Le Cinéma Ciné-concert

Paul Lacombe, jeune ingénieur des mines parisien arrive à Noir-les -Houillères afin de succéder à Albert Cazeneuve, qui part à la retraite. Affichant des objectifs de rendement, il en vient à mépriser les recommandations de son prédécesseur, qui accordait beaucoup d’importance à la sécurité. Or voilà qu’à la suite de fortes précipitations, une rivière sort de son lit et menace d’envahir les galeries…Le porion Michel tente d’alerter Lacombe, mais celui-ci donne l’ordre de continuer le travail…

« Ce mélodrame minier dispose de tous les ingrédients sentimentaux d’usage, avec un rôle de méchant aveuglé par son ambition et une bonne dose de moralisme ! Mais sa force documentaire est remarquable, que ce soit dans l’aperçu qu’il donne des conditions du travail minier, des dangers qui le menacent, ou dans les rapports hiérarchiques et les allusions au paternalisme.  Sa modernité, suggérée notamment par le rôle des liaisons téléphoniques est renforcée par un rythme alerte et découpé de narration… C’est une curiosité centenaire. » Jean-Marie Génard

Intervenants : Béatrice de Pastre, directrice des collections, CNC – Frédéric Bougouin, harpes – Pascale Berthomier, violoncelle

Le Film « Le Porion »

Le Porion est un film de Georges Champavert, daté de  1921.

Champavert est né en 1870 et a fait toute sa carrière dans le spectacle. Il réalise des films à partir de 1917 et pendant toute la période du muet. Il disparaît avec le parlant. Sans avoir jamais eu une grande notoriété, il est très productif. Cette copie restaurée a été produite par le Lobster grâce à deux pellicules différentes.

Il s’agit d’un film sur la mine, une fiction tournée à Alès, en décor naturel. La rivière elle-même est un personnage, avec l’épisode cévenol. Il s’agit d’un mélodrame sentimental, à la Morale Chrétien-sociale très marquée.

Le film se construit sur des oppositions : Paris/ Province, décideurs/ travailleurs, travail de la terre/ de la mine/ de bureau, hommes/femmes, travail harmonieux/ rentabilité/ ambition.

Il y a 2 histoires simultanées : Un ingénieur qui travaille en coopération avec les mineurs, représenté par le Porion Michel, part à la retraite. Remplacé par un ambitieux parisien qui ne pense qu’à son avancement qui privilégie la rentabilité à la sécurité. Lors d’un risque d’inondation, il n’ordonne pas l’évacuation et refuse d’écouter les conseils du porion. Devant la catastrophe, il décide de laisser les mineurs mourir. Ceux-ci sont sauvés par le vieil ingénieur et son fils. Les mineurs veulent pendre l’ingénieur, qui se suicide à leur arrivée.

Parallèlement, la fiancée du méchant découvre la vie simple de province et est attirée par le fils du vieil ingénieur, tout en découvrant le vrai visage de son fiancé. Elle promet de revenir vivre à la campagne.

Un film témoin de son temps : très expressionniste, jouant de l’esthétisme du noir et blanc, mais avec une narration très moderne jouant sur la simultanéité des évènements : le spectateur est sans cesse amené à considérer différents points de vue, ce qui le rend omniscient et permet de garder une tension encore accentuée par les choix musicaux de la harpe et du violoncelle qui créent un rythme et un suspens en parfait miroir des images.

Le travail de la mine est montré, avec les ascenseurs, les outils, la saleté. Mais c’est surtout l’interaction entre le dessous et le bureau de l’ingénieur qui est au cœur de l’histoire, symbolisé par la modernité du téléphone. l’impact économique de l’exploitation du charbon est montré lors de l’accident, où tout le village est concerné.

C’est aussi un témoignage social dans une veine moralisatrice prononcée : la famille ouvrière avec 5 enfants. La Mère est décédée, la fille aînée s’occupe des jeunes. L’Intérieur est pauvre, mais tous sont travailleurs, honnêtes, pieux et joyeux. Ils font partie des familles à aider dans le village, alors que le père est porion, c’est à dire qu’il a une fonction d’encadrement dans la mine. En parallèle, la famille du vieil ingénieur comprend un seul enfant, qui fait le choix de la propriété terrienne, travail moins dangereux que la mine. Les Intérieurs sont confortables, mais simples, sans ostentation. La Mère s’occupe de tout. Là encore, tous sont travailleurs, charitables, honnêtes. Ils se contentent d’une voiture à cheval.

Les Parisiens comprennent un riche armateur rentier et sa pupille, fiancée au nouvel ingénieur, qui vivent dans l’opulence, symbolisée aussi par l’automobile. Ils font néanmoins preuve des mêmes qualités que les précédents : ils ne restent pas oisifs, et la jeune fille tombe amoureuse du style de vie de la campagne.

Le Bureau de Paris est orné de tentures, de mobilier lourd, montrant la richesse. Les Financiers apparaissent déconnectés de la réalité, peu préoccupés par les conditions des ouvriers. L’Objectif est la rentabilité.

