Cette table ronde est consacrée à un sujet d’actualité en lien direct avec le thème de l’urgence : les mégafeux au Chili.

Son originalité est de réunir, pour débattre du sujet, à la fois des géographes et des opérationnels qui ont une longue expérience dans la lutte contre les incendies de fôret et ont déjà été confontés aux mégafeux. Parmi ces 3 professionnels du feu, l’un est français,  deux sont chiliens et ils ont affronté les mégafeux, de 2017 et 2022.

En 1979, le géographe  Jean Dresh écrivait qu’il n’y a « pas de géographie sans drame ». Le Chili, ce « pays à la folle géographie », obéit totalement à cette définition : tremblements de terre de 1960 et 2010 parmi les plus puissants du monde jamais enregistrés, tsunamis, puis plus récemment mégafeux…

Illustré par l’album-photo réalisé par Emma Andrieux lors de son séjour au Chili en 2022, le débat est structuré autour des questions posées par la géographe Cécile Faliès.

 

Question : quel a été votre premier rapport au feu et à l’incendie?

En préambule, Larry Ouvrard signale qu’avec le changement climatique, on assiste au développement de feux dans de nouvelles régions et que ces feux sont de plus en plus vastes et dévastateurs (plusieurs milliers d’hectares). Il faut se préparer à voir la fréquence des feux « hors norme » augmenter. Propos confirmés par A. Ibaceta qui travaille sur la réduction des risques et a vu, en 25 ans d’activité professionnelle, les menaces augmenter. Antonio Tapia, qui est un peu plus jeune, se souvient, qu’enfant dans les années 90, c’était un peu un jeu l’été de voir comment les pompiers éteignaient les feux autour du village. Une fascination pour le feu bien décrite par Gaston Bachelard, en son temps… On était alors loin alors des mégafeux actuels. Doctorante, Emma Andrieux a été confrontée aux mégafeux de façon indirecte en 2021 au Chili par les paysages brûlés sur des centaines de kilomètres et a pris conscience du caractère éphémère mais dévastateur des incendies.

mégafeux chili
Photo : Emma Andrieux

 

Question : quelle(s) définition(s) peut-on donner de mégafeux?

En 2005, suite aux incendie exceptionnels en Floride, l’historien Stephen Pyne a forgé le concept de pyrocène, l’ère du feu,  corollaire de l’Anthropocène. Les intervenant-es s’accordent sur le fit qu’il n’existe pas de définition stricte, ni de seuil permettant de définir un mégafeu. Ils relèvent cependant un certain nombre de carctéristiques communes : le carctère imprévisible, exceptionnel de l’incendie qui rend le contrôle impossible. Selon Larry Ouvrard confirmé par A. Ipaceta, le feu se propage une vitesse phénoménale qui fait que les pompiers ont toujours un temps de retard.

 

Question : comment adapter les actions à ce type de feu?

Selon L. Ouvrard et A. Ibaceta, l’autre caractère fondamental des mégafeux repose sur le fait que les moyens de lutte contre l’incendie, qui peuvent paraître considérables sur le papier, sont toujours inférieurs et insuffisants pour combattre les incendies de manière efficace. Les moyens, matériels et humains, peuvent même paraître dérisoires dans certains cas. En 2017, pour lutter contre les mégafeux qui ravageaient le sud du pays, le Chili a dû, pour la première fois, recevoir une aide internationale.

La lutte contre les mégafeux pose donc de façon urgente la question de la prévention des risques majeurs, politique à laquelle A. Ibaceta et A. Tapía participent activement. La prévention fait donc désormais  partie intégrante du métier de « professionnel du feu ». Les intervenants chiliens signalent le rôle joué par le tremblement de terre de 2010 dans la prise de conscience de l’importance de la prévention des risques dans leur pays. Prise de conscience par les autorités, par les professionnels mais aussi par la société civile, les citoyens et les citoyennes, qui manifestent plus qu’avant une volonté d’appendre et de se protéger. Fait révélateur, le service de lutte des urgences a été rebaptisé « service de prévention et de réponse aux désastres » (Servicio de prevención y respuesta ante  desastres).

Pourtant, la prévention semble peu visible au Chili et pose la question de la responsabilité des incendies.

Question : Qui sont les responsables des mégafeux au Chili?

Responsabilités des Mapuches? Les entreprises? Des pyromanes? La question est complexe et reste la plupart du temps sans réponse. Mais elle mérite dêtre posée, puisqu’on estime que 99% des départs de feux au Chili ont des causes anthropiques.

Les intervenants chiliens notent l’importance de la sylviculture reposant sur le pin et l’eucalyptus plantés sur des millions d’hectares et dont 80% sont exploitées par 2 entreprises sylvicoles uniquement… On soupçonne également des promoteurs de provoquer des incendies volontaires dans les zones proches des villes (cela a été le cas à Valparaiso) , afin de rendre les terrains constructibles. Pour empêcher cette pratique, la loi a été changée récemment et rend les terres icendiées inconstructibles pour une durée de 20 ans.

Au Chili, il existe un organisme national créé dans les années 70, la CONAF   (Commission Nationale des Forêts) qu’on pourrait comparer avec l’ONF (l’Office national des forêts) en France. Mais il existe une différence majeuree entre la CONAF et l’ONF : alors que l’ONF est un office public, la CONAF est financé par des fonds privés, c’est à dire principalement par les deux entreprises qui dominent le secteur de la sylviculture au Chili, avec lesquelles la CONAF doit compter. On comprend dès lors que les normes environnementales, de prévention  et de régulation des forêts sont assez faibles au Chili. La CONAf manque de moyens, en particulier pour la prévention. Dans un contexte très libéral, l’Etat consacre trop peu de moyens à cette question. Les professionnels chargés de la prévention des incendies  doivent dialoguer avec les grandes entreprises privées, afin de les convaincre d’apporter plus de ressources, ne serait-ce que pour améliorer leur image dans la société…

 

Question : Quels sont les apports mutuels entre scientifiques et opérationnels?

Cette dernière question est posée par Cécile Faliès, qui tient à rappeler ainsi l’importance de la géographie comme science sociale « utile » pour comprendre et agir sur les enjeux de société.

L.  Ouvrard souligne l’apport essentiel de la  cartographie  et la relation privilégiée entretenue avec L’I.G.N. C’est cet outil catographique qui permet aux pompiers d’intervenir le plus efficacement possible sur le terrain. Ses homologues chiliens font un constat différent et considèrent qu’il reste beaucoup de travail à faire pour les forêts au Chili. Emma Andrieux qui a réalisé beaucoup d’netretiens avec des professionnels de la lutte contre les incendies au Chili considère que le dialogue a été facile.

En conclusion, cette table ronde a été bien menée et  utile pour connaître cet aspect important de l’économie et de l’environnement du Chili. La large convergence des points de vue des Français et des Chiliens est frappante, preuve que la question des mégafeux ne s’arrête pas aux frontières des Etats mais doit être envisagée dans une pespective globale.