’Enfant. On notera l’audace d’une telle représentation pour un usage dévotionnel. Les couleurs de sa devise : rouge, blanc, vert, sont omniprésentes. Elle figure sur la livrée de la garde écossaise qui l’accompagne.

Jean Fouquet
L’Adoration des mages
Feuillet extrait des Heures d’Étienne chevalier
Tours, vers 1452-1460
Château de Chantilly, bibliothèque du musée Condé, Ms. 71
© Eric Joly

Acquis en 2010 par le Louvre, le dais de Charles VII est présenté à l’exposition. Il est l’unique exemplaire médiéval conservé. De ce dosseret (partie verticale du dais) émerge un grand soleil à douze branches dont les rayons font scintiller une multitude d’autres astres. Les deux anges en vol, aux tuniques fleurdelisées, probablement Michel et Gabriel, soutiennent une couronne. Cette mise en scène affirme de manière symbolique l’essence divine de la royauté de Charles VII.

Lissier anonyme sur un carton de Jacob de Litemont (?)
Dais de Charles VII
France (?), vers 1440-1450
Laine et soie
Paris, musée du Louvre, département des Objets d’art, OA 12 281
© Eric Joly

Le second sceau de majesté de Charles VII gravé vers 1444-1445 prend une nouvelle valeur symbolique. Tel un nouveau Salomon, le roi victorieux et pacificateur du royaume est assis sur un trône orné de deux avant-corps de lion. D’autres lions sont représentés à ses pieds. De nombreuses fleurs de lys occupent le reste de l’espace.

Second sceau de majesté de Charles VII
apposé sur une lettre d’abolition datée de 1449
BnF, département des Manuscrits, Mélanges de Colbert, 356, n°214
© Eric Joly

L’évocation des voyages du roi dans un contexte de reconquête et de contrôle du territoire est présentée par un feuillet extrait des Annales des capitouls de Toulouse (Archives municipales BB 273). On y voit l’entrée solennelle dans la ville de la reine et du dauphin (futur Louis XI) à cheval, le 26 février 1443, encadrés par les capitouls marchant à pied. Notons, qu’une autre enluminure (f°136), non exposé, montre Charles VII accomplir l’entrée à Toulouse le 8 juin 1442 avec le même cérémonial.

Annales des capitouls de Toulouse
Toulouse, 1353-1516, parchemin
Toulouse, archives municipales, BB 273, f°138
© Eric Joly

Charles VII ou la légitimité par le livre

Il n’existe pas d’inventaire de la bibliothèque de Charles VII. La reconstituer paraît donc difficile compte tenu que le roi n’a pas hérité à la mort de son père en 1422 de l’exceptionnelle librairie de Charles V contenant plus de 900 manuscrits. Jean de Lancastre, duc de Bedford, acquiert une grande partie de cette collection (plus de huit cents volumes) en juin 1425.
On sait toutefois que Charles VII possédait le Bréviaire de Charles V, composé de deux cent quarante trois miniatures, peintes par Jean Le Noir et le Maître de la Bible de Jean de Sy. La représentation de Charles V agenouillé en prière devant le Christ tenant l’orbe terrestre figure au feuillet 261. Il s’agit donc ici du seul manuscrit connu qui provenait des deux souverains précédents.

Bréviaire de Charles V
Paris, vers 1364-1370, parchemin
Enluminé par Jean Le Noir et le Maître de la Bible de Jean de Sy
Paris, BnF, ms. Latin 1052, f°261
© Eric Joly

Pour illustrer les commandes de Charles, un volume des Grandes Chroniques de France enluminées par le Maître de Marguerite d’Orléans a été choisi. Sa datation pourrait correspondre au sacre de 1429, au regard de l’iconographie originale du frontispice. On peut observer, en vis-à-vis, au feuillet 13, le Baptême de Clovis et le Combat de Charlemagne contre les Maures.

Grandes Chroniques de France
Bourges, vers 1425-1430 (vers 1429 ?), parchemin
Enluminées par le Maître de Marguerite d’Orléans
Paris, BnF, ms. Français 2605, f°13
© Eric Joly

La commande artistique de l’entourage de Charles le Bien servi

De grands dignitaires de l’époque de Charles VII ont laissé des œuvres artistiques fameuses. Citons en quelques-uns.

Dunois (Jean d’Orléans), grand chambellan de France en 1436, est le fils illégitime du duc Louis Ier d’Orléans. Son frère, Charles d’Orléans, est fait prisonnier pendant la bataille d’Azincourt (1415). Il reste en captivité près de vingt-cinq ans en Angleterre. Grâce à l’intervention de Philippe le Bon, duc de Bourgogne, il est libéré et retourne en France en 1440 et s’installe dans son château ducal de Blois. De là, il développe un mécénat en encourageant des poètes (dont François Villon) et des artistes. Il compose lui-même aussi des poésies.

