« La stratégie française dans l’espace indo-pacifique est le second volet des formations académiques proposées par l’académie de Nancy-Metz, qui a développé depuis plusieurs années un enseignement à la Défense de qualité, sous l’égide du  Recteur de l’Académie de Nancy-Metz, de l’Officier Général de Zone de Défense et de Sécurité Est et de la Présidente de l’Association Régionale de l’IHEDN (trinôme académique), auxquels il convient d’ajouter depuis dix ans, le Président de l’Université de Lorraine et du Général de corps d’armée commandant la région de gendarmerie de Lorraine.

Les webinaires de la défense

En cette année scolaire 2023-2024, les Clionautes suivront les conférences des « webinaires de la défense ». Leur contenu s’inscrit dans la droite ligne des préoccupations des professeurs d’HGGSP en Terminale ainsi que de celles des candidats aux différents concours des armées.

10 octobre : les évolutions de la guerre

9 novembre : le conflit ukrainien : enseignements stratégiques et tactiques

7 décembre : la situation sécuritaire dans le Sahel : origines de la crise, évolution de la stratégie française, perspectives,

18 janvier : la dissuasion, fondements, capacités, perspectives,

15 février: la stratégie française dans l’espace indo-pacifique

Le compte-rendu qui suit est bâti à partir de la conférence du 15 févier dernier, conduite par Vincent Alexandre, Général Adjoint Vincent Alexandre, chargé de la zone de défense et de sécurité Est, c’est-à-dire des régions Grand Est et Bourgogne Franche-Comté. Il a été 7 ans affecté entre la Réunion et la Nouvelle-Calédonie et a été en poste aux États-Unis en tant que chef d’opération. Il a également sillonné cette zone au titre de différentes fonctions qu’il a exercées au niveau stratégique. En tant qu’officier général, il est porteur de ce qu’est la stratégie de défense dans cette zone indopacifique.

Introduction

L’indopacifique, c’est avant tout 2 océans et une surface maritime immense : les 2/3 de la surface maritime du globe. Et puis des détroits, passages maritimes stratégiques, qui à la fois ouvrent et ferment bien cet espace. Il représente effectivement 60% du globe.

L’Europe en est absente mais c’est un espace naturel d’expansion pour l’Inde, la Chine et les États-Unis et bien d’autres puissances. La France est présente un peu partout dans cet espace au titre de ce qu’on appelait jadis « les confettis de l’empire ». Il y a un vrai défi parce qu’elle y est présente partout et en même temps d’aucuns considèrent qu’elle est une sorte de « nain politique » puisque ses capacités sur place sont extrêmement réduites. On a donc le paradoxe d’une présence française présente partout mais aux moyens très limités.

Donc qu’est ce qui permet à la France de prétendre avoir une stratégie indopacifique ? Quel est cet espace ? Quelles en sont les mutations stratégiques d’ampleur mondiales ? Et puis quels sont les intérêts de souveraineté française qui justifient, qui légitiment et qui fondent sa stratégie ?

Plan militaire : I/ Quoi ? II/ Pourquoi / À quelle intention ? III/ Et enfin, comment ?

Qu’est-ce que l’espace indopacifique ?

Sur ce site d’identification de tous les navires qui circulent dans monde (s’ils veulent être identifiés…), on peut voir des navires rouges pour les hydrocarbures et verts pour les porte-containers. Et surtout on peut voir à quel point l’espace indopacifique est d’abord un espace d’échanges et de flux : 60% du PIB mondial traverse l’anneau pacifique. A titre d’exemple, le détroit de Malacca, en Indonésie, représente 15 à 20% du commerce international et 1/3 du transport d’hydrocarbures vers la Chine. Donc ce sont évidemment des voies essentielles pour la Chine mais aussi finalement pour l’ensemble du monde. En survolant de nuit le détroit de Malacca, sur un vol entre Dubaï et Cambera, soit entre les Émirats Arabes Unis et l’Australie, c’est très frappant de voir combien à 10 000m d’altitude que le détroit de Malacca est tel un « périphérique parisien aux heures de pointe », avec une file indienne de bateaux.

