Lorsque l’on entend Yohann Chapoutot traiter du nazisme, pour le troisième ou la quatrième fois consécutive, on pourrait craindre de retrouver abordées les mêmes thématiques. Force est de constater que ce n’est jamais le cas, et cette intervention donnée au mémorial de la Shoah, à l’occasion d’un voyage de formation, a effectivement tenu toutes ses promesses.
Avec une froide analyse, Yohann Chapoutot a présenté l’univers mental des nazis, en se livrant à un travail d’anthropologie historique permettant de comprendre, avant de visiter ce lieu emblématique qu’est Auschwitz, la conception du temps et de l’espace, des individus qui ont pensé ce que l’on appellera communément, le génocide.
Auschwitz est en effet un lieu à part, et on le verra sans doute beaucoup plus loin, une sorte d’exception, un ensemble différent, parmi les dispositifs de mise à mort, mis en place dans le cadre de la « solution finale du problème des juifs d’Europe ».

Ce lieu de mort de masse, il appartient aux historiens de le rendre lisible, de montrer comment, en Europe, une entreprise de rentabilisation de la mort, a pu se mettre en place. Face à cette démarche il existe en effet, deux espaces béants.
• Le négationnisme
• l’hypothèse de la folie

Face à cela, il nous appartient de faire de l’histoire, comme science humaine, celle qui traite des êtres humains, y compris les pires. Car dans cette démarche, il convient d’étudier la rationalité de l’action génocidaire et par voie de conséquence d’explorer l’univers mental des nazis ; un univers mental en évolution constante d’ailleurs.
Il s’agit donc de considérer plusieurs thèmes qui permettent d’appréhender le nazisme.

  • Le nazisme est un projet politique.
  • Le nazisme est une lecture de l’histoire.
  • Le nazisme est porteur d’une promesse de sortie de l’histoire.

Ce sont ces trois approches qui permettent de comprendre, comment par exemple en deux ans et demi, sur les terres de l’Est, il y eut plus de 5000 « Oradour-sur-Glane », des massacres indistincts de populations civiles, équivalents à celui qui a été commis en France en 1944.
Cette logique s’inscrit effectivement dans un projet politique.

Le rejet de la révolution française s’explique par une lecture raciale de l’histoire. La révolution française est une atteinte à la race germanique, elle correspond à une insurrection de la lie raciale contre l’élite raciale franque. À partir de ce postulat, une froide logique se met en place. Ce que l’on appelle « la terreur », correspond à une volonté d’exterminer cette élite et les idées dont elle est porteuse. La hiérarchie, fondatrice des inégalités qui se justifient par une vision de l’homme. Il existe pas pour lui de libre arbitre, l’homme est physique, déterminée par son hérédité. Dès lors que cette liberté n’existe pas, comme un droit naturel, il est évidemment envisageable d’en faire une norme. Et par voie de conséquence le contrôle de la population par un État policier devient cohérent, une norme en quelque sorte.
La référence à l’animalité de l’homme est en effet positive. Hitler affirme lui-même que le nazisme est de la biologie appliquée. C’est la raison pour laquelle ce rejet de la révolution française comme « révoltent des médiocres » apparaît comme obsessionnel.
Avec une telle vision de l’homme, le racisme devient cohérent, banal en quelque sorte. L’histoire de l’humanité se résume à la lutte des races, enrichie par les travaux scientifiques à propos de la génétique. Les nazis se revendiquent clairement comme polygénistes, et considèrent que l’humanité se divise en espèces et sous espèces avec des origines clairement différentes.
Cela se traduit dans la pratique par une haine obsessionnelle du métissage, telle que Himmler l’exprime au moment de la conquête de la Pologne. Il affirme en effet : « notre pire ennemi c’est notre sang quand il vient armer notre ennemi racial ». Attila est ainsi considéré comme particulièrement dangereux puisqu’il est le résultat d’un métissage entre les juifs et les germains.
Au sein de la race germanique qui constitue le sel de la terre, ce sont les plus doués qui doivent se distinguer. Ceux qui sont les plus efficaces, ceux qui ont le meilleur rendement, la meilleure performance: la démographie, avec la volonté de peupler la terre d’Aryens, la production économique, l’excellence sportive et guerrière.

Cela se retrouve dans les opérations d’élimination de ceux qui ne sont pas « rentables », avec la loi du 14 juillet 1933 qui permet la mise en œuvre de 400 000 stérilisations en 12 ans. Cette approche de l’homme, rappelle Yohann Chapoutot, n’a pas été une exclusivité des nazis. Des démarches de ce type ont été évoquées en France, à la même époque, mais même pratiquées dans certains états des États-Unis, des années 20 aux années 70.

Comme la liberté et l’égalité, la fraternité est un héritage méphitique de la révolution française qui doit être éradiquée.

Il ne peut y avoir de fraternité entre les hommes car l’homme n’existe pas en tant que tel. Les individus sont réduits à leur catégorie, et les normes juridiques et morales ne s’appliquent pas aux autres. Hans Franck, le gouverneur général de Pologne qui est un juriste à l’origine, affirme : « le droit c’est ce qui sert le peuple allemand ».
Ce projet global il est conçu à la fois dans le temps, mais également dans l’espace. Avec des territoires qu’il faut conquérir. On retrouve cette phrase de Mein Kampf : « nous irons vers les terres de l’Est, afin de donner à la charrue allemande son sillon, et la nation allemande son pain quotidien ».

De façon très précise Yohann Chapoutot évoque le vision du responsable de la colonisation des terres de l’Est, Konrad Mayer, professeur de géographie agraire qui développe une réflexion sur le type de paysages à développer. Cela se retrouve dans le plan général de l’Est, qui s’étend du gouvernement général de Pologne jusqu’aux terres noires d’Ukraine qui doive être colonisées. Sur ces terres peuplées de slaves, il faudra peu à peu éliminer la population, (30 millions en 15 ans selon les planificateurs), pour transformer cet espace en un jardin nourricier où la population de race germanique pourra s’épanouir. « De la bouffe et des gosses », pour un espace spatial et temporel qui serait désormais pacifié. Mais pour atteindre cela, il faut passer par cette étape que constitue la guerre, et l’élimination de ceux qui menacent la pureté du sang allemand.