Dreux Budé, garde du Trésor des chartes du roi, fait appel à des grands peintres : André d’Ypres (son nom de convention est le Maître de Dreux Budé) pour un triptyque ; Colin d’Amiens (Maître de Coëtivy) pour une traduction de Boèce (BnF, Ms. 1098).

André d’Ypres (Maître de Dreux Budé)
Triptyque de Dreux Budé
Paris, vers 1450, huile sur bois

Volet gauche : Le Baiser de Judas et l’Arrestation du Christ avec Dreux Budé et son fils Jean III présentés par saint Christophe
Paris, musée du Louvre, département des Peintures, RF 2015-3

Panneau central : Crucifixion
Los Angeles, J. Paul Getty Museum, 79 PB 177

Volet droit : La Résurrection du Christ avec Jeanne Peschard, femme de Dreux Budé, et ses filles Jacquette et Catherine présentées par sainte Catherine
Montpellier, musée Fabre, inv 892 4 7
© Eric Joly

Étienne Chevalier est un officier du roi qui a épousé Catherine Budé, la fille de Dreux Budé. Le livre d’heures qu’il fait exécuter par Jean Fouquet rend hommage autant au roi qu’à sa propre réussite. Démembré au XVIIIe siècle, la grande majorité des enluminures (40) du manuscrit a été achetée par le duc d’Aumale. Elles sont visibles aujourd’hui au château de Chantilly. L’exposition montre la seule que détient la Bibliothèque nationale de France : Sainte Anne et ses filles. Selon la légende dorée, sainte Anne eut trois filles de lits différents : la Vierge Marie fille de Joachim, Marie Jacobé, fille de Cléophas (représentée avec ses quatre fil nés d’Alphée : Jacques le Mineur, Joseph le Juste, Simon et Jude), la fille de Salomé, Marie Salomé (avec ses deux fils de Zébédée : Jacques le Majeur et Jean l’Évangéliste). Il a été proposé (Dany Sandron) de reconnaitre le prieuré de Saint-Martin-des-Champs à l’arrière-plan. Les personnages posent entre deux tonnelles en perspective divergente. L’impression de profondeur de la composition est donc rendue par l’utilisation de la perspective oblique à deux points de fuite latéraux. Deux minuscules personnages peints en camaïeu d’or longeant l’enceinte contribuent à indiquer la profondeur de l’espace. Les deux lions dans l’initiale A font peut-être référence au lion de Juda, tribu dont sainte Anne est supposée descendre.

Jean Fouquet
Sainte Anne et ses filles
Feuillet extrait des Heures d’Étienne Chevalier
Paris, vers 1452-1460, parchemin
Paris, BnF, ms. NAL 1416
© Eric Joly

Guillaume Jouvenel des Ursins occupe la charge de chancelier. Le fragment de tapisserie aux emblèmes de la famille montre un ours, portant un collier et une chaîne, grimpant dans un arbre aux branches élaguées. Sa patte droite tient un écu d’or à trois lionceaux d’azur (ajout postérieur ?). Le fond se compose de bandes alternées de gueules (rouges) et d’argent (blanches) ornées de la lettre J et plantées d’acanthes des jardins, que l’on nomme aussi pattes d’ours ou ursines. L’ours et l’ursine constituent ainsi les devises parlantes.

Fragment de tapisserie aux emblèmes de la famille Jouvenel des Ursins
Tournai, milieu du XVe siècle ?
Laine et soie
Paris, musée du Louvre, département des Objets d’art, OA 10 373
© Eric Joly

Un manuscrit met en scène Guillaume Jouvenel des Ursins priant la Sainte Trinité sous sa double condition, celle de chancelier et celle de chevalier. L’héraldique de la famille des Jouvenel des Ursins (bandé d’argent et de gueules au chef d’argent chargé d’une rose de gueules) se déploie sur le tabard.

Giovanni Colonna
Mer des Histoires
Angers, vers 1446-1455, parchemin
Feuillet enluminé par le Maître de Jouvenel
Paris, BnF, ms. Latin 4915, f°21
© Eric Joly

Giovanni Colonna
Mer des Histoires
Angers, vers 1446-1455, parchemin
Feuillet enluminé par le Maître de Jouvenel
Paris, BnF, ms. Latin 4915, f°21 (détail)
© Eric Joly

Les Heures de Guillaume Jouvenel des Ursins se démarquent par ses marges à décor héraldique et emblématique. L’écu (bandé d’argent et de gueules, au chef d’argent chargé d’une roue de gueules boutonnée d’or assis sur une fascé d’or) est tenu par un ourson, l’emblème parlant de la famille.