Cet espace de convergence mondial est en fait un concept récent.

Un concept indopacifique assez récent

On parlait auparavant, il y a 30 ans, de l’océan Indien, de l’espace pacifique, de l’Asie pacifique, mais on ne parlait pas de l’Indopacifique. La délimitation de l’espace indopacifique dépend de la vision de telle ou telle puissance. La première des puissances à l’avoir évoqué, c’est le Japon, dans les années 2000 pour une explication assez existentielle.  À l’époque, le Japon s’en préoccupe pour se rapprocher de l’Inde, conscient que la Chine devient une menace de plus en plus importante, elle élabore une stratégie indopacifique. Il insiste sur le continuum économique et sécuritaire entre l’Inde et le Japon notamment. Et ce concept, a ensuite été relayé par les États-Unis, toujours pour la même raison : Comment contrer l’influence chinoise ? Les États-Unis créent donc le QUAD en 2007, une alliance informelle qui ne correspond pas à un traité mais à un espace de dialogue géostratégique entre 4 pays qui sont les 4 grandes démocraties de l’Indopacifique : Le Japon, l’Inde, l’Australie et les États-Unis.

Que dire de l’influence chinoise en 2024 en indopacifique ?

Elle est multimillénaire et il y a des diasporas chinoises un peu partout dans l’indopacifique, très importantes et qui sont autant de relais de cette volonté d’influence, voire d’hégémonie aujourd’hui.

On ne peut pas l’évoquer sans parler des nouvelles routes de la soie et de la stratégie du collier de perles développée par Xi Jinping depuis 2013, qui a rencontré un certain succès et créé une vraie dépendance entre des pays moins avancés et la Chine, à travers par exemple le phénomène des contrats léonins.

Elle se manifeste également à travers le non-respect du droit international en mer de Chine méridionale avec les Spratley et les Paracels, 2 archipels, dont la propriété est revendiquée par le Vietnam, les Philippines, la Malaisie, mais dont la Chine s’est emparée manu militari en polarisant les archipels en y installant des bases militaires, des infrastructures, et des garnisons. Et ce, en violation flagrante avec le droit international, puisqu’un certain nombre de jugements de la Cour internationale de justice avait déterminé que, de toute manière, la Chine n’y avait pas de droit.

En Polynésie française et en Calédonie, il y a 3 ans, l’une des préoccupations qu’avaient les forces militaires sur place était la route que suivait un navire hôpital chinois, qui, au-delà de sa mission de navire hôpital qui n’avait absolument aucune utilité, représentait une démonstration de puissance chinoise envers les petites îles de l’océan Pacifique.

Que dire de l’influence américaine en 2024 en indopacifique ?

L’approche américaine face à cela est à la fois multilatérale mais d’abord et avant tout « America First ». Sur cette carte de la DGI (Direction générale des relations internationales et de la stratégie), qui est une des grandes directions du ministère des armées, on peut voir les enjeux sécuritaires en Asie Pacifique à travers les bases et les implantations de la Navy, avec au centre l’US PACOM sur l’île d’O’ahu à Honolulu (Hawaii). Même si les États-Unis restent une puissance majeure dans l’indopacifique, aujourd’hui le nombre de bâtiments de guerre chinois a dépassé le nombre de bâtiments de guerres américains dans cet espace. En entonnage, pour l’importance des bateaux, ce sont toujours les Américains qui sont en tête par contre. Et surtout les Chinois ont une capacité de production de navires de guerre bien plus importante que les Américains.

Les États-Unis s’appuient sur un certain nombre d’alliances dans la zone comme le triangle AUKUS entre Australia, United Kingdom et United States of America On peut y voir une trahison du monde anglo-saxon face à ce qui avait été baptisé comme le contrat du siècle entre l’Australie et la France : L’Australie avait décidé d’acheter des sous-marins Naval Group à cette entreprise française performante et finalement, l’Australie a cassé ce contrat au profit d’un autre contrat passé avec à la fois les États-Unis et la Grande-Bretagne en passant de sous-marins classiques à des sous-marins nucléaires. Cette rupture d’alliance en dit beaucoup de la compétition dans cette zone y compris entre des pays alliés. Les 3 pays anglo-saxons ont contré l’influence française à travers ce marché.