Le méchant de l’histoire caricaturé à l’extrême, avec des références au vampire est donc le jeune ingénieur aveuglé par son ambition, qui sacrifie la sécurité des mineurs à son avancement. Il refuse d’interagir avec son environnement, qu’il ne voit que comme provisoire. De froid et calculateur, il devient dominé par sa peur qui le pousse à devenir un assassin. Mais il se repent et implore le pardon de la fille du porion. Son suicide évite son lynchage.

Le film prend place dans une période d’extension des mines cévenoles, puisqu’elles atteignent leur apogée peu après, avec 20000 employés pour 3 millions de tonnes de charbon extraits. L’accident est très vraisemblable, puisqu’il s’inspire d’une catastrophe de 1905. Le film met en valeur le travail dans une période de reconstruction après la première guerre mondiale, mais sans accent socialiste/communisme. Il est ancré dans morale chrétienne : les riches doivent aider les pauvres (assistance aux familles de mineurs), les mineurs doivent prier pour être sauvés.

Pour aller plus loin

Une source d’inspiration : la catastrophe de Lalle

En 1861, la mine de Lalle produit 45000 tonnes de charbon par an avec 145 ouvriers de fond. Suite à un violent orage, la rivière Cèze débordent, et par des fissures envahit la mine en quelques minutes. 110 mineurs de 11 à 71 ans sont pris au piège, seuls 5 sont sauvés. Les risques d’inondations avaient été augmentés par l’extension de l’exploitation de la mine en ignorant les vieux travaux. Les secours s’organisent, des ingénieurs et ouvriers d’autres puits participent. Les autorités veulent canaliser l’émotion et dédouaner les exploitants. Cette catastrophe a inspiré des chapitres de « Sans famille », dont le héros, Rémi, travaille quelques temps dans la mine et est un rescapé de la catastrophe.

Le travail dans les mines des Cévennes :

Au XIXe siècle le développement de l’extraction du charbon dans le bassin minier d’Alès est freiné par la difficulté à transporter le charbon vers les centres de consommation, le renchérissant de 75 %, de plus, la main d’œuvre locale est saisonnière : ce sont des paysans-mineurs, qui travaillent à la mine en hiver. Avec l’exode rural, ils préfèrent la ville aux mines. Une des explication semble, outre les conditions de vie difficiles,le refus de paysans protestants de travailler pour des grands capitalistes catholiques. Les mineurs viennent de départements proches (Ardèche, Lozère, Haute-Loire : 2/3 des embauches). Ils sont logés dans des casernes insalubres, avec faible rémunération. Au début du XXe siècle, une part de la main d’oeuvre est immigrée : fin 1913, 16 % viennent d’Espagne ou d’Algérie. Fin 1918, une cité ouvrière est peuplée de Polonais, avec une école polonaise crée en 1921. En 1952 : 77 % Français, 10 % Afrique du nord, 5 % Espagnols…

Les ingénieurs sont formés à l’école des Mines de Saint-Etienne. Ce sont les seuls membres de la direction avec lesquels les mineurs sont en contact. Ils descendent quotidiennement au fond, et sont responsables de la sécurité. Le maître mineur, ou porion, seconde l’ingénieur. Ce sont d’anciens mineurs qui ont suivi une formation spécialisée.

Les mineurs de fond représentent 65 % de l’effectif total. Les équipes sont de 6 à 10 mineurs, avec des piqueurs (à la main jusqu’en 1930), des boiseurs (soutènement), des rouleurs (pour évacuer le charbon) et des manœuvres pour les tâches diverses.

Les mineurs au jour sont 25 % des effectifs. En particulier, on trouve des placières qui trie, lavent, conditionnent. Elles ont entre 12 et 20 ans, ou alors sont des veuves de mineurs employées « par charité ». Elles touchent 70 % du salaire d’un adolescent apprenti au fond. Les enfants de 12 à 16 ans comptent pour 6 % de l’effectif en 1914.

Au XIXe, les mineurs sont payés à la tâche, avec des journées de 12 à 14h. l’espérance de vie est de 40 ans en 1848. En 1914, 65 % des mineurs meurent avant 55 ans, et 20 % avant 35 ans (maladie professionnelle non reconnue : la silicose).

Plusieurs grèves éclatent au XIXe, mais sont infructueuses : la première victorieuse est de 1914, avec droit à la retraite reconnu et licenciement des travailleurs étrangers « briseurs de grève ». En 1936, les grèves sont massives et aboutissent à des améliorations.

Le patronat, marqué par le saint-simonisme, construit des casernes pour les logements à partir de 1848, puis des cités ouvrières, avec des maisons individuelles avec jardin potager, attribuées en fonction du mérite des ouvriers. Des magasins d’approvisionnement limitent les besoins de déplacement. (un des objectifs est le maintien de la main d’œuvre sur place). Des cadres et des employés habitent également dans la cité. Les patrons favorisent l’accession à la propriété des ouvriers pour qu’ils deviennent amis de l’ordre.

Sont également construits dans la cité : écoles, église, cantine, salle des fêtes, pharmacie, dispensaire…Paradoxalement, la concentration des ouvriers par le paternalisme favorise aussi le développement du syndicalisme.

Source : Edmée Fache, pour l’INTEGR : institut des territoires grand-combien.

La Vie des mineurs de La Grand-Combe et des Cévennes