Heures de Guillaume Jouvenel des Ursins
Paris, vers 1445-1450, parchemin
Enluminées par Jean Haincelin (Maître de Dunois)
Paris, BnF, ms. NAL 3226, f°28
© Eric Joly

Heures de Guillaume Jouvenel des Ursins
Paris, vers 1445-1450, parchemin
Enluminées par Jean Haincelin (Maître de Dunois)
Paris, BnF, ms. NAL 3226, f°28 (détail)
© Eric Joly

Prigent de Coëtivy exerce les fonctions d’amiral du roi. Son rôle est déterminant dans la reprise de la Normandie entre 1449 et 1450. Grand bibliophile, il commande son livre d’heures à l’occasion de son mariage. Il est figuré en dévot devant saint Michel, patron du roi de France depuis Charles VII.

Heures de Prigent de Coëtivy
Paris, vers 1443-1145, parchemin
Enluminées par Jean Haincelin (Maître de Dunois)
Dublin, Chester Beatty Library, MS W 082, f°141
© Eric Joly

Si Charles VII ne peut rivaliser en matière de mécénat et de collection avec ses cousins René d’Anjou et Philippe le Bon, il s’entoure d’hommes issus d’une nouvelle classe de grands officiers amateurs d’art, fiers de leur réussite sociale et sachant rendre hommage à leur souverain.

La diversité des foyers artistiques

Cette deuxième grande partie offre un panorama des productions artistiques du royaume de France par quelques exemples significatifs, en soulignant les spécificités et les dynamiques territoriales, ainsi que les contrastes. Les artistes circulent, diffusant styles et modèles, au gré des commandes de la bourgeoisie, du clergé et des grands princes (Bourbonnais, Anjou, Bretagne).

Les manuscrits enluminés sont majoritairement à l’honneur dans l’exposition. On peut notamment admirer le luxueux Bréviaire du duc de Bedford (BnF, ms. Latin 17294) pour la section sur Paris.

Bréviaire du duc de Bedford
Paris, vers 1424-vers 1460, parchemin
Enluminé par Haincelin de Haguenau (Maître de Bedford), Jean Haincelin (Maître de Dunois) et collaborateurs
Paris, BnF, ms. Latin 17294, f°106
Source : Gallica.bnf.fr

Dans les Heures à l’usage de Rome, ci-dessous, attribuées à l’atelier de Haincelin de Haguenau (Maître de Bedford), on remarquera l’originalité de la mise en page du décor qui accompagne la scène principale. Les quatre médaillons insérés dans la décoration marginale participent à la narration. Ces saynètes satellites contribuent au récit. Les deux larrons, Dysmas et Gestas, sont conduits sur le lieu de leur exécution. Les deux croix couchées sur le sol, en arrière-plan, attendent les suppliciés. Les deux médaillons inférieurs montrent deux hommes en marche pour prendre part à l’érection de la croix, l’un tenant une bêche (sorte de pelle avec une semelle en fer) et l’autre une échelle. Ainsi tous ces personnages dans les marges s’apprêtent à entrer dans la scène principale de la Crucifixion.

Heures à l’usage de Rome
Paris, vers 1430, parchemin
Enluminées par l’atelier du Maître de Bedford
Paris, bibliothèque de l’Institut de France, ms 547, f°21
© Eric Joly

Heures à l’usage de Rome
Paris, vers 1430, parchemin
Enluminées par l’atelier du Maître de Bedford
Paris, bibliothèque de l’Institut de France, ms 547, f°21
Source : Biblissima.fr

On observera un dernier exemple pour témoigner de la dévotion des commanditaires dans la production de l’enluminure parisienne.

Heures de Prigent de Coëtivy
Trône de miséricorde
Feuillet enluminé par Jean Haincelin (Maître de Dunois)
Paris, vers 1443-1145, parchemin
Dublin, Chester Beatty Library, MS W 082, F°254
© Eric Joly

En Picardie, Jacques II Châtillon (grand panetier au service de Charles VII) a commandé un somptueux manuscrit, acquis en 2002 par la BnF (BnF, ms. NAL 3231). La miniature de la Nativité de la Vierge au feuillet 122, attribuée au Maître de Jacques de Châtillon, influencé par la peinture flamande, rappelle quelque peu les Heures de Milan-Turin (Nativité de Jean-Baptiste enluminée par van Eyck) pour son goût des realia.

Heures de Jacques II de Chatillon-Dampierre et de Jeanne Flotte de Revel
Amiens, vers 1430-1440
Enluminées par le Maître de Jacques de Châtillon
Paris, BnF, ms. NAL 3231, f°122
© Eric Joly

Heures de Milan-Turin
Nativité de saint Jean-Baptiste
Feuillet enluminé par Jan van Eyck
La Haye, 1422-1424
Turin, Palazzo Madama, Museo Civico d’Arte Antica, INV. No 47, f°93v-94
© Eric Joly

Dans le Grand Ouest, la Touraine, l’Anjou et le Berry, régions fidèles au dauphin devenu roi, sont des territoires faisant preuve d’une importante vie artistique. Ainsi, le Maître de Rohan domine par son expressivité originale, son goût pour le pathétique et le méditatif, observables dans les Heures de René d’Anjou (BnF, ms. Latin 1156A), et surtout les Grandes Heures de Rohan (BnF, ms. Latin 9471, f°135).