Que dire de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande ?

Il y a une quinzaine d’années, on disait de l’Australie qu’elle était le shérif du Pacifique. Elle donne une capacité aux États-Unis d’opérer sur place à travers un délégué, un proxy…Cette notion est à relativiser, l’Australie est quand même une grande démocratie qui pratique l’alternance politique. Son Premier ministre a dénoncé le contrat avec Naval Group et a été finalement acquitté sans avoir été réélu. Lui a succédé Albanese, un travailliste après 9 ans d’un Premier ministre conservateur. La posture australienne est depuis moins alignée sur la posture américaine.

Et l’Inde ?

L’Inde, comme le Japon au début des années 2000, est très fortement préoccupée par l’hégémonie chinoise. Et c’est pour cela qu’elle s’est rapprochée et elle continue de se rapprocher du Japon et des États-Unis. La France à un contrat d’armement avec l’Inde également en lui vendant des Rafales. Ce qui entraine un certain nombre d’exercices navals et aériens avec. Pour autant, l’Inde reste fondamentalement un pays non-aligné, elle appartient aux BRICS récemment élargis et jongle donc entre ce rapprochement avec les pays qui veulent contrer l’hégémonie chinoise et en même temps est dans cette posture d’équilibre en appartenant aux non-alignés.

Quelle place pour les « puissances intermédiaires ? »

Une cinquantaine de pays composent l’indopacifique dont un nombre très important de puissances intermédiaires. On y retrouve 10 pays de l’Asie dans l’Association of South Asian Nations, dont l’Indonésie qui est un poids lourd au sein de l’ASEAN. C’est le premier pays musulman du monde, avec 276 millions d’habitants, soit 4 fois plus que la France. Elle a récemment acquis un poids économique important et d’autre part, un peu comme la Chine, dispose d’une diaspora très importante à la fois dans l’océan Indien et dans l’océan Pacifique.

Y a-t-il urgence à déménager la capitale de l’Indonésie ?

Judicaelle Dietrich, MCF en géographie, Lyon III – FIG 2023 « Urgences »

D’autres pays intermédiaire comptent de plus en plus : le Vietnam, les Philippines, le Pakistan bien sûr….

Les Etats insulaires

On y retrouve enfin de très nombreux petits États insulaires très différents les uns des autres et avec en même temps des préoccupations communes comme celle du réchauffement climatique. En 2018, une intervention assez émouvante du Premier ministre des Tuvalu lors du sommet de la COP insistait sur le fait que son pays allait disparaître dans les 30, 40, 50 prochaines années par submersion. Et puis ces pays ont également en commun le fait qu’ils ont peu de ressources, et donc face à l’offensive économique chinoise , il est tentant pour eux d’accueillir ses propositions de construction d’infrastructures ou de partenariats industriels. Ainsi Vanuatu, les anciennes Hébrides au nord de la Nouvelle-Calédonie, qui est un archipel récemment indépendant, est très endetté aujourd’hui envers la Chine.

Quelle place pour la France en indopacifique ?

La France dans tout cela possède des territoires ultramarins qu’on peut voir sur ces cartes d’Antoine Bondaz, chercheur formé à Sciences-Po et qui travaille notamment aujourd’hui à la fondation des recherches stratégiques et s’est consacré à une étude sur l’influence française dans l’indopacifique.