Les armes et l’emblématique de René d’Anjou sont omniprésentes dans son livre d’heures. Une observation attentive permettra de distinguer l’emblème de l’aigle colletée de la croix double surmontée d’une couronne, ainsi que la devise, en Dieu en soit, inscrite sur une voile gonflée fixée sur un mât où s’enroule une couronne d’épines. Ces éléments, emblème et devise, sont disposés en chiasme lorsque le livre est ouvert. Sur le feuillet 81v apparaît René d’Anjou en prière avec une longue barbe bifide, allusion à sa captivité, après qu’il eut été fait prisonnier par Philippe le Bon à la bataille de Bulgnéville en 1431. Il est définitivement libéré en novembre 1436.
L’écu est divisé en six parties. En héraldique, on le décrira ainsi : coupé et tiercé en pal, en 1 fascé de gueules et d’argent (royaume de Hongrie), en 2 d’azur semé de lys d’or et au lambel de gueules (royaume de Sicile et de Naples), en 3 d’argent à la croix potencée d’or, cantonnée de quatre croisettes du même (royaume de Jérusalem), en 4 d’azur semé de lys d’or et à la bordure de gueules (duché d’Anjou), en 5 d’azur semé de croisettes d’or, aux deux bars d’or adossés (duché de Bar) et en 6 d’or à la bande de gueules chargée de trois alérions d’argent (duché de Lorraine).
Dépassant la simple scène de dévotion, l’affirmation de l’étendue de ses pouvoirs est clairement affichée.

Heures de René d’Anjou
Angers, avant 1435, avec des ajouts à Dijon jusqu’en 1437, parchemin
Enluminées par le Maître de Giac et atelier, le Maître de Rohan, et anonyme dijonnais
Paris, BnF, Latin 1156A, f°81v-82
© Eric Joly

Heures de René d’Anjou
Angers, avant 1435, avec des ajouts à Dijon jusqu’en 1437, parchemin
Enluminées par le Maître de Giac et atelier, le Maître de Rohan, et anonyme dijonnais
Paris, BnF, Latin 1156A, f°81v-82 (détail)
© Eric Joly

Grandes Heures de Rohan
La Déploration du Christ
Angers, vers 1430-1435, parchemin
Enluminées le Maître de Rohan et atelier
Paris, BnF, ms. Latin 9471, f°135
Source : Gallica.bnf.fr

Heures à l’usage de Rome
Vierge à l’Enfant dans un hortus conclusus
Angers, vers 1455-1460, parchemin
Feuillet enluminé par le Maître du Boccace de Genève
Paris, BnF, ms. Rothschild 2530, f°158
© Eric Joly

La sculpture est aussi mise en avant avec quelques œuvres : le Saint Symphorien de l’église de Morogues, deux Pleurants du tombeau de Jean de Berry, les Anges portant les armes de Jean V de Bueil (amiral de France en 1450) et de Jeanne Montjean.

Saint Symphorien, dit Louis de Châtillon
Bourges, 1420-1440, pierre polychromée
Morogues, église paroissiale Saint-Symphorien
© Eric Joly

Saint Symphorien, dit Louis de Châtillon
Bourges, 1420-1440, pierre polychromée
Morogues, église paroissiale Saint-Symphorien
© Eric Joly

Pleurants du monument funéraire de Jean de Berry
Sculptés par Étienne Bobillet et Paul Mosselmann
Val de Loire, vers 1450, Albâtre, traces de dorure
Paris, musée du Louvre, département des Sculptures, inv RF 2736 et 3004
© Eric Joly

Anges
Val de Loire, avant 1456, vers 1460-1470
Pierre calcaire, traces de polychromie
Provenance : tombeau de la famille Bueil dans la collégiale Saint-Michel de Bueil-en-Touraine
Tours, musée des Beaux-Arts de Tours
© Eric Joly

La Normandie se distingue par un réseau de libraires actif. Le foyer rouennais est lié à Paris. Le Maître de Fastolf et le Maître de Talbot sont influencés par l’art du Maître de Boucicaut.