La présence française est donc réelle, mais victime de la tyrannie des distances. Quand on est en Nouvelle-Calédonie, on est certes en France, mais à l’opposé du bloc terrestre, avec 12 h de décalage horaire et une distance de 20 000 km à vol d’oiseau et 19 h en avion de façon très théorique. En réalité les vols les plus rapides avec escales font 24 h, et 36 jours de mer. C’est donc un défi de tous les instants quand il s’agit de se projeter en termes stratégiques, de projeter des hommes, du matériel, de la puissance…

La démographie indopacifique comprend les ¾ de la population mondiale, donc quasiment 6 milliards d’habitants avec 4 des 5 pays les plus peuplés du monde : l’Inde, la Chine, l’Indonésie, le Pakistan. Donc évidemment l’Indopacifique a un poids énorme sur le plan démographique avec des disparités dans les densités qui sont assez impressionnantes. Si on se concentre sur la population française, on y retrouve des ressortissants assez nombreux. Le nombre de Français habitant dans les 6 Drom-Com de l’Indopacifique représente environ 1 000 000 d’habitants à laquelle il faut joindre la Communauté française dans les pays étrangers, 200 000 habitants, c’est moins qu’en Afrique ou sur le continent américain… Le nombre de ressortissants français en Chine est en train de diminuer, c’est la même chose à Madagascar à cause de l’instabilité politique et économique. Les 2 autres pays qui accueillent le plus de ressortissants français sont les Émirats Arabes Unis et l’Australie a contrario.

Les enjeux de l’indopacifique : pourquoi faut-il y avoir une géostratégie française ?

C’est un espace qui présente des risques de conflits, où l’on constate un durcissement de l’environnement militaire. La plupart des pays de l’Indopacifique aujourd’hui font un effort drastique, en tout cas important, sur leurs capacités de défense. On y retrouve 6 des 10 pays dans le classement des budgets de défense en 2023 : États-Unis, Chine, Inde, Arabie saoudite, Corée du Sud et Japon. Cette volonté de réarmement s’explique par le durcissement de l’environnement sécuritaire. Aujourd’hui le centre de gravité nucléaire du monde se situe bien dans l’indopacifique

Une autre de ces mutations stratégiques se retrouve dans les menaces transnationales qui perdurent : la piraterie, la pêche illicite, la criminalité transnationale, l’immigration illégale bien sûr, et puis le terrorisme djihadiste.

Et puis la 3e tendance est la mutation des atteintes à l’ordre international multilatéral, au droit international (cf. Chine) avec face à cela une capacité d’arbitrage, d’abaisser les tensions par les organisations internationales, qui est moins prégnante aujourd’hui qu’elle ne l’était par le passé. Le droit du plus fort est de plus en plus utilisé…

Les 5 risques majeurs

On y retrouve aussi 5 risques de crise majeure identifiés aujourd’hui selon une étude de l’IFRI (cf. La France dans l’Indo-Pacifique, pour une posture stratégique pragmatique, étude d’il y une dizaine de mois qui est très intéressante, notamment dans le tableau d’analyse des crises potentielles et des risques d’occurrence de ces crises) :

Taïwan

Le premier risque de conflit dans la zone, c’est Taïwan et son détroit (cf. les derniers événements politiques avec les élections à Taiwan les 12 et 13 janvier d’un Premier ministre qui est opposé à une intégration de Taïwan à la République Populaire de Chine et dans un positionnement américain. Il ne veut pas insulter sa relation avec la Chine et en même temps affirme que le statu quo lui convient très bien). Taiwan est un espace stratégique extrêmement confiné avec un espace aérien et maritime qui sont très encombrés où une République populaire de Chine intensifie ses manœuvres et exercices. Ces survols de l’espace aérien taïwanais entraînent des risques d’incidents. C’est donc important d’avoir des canaux de dialogue bien établis qui permettent de les limiter. Or, ils ne fonctionnent pas forcément de manière continue entre la Chine, les États-Unis et Taiwan, ce qui entraîne un risque effectif de conflagration sur l’île.

Pour la République populaire de Chine, Taiwan est une province chinoise.

Les tensions en mer de Chine méridionale

Le 2e espace de confrontation qui pourrait déboucher sur un conflit de moyenne ou de haute intensité sont les tensions en Mer de Chine méridionale (mer Jaune). On a autour des îles Paracels et Spratley des flottes de pêche, des navires de section, des milices chinoises officieuses qui occupent l’espace maritime, même si celui-ci n’est pas chinois. Et puis cette mer semi-fermée est riche en ressources uniques et en hydrocarbures. Et actuellement c’est la Chine qui octroie ou pas les permis de prospection et d’armement commercial.