Heures à l’usage de Coutances
Normandie, vers 1420-1430, parchemin
Enluminées par le Maître de Fastolf
Paris, BnF, bibliothèque de l’Arsenal, ms 560, f°70v
© Eric Joly

Gilles de Rome, Régime des princes ; Cicéron, De l’Amitié et De la Vieillesse, trad. Laurent de Premierfait ; Alain Chartier, Quadriloge invectif, Dialogus super deploratione Galliæ calamitatis et Curial
Rouen, vers 1450
Enluminés par le Maître de Talbot et anonyme
Paris, BnF, ms. Français 126, f°191
© Eric Joly

L’activité des peintres-verriers est aussi intense.

Anges aux instruments de la Passion et Ange en orant, autour de la Croix
Rouen, vers 1440-1450
Verre, grisaille, jaune d’argent, plomb
Provenance : Rouen, église Saint-Maclou, chœur, classés au titre des Monuments historiques en 1838-1840
Rouen, dépôts de la Ville
© Eric Joly

Le Bourbonnais est aussi une des régions qui affirme une intense activité artistique.
La célèbre page de l’Armorial de Revel (BnF, ms. Français 22297, f°369) montrant la ville de Moulins, vue du Sud-Ouest, met en valeur le château ducal, à la fois forteresse et résidence. Derrière la masse castrale apparaît le beffroi et la collégiale Notre-Dame. L’étendue du pouvoir de Charles Ier de Bourbon se distingue dans la partie inférieure du feuillet par la présence des armoiries de ses nombreux vassaux.

Guillaume Revel
Armorial Revel
Moulins, vers 1450-1460, parchemin
Paris, BnF, ms. Français 22297, f°369
© Eric Joly

Guillaume Revel
Armorial Revel
Moulins, vers 1450-1460, parchemin
Paris, BnF, ms. Français 22297, f°369 (détail)
© Eric Joly

Dans le Lyonnais, il subsiste quelques rares décor de fenêtre civile. Dans l’exemple ci-dessous, un couple est installé autour d’un plateau de jeu d’échecs. Le carton de ce vitrail a probablement été commandé par Humbert de La Bessée échevin de Villefranche-sur-Saône, au Maître du Roman de la Rose de Vienne (Jean Hortart ?), connu pour sa production d’enluminure à Lyon.

Les Joueurs d’échecs
Lyon, vers 1450
Verre, grisaille, jaune d’argent, plomb
Provenance : Villefranche-sur-Saône, hôtel de La Bessée
D’après un modèle du Maître du Roman de la Rose de Vienne (?)
Paris, musée de Cluny – musée national du Moyen Âge, Cl 23422
© Eric Joly

Jean Paumier, receveur royal des finances à Lyon, passe commande auprès d’un artiste que l’on nomme aujourd’hui le Maître du Roman de la Rose de Vienne. Le manuscrit du Boccace s’ouvre sur une figuration de l’instabilité des choses terrestres illustrée par la représentation de Fortune à cheval dispensant à l’aveugle honneurs et disgrâces.

Boccace, Des cas des nobles hommes et femmes ; traduction de Laurent de Premierfait
Bourges (copie) et Lyon (enluminure), vers 1435-1440, parchemin
Enluminé par le Maître du Roman de la Rose de Vienne
Paris, BnF, ms. Français 229, f°1
Source : Gallica.bnf.fr

La Bretagne bénéficie d’un relatif dynamisme en matière de commande artistique.
Les Heures de Pierre II de Bretagne (BnF, ms. Latin 1159) sont ouvertes au feuillet qui figure un saint Michel terrassant le dragon, accompagné dans la marge d’une scène de procession vers le Mont-Saint-Michel (f°160v). Celle-ci fait écho aux Heures de Marguerite d’Orléans (BnF, ms. Latin 1156B) où une belle et pittoresque marge montre le pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle (f°25). Peut-être d’origine parisienne, le Maître de Marguerite d’Orléans reflète bien l’itinérance des artistes à la faveur des commandes. Imprégné de l’art des frères Limbourg en s’installant à Bourges, côtoyant probablement le Maître de Rohan à Angers, il exploite aussi des modèles du Maître de Boucicaut. L’originalité de cet artiste réside dans l’application à proposer des saynètes vivantes.

Heures de Pierre II de Bretagne
Nantes, entre 1455 et 1457, parchemin
Enluminées par le Maître de Pierre II de Bretagne et anonyme
Paris, BnF, ms. Latin 1159, f°160v
© Eric Joly

Heures de Pierre II de Bretagne
Nantes, entre 1455 et 1457, parchemin
Enluminées par le Maître de Pierre II de Bretagne et anonyme
Paris, BnF, ms. Latin 1159, f°160v (détail)
© Eric Joly

Heures de Marguerite d’Orléans
Blois (copie), 1420-1421 (?) ; Rennes (?), vers 1423-1424 et 1430 ; Paris, vers 1450
Enluminées par le Maître de Marguerite d’Orléans
Paris, BnF, ms. Latin 1156B, f°25
Source : Gallica.bnf.fr

Deux éléments de vitraux exposés témoignent de la donation de Jean de Saint-Gilles, seigneur de Betton, gouverneur de Rennes (en 1424). Compagnon du connétable Arthur de Richemont, il devient conseiller et chambellan du duc Jean V de Bretagne. On remarquera l’expressivité du visage de Malchus à l’oreille coupée.

Baiser de Judas
Portraits de Jean de Saint-Gilles et Jeanne de Tilly, son épouse
Bretagne, vers 1425-1430
Verre, grisaille, jaune d’argent, plomb
Provenance : église Saint Martin de Betton
Paris, musée de Cluny – musée national du Moyen Âge
© Eric Joly

Baiser de Judas (détail)
Bretagne, vers 1425-1430
Verre, grisaille, jaune d’argent, plomb
Provenance : église Saint Martin de Betton
Paris, musée de Cluny – musée national du Moyen Âge
© Eric Joly

Les germes d’un art nouveau

Au XVe siècle, un nouveau langage pictural prend forme en Flandre. On assiste à une révolution de l’optique qui s’applique à traduire avec fidélité le monde réel. En 1953, l’historien de l’art Erwin Panofsky baptise ce mouvement Ars nova, en référence au renouveau musical du XIVe siècle (notation, développement de la polyphonie) à l’époque de Guillaume de Machaut.

La puissance de la cour de Bourgogne favorise le rayonnement des artistes venus du Nord. Modèles, motifs et tableaux circulent. André d’Ypres (Maître de Dreux Budé) installé à Paris en est un exemple. Dans le Sud du royaume, Enguerrand Quarton documenté à Arles et à Avignon au milieu du XVe siècle est un célèbre propagateur de ce courant.

Familier de la peinture des Pays-Bas méridionaux, Jean Fouquet intègre dans son œuvre la perspective atmosphérique, le jeu et le rendu des matériaux et des surfaces, dans le goût flamand.

La réception des modèles flamands nous est connue par le réemploi de quelques motifs ou modèles. Ainsi Jean Haincelin (Maître de Dunois) a pu avoir l’opportunité d’admirer La Vierge du chancelier Rolin de Van Eyck (conservée au Louvre).
Une enluminure (non exposée) des Heures de Dunois conservée à la British Library de Londres met en évidence cette influence. On distingue nettement la fascination pour les lointains parcourus par un fleuve sinueux. Avant 1440, dans le contexte des conflits de la guerre de Cent Ans que traverse le royaume, les emprunts sont ponctuels et se font sur des motifs isolés, juxtaposés, sans réelle logique spatiale.

Heures de Dunois
Allégorie de la Paresse
Enluminées par Jean Haincelin (Maître de Dunois)
Londres, British Library, Yates Thompson MS 3 f°162
Source : British Library

A partir de 1450, les nouveautés picturales du Nord circulent plus activement dans un royaume pacifié. En Provence, Barthélemy d’Eyck, peintre de René d’Anjou, dans son Retable de l’Annonciation d’Aix, montre qu’il a assimilé les compositions de Robert Campin et Jan van Eyck, caractérisées par la mise en page, la perspective architecturale, le rendu des matières, l’éclairage…

Barthélemy d’Eyck
Retable de l’Annonciation (panneau central)
Provence, 1443-1444
Huile sur bois, 155 x 176 cm
Aix-en-Provence, affecté à l’église de la Madeleine, déposé au musée du Vieil-Aix
© Eric Joly

L’espace où se tient Gabriel rappelle les Temps anciens, l’Age de la Loi. Les éléments sculptés font référence aux textes d’Isaïe et de Jérémie. On y voit l’image des hommes qui « ont tourné vers moi le dos et non la face », « ils n’ont pas écouté ». Avec les deux visages affrontés, « l’homme se dresse contre l’homme, l’ami contre l’ami ».

Barthélemy d’Eyck
Retable de l’Annonciation (panneau central) – détail
Provence, 1443-1444
Huile sur bois, 155 x 176 cm
Aix-en-Provence, affecté à l’église de la Madeleine, déposé au musée du Vieil-Aix
© Eric Joly

La Vierge Marie devant une roue à livres, renvoie à l’instant de l’Incarnation, le passage vers le Temps de la Grâce.

Barthélemy d’Eyck
Retable de l’Annonciation (panneau central) – détail
Provence, 1443-1444
Huile sur bois, 155 x 176 cm
Aix-en-Provence, affecté à l’église de la Madeleine, déposé au musée du Vieil-Aix
© Eric Joly

On peut observer que la descente de l’Esprit-Saint depuis la bouche de Dieu le Père prend la forme de l’homoncule (l’Enfant nu portant la Croix de son sacrifice futur).

Barthélemy d’Eyck
Retable de l’Annonciation (panneau central) – détail
Provence, 1443-1444
Huile sur bois, 155 x 176 cm
Aix-en-Provence, affecté à l’église de la Madeleine, déposé au musée du Vieil-Aix
© Eric Joly

Surmontant l’arcature trilobée au-dessus de Gabriel, on remarquera la chauve-souris, animal fuyant la lumière, et donc symbolisant les ténèbres, les idoles à rejeter, mais aussi les païens ou les hérétiques.

Barthélemy d’Eyck
Retable de l’Annonciation (panneau central) – détail
Provence, 1443-1444
Huile sur bois, 155 x 176 cm
Aix-en-Provence, affecté à l’église de la Madeleine, déposé au musée du Vieil-Aix
© Eric Joly

Fermé, le retable devait représenter un Noli me tangere (un volet pour le Christ, et un autre avec Madeleine). Il a été proposé de voir dans les deux fragments de volet (non exposés), associés au panneau central, des crypto-portraits de René d’Anjou sous les traits du prophète Jérémie, et de son père Louis II d’Anjou sous le visage d’Isaïe.

Barthélemy d’Eyck
Nature morte aux livres et Prophète Jérémie
Fragment du volet gauche du Retable de l’Annonciation
Provence, 1443-1444, huile sur bois
Rotterdam, Museum Boijmans Van Beuningen
© Eric Joly

Barthélemy d’Eyck
Prophète Jérémie
Fragment du volet droit du Retable de l’Annonciation
Provence, 1443-1444, huile sur bois
Bruxelles, musées royaux des Beaux-Arts de Belgique
© Eric Joly

Barthélemy d’Eyck s’illustre aussi dans la peinture de manuscrit avec Le Traité de la forme et devis comme on peut faire les tournois (dit Livre des tournois) de René d’Anjou. L’appelant, ici le duc de Bretagne, lance un défi au défendant, le duc de Bourbon, qui relève le défi. Il s’agit d’un affrontement à l’épée ou à la masse de deux groupes de chevaliers sous la bannière d’un chef. Les armes (« semés de fleurs de lys brisées d’une bande de gueules ») témoignent de la proximité avec la cour angevine et le roi de France. On peut souligner le choix de l’artiste de réaliser sur la totalité d’une double page sa peinture de l’« Image de la façon de la venue du seigneur appelant et du seigneur défendant pour venir dans les lices faire les serments », sans presque aucune marge.

René d’Anjou, Le Livre des tournois
Serment des tournoyeurs
Angers (?), vers 1462-1465, papier
Enluminé par Barthélemy d’Eyck
Paris, BnF, ms. Français 2695, f°76v-77
Source : Gallica.bnf.fr

Les quatre « juges diseurs » vêtus d’une robe rouge et le roi d’armes sont montés dans la tribune, sur laquelle sont accrochés les écus armoriés des juges. Les deux écus visibles au-dessus de leur tête, rappellent les deux seigneurs, chefs du tournoi, qui s’affrontent : le duc de Bretagne et le duc de Bourbon.

René d’Anjou, Le Livre des tournois
Serment des tournoyeurs
Angers (?), vers 1462-1465, papier
Enluminé par Barthélemy d’Eyck
Paris, BnF, ms. Français 2695, f°76v-77 (détail)
© Eric Joly

Dans un contexte où le trône de Naples passe temporairement à la maison d’Anjou à l’époque du roi René (avant d’en être chassé en 1442 par Alphonse V d’Aragon), le peintre napolitain Colantonio, affirme son intérêt pour l’Ars nova, peut-être par l’entremise de Barthélemy d’Eyck. L’influence de ce dernier est perceptible. Il semble avoir puisé son inspiration dans la Nature aux livres (volet gauche) du Retable de l’Annonciation d’Aix.

Colantonio
Actif vers 1440-1470
Saint Jérôme dans son cabinet
Huile sur panneau, 126 x 152 cm, 1444-1450
Retable franciscain pour l’église San Lorenzo Maggiore à Naples
Naples, Museo e Real Bosco di Capodimonte
© Eric Joly

On peut citer un autre exemple de la circulation des œuvres entre la France et l’Italie, avec un remarquable manuscrit commandé par Jacopo Antonio Marcello, un homme d’État et humaniste vénitien, et offert à René d’Anjou.

Giovanni Bellini
Strabon, Géographie, traduction latine de Guarino de Vérone
Marcello à genoux, prosterné devant René d’Anjou, offre l’ouvrage au roi
Padoue et Venise vers 1458-1459, parchemin
Albi, Médiathèque municipale Pierre-Amalric, ms 77, f°4
© Eric Joly

Enguerrand Quarton est aussi marqué par l’art flamand tant dans son travail sur chevalet que sur parchemin.

André d’Ypres (Maître de Dreux Budé) s’inspire directement de Rogier van der Weyden.

La Visitation
Feuillet extrait d’un livre d’heures enluminé par André d’Ypres (Maître de Dreux Budé)
Paris, 1446-1450, parchemin
Dijon, musée des Beaux-Arts, inv 2196
© Eric Joly

Rogier van der Weyden
La Visitation
vers 1435-1440
Leipzig, Museum der bildenden Künste
© Eric Joly

Le plus célèbre des artistes français de la deuxième moitié du XVe siècle, Jean Fouquet, dépasse la simple application des figures et motifs flamands et en livre sa propre interprétation. Sans établir des emprunts littéraux, le peintre est aussi inspiré par les frères Limbourg, Haincelin de Haguenau (Maître de Bedford), le Maître de Boucicaut et le Maître de Jouvenel. Il se nourrit aussi de l’apport de l’art italien après son séjour à Rome. Il réalise ainsi une synthèse des divers courants et traditions artistiques, sachant utiliser les perspectives aérienne, linéaire et curvilinéaire.
L’intervention de Fouquet dans les Grandes Chroniques de France (cinquante et une peintures), les Heures à l’usage d’Angers (BnF, ms. NAL 3211, f°241) et les Heures de Simon de Varie (divisées en trois volumes depuis le XVIIe siècle) se traduit par une remarquable virtuosité du pinceau et une savante composition reposant sur un « art de la géométrie ». Il adopte d’amples points de vue et exprime un goût pour l’exactitude des lieux représentés.

Heures à l’usage d’Angers
Saint François recevant les stigmates
Angers, vers 1450-1455, parchemin
Feuillet enluminé par Jean Fouquet
Paris, BnF, ms. NAL 3211, f°241
Source : Gallica.bnf.fr

Jean Fouquet
Grandes Chroniques de France
Tours, vers 1415-1420 et 1455-1460, parchemin
Paris, BnF, ms. Français 6465, f°442v
Source : Gallica.bnf.fr

L’empereur Charles IV de Luxembourg, roi de Bohême, rend visite en 1377-1378 à son neveu le roi de France Charles V. Il est accueilli par le prévôt de Paris Hugues Aubriot et le prévôt des marchands Jean Cocatrix, suivis par le chevalier de guet Philippe de Villiers et les échevins. Ils ont arrêté leurs montures et se découvrent devant l’empereur qui s’avance sur son coursier blanc. Wenceslas le roi des Romains (fils de Charles IV) chevauche à sa droite. La scène se situe entre Saint-Denis et La Chapelle-Saint-Denis. Les trois arbres structurant l’espace séparent Charles IV et Wenceslas du reste du cortège. La disposition et la forme de ces arbres ne sont pas sans rappeler ceux qui figurent dans l’Apparition des anges à Abraham sur la Porte du Paradis du Baptistère Saint-Jean de Florence. L’influence de Ghiberti semble assez évidente. La campagne et la lumière de ce paysage sont idéalisées car l’événement se déroule au mois de janvier.

Lorenzo Ghiberti
La Porte du Paradis
Apparition des anges à Abraham
Baptistère Saint-Jean, entre 1425 et 1452
Florence, Museo dell’Opera del Duomo
© Eric Joly

Fouquet adopte le format du diptyque, avec ces deux miniatures à pleine page, placées en frontispice des Heures de Simon de Varie.

Heures de Simon de Varie
Paris, vers 1455, parchemin
Feuillets peints par Jean Fouquet
Los Angeles, The J Paul Getty Museum, MS 7
© Eric Joly

Heures de Simon de Varie
Paris, vers 1455, parchemin
Feuillet peint par Jean Fouquet
La Haye, Koninklijke Bibliotheek, ms 74 G 37a f°1v
© Eric Joly

L’ouvrage est d’abord réalisé à Paris autour de 1455 par Jean Haincelin (Maître de Dunois) et par le Maître de Jean Rolin pour un commanditaire qui n’a pas été identifié. Il passe ensuite aux mains de Simon de Varie, commis à l’argenterie de Charles VII, et nouvellement anobli. Il adjoint trois feuillets indépendants dus à Fouquet. Sa devise « VIE A MON DESIR » est l’anagramme de son nom.
On notera l’originalité de la représentation de la Vierge à l’Enfant au cadrage serré dont Jésus a le front recouvert par un pan-de-voile de sa mère, sorte de Vierge de miséricorde maternelle. Fouquet n’a pas inventé ce motif qui est attesté dès le début du XVe siècle dans la sculpture toscane à Fiesole.

 

Entre le Moyen-Age qui se termine et la Renaissance qui s’ouvre, les arts en France sous Charles VII émerveillent. Si la dimension politique des commandes artistiques n’est pas négligeable, c’est la dévotion qui l’emporte largement dans ce corpus d’œuvres présentées.