Donc de facto la Chine s’est emparée d’une bonne partie de la mer de Chine.

La Corée du Nord

La 3e menace est celle de la Corée du Nord soutenue inconditionnellement par la Chine, et qui opère un rapprochement avec la Russie, « à la faveur » du conflit entre l’Ukraine et la Russie. On parle d’un État nucléaire, ou qui la maîtrise de facto, même si officiellement il n’en est pas un. Il a non seulement la capacité de projeter des têtes nucléaires et une attitude belliqueuse. Le dernier incident en date a eu lieu le 4 janvier 2024 : la Corée du Nord a envoyé 2200 missiles de croisière sur des îles très proches de la ligne de démarcation. C’est le syndrome du parallèle, de la frontière entre le 53 et le 54e parallèle entre la Corée du Nord et la Corée du Sud. Cela explique le rapprochement entre la Corée du Sud et le Japon malgré un contentieux historique entre eux pour pouvoir contrer la menace de la Corée du Nord.

Précisons que la Corée du Nord est sous embargo de l’ONU et que la France participe à son maintien.

Le golfe Persique

La 4e source de tension est l’Iran avec un risque de conflagration dans le golfe Persique cette fois-ci.

La mer Rouge

La 5ème tension est en mer Rouge et est la conséquence du conflit entre Israël et le Hamas avec la façon dont les milices yéménites chiites sont des alliées objectives de l’Iran et entrent en conflit en mer Rouge en réponse à la riposte israélienne sur la bande de Gaza, Ces miliciens ont commencé à tirer sur des navires occidentaux dont un qui traversait la Mer Rouge à travers le détroit de Bab el Mandeb jusqu’au canal de Suez. On a tendance à voir de le France ces miliciens outils comme des soldats de 2nde zone, ne maîtrisant pas les capacités technologiques. Il n’en est rien. Ils sont extrêmement performants dans les capacités qu’ils maîtrisent et directement aidés par l’Iran. De nos jours, avec un drone à quelques milliers d’euros, vous menacez un navire dont la valeur marchande représente quelques 1 million d’euros. Cela contraint les pays occidentaux à abattre le drone en utilisant un missile qui coûte cher.

Autres risques de conflictualité à moyen terme

Tous les risques multidimensionnels de sécurité maritime liés à les perspectives d’exploitation des ressources sous-marines, comme les nodules polymétalliques, qui tapissent le fond de l’océan Pacifique, notamment en Polynésie française. Ces tensions sur ces richesses sont de plus en plus prégnantes suite à la raréfaction des ressources halieutiques et énergétiques. Exemple de la pêche « INN » pour illégale, non déclarée et non réglementée, dans le nord du canal du Mozambique ou autour de Madagascar ou dans le sud de la zone économique exclusive française autour des Kerguelen qui s’est très fortement développée et qui contraint les armées à surveiller davantage ces zones économiques françaises pour contrer la pêche illégale. C’est une mission chronophage et compliquée et que pour autant il faut mener pour préserver nos ressources et notre souveraineté.

Les déstabilisations régionales qui pourraient être liées au changement climatique, à la hausse de la température des océans et ses multiples conséquences comme la mise en danger de la biodiversité. On le constate avec l’intensification des phénomènes météorologiques extrêmes comme des cyclones plus fréquents et violents et des raz de marée. Et puis, bien sûr, l’élévation du niveau des océans, même si les scientifiques ne s’accordent pas tous entre 1 centimètre et 3 centimètres entre aujourd’hui et 2100. Le chiffre actuellement est en moyenne de +12 millimètres par an dans le Pacifique insulaire. Donc c’est un taux 4 fois supérieur à la moyenne mondiale. Exemple : le petit archipel de Kiribati a demandé au HCR de l’ONU, de reconnaître la notion de réfugiés climatiques et il y aura donc des conséquences sur les mouvements de population.

       Quelle stratégie la France adopte-elle en indopacifique ?

Cette stratégie est inscrite dans 2 documents officiels : un document du ministère des armées nommé « la stratégie de défense française en indopacifique » qui date de 2019 et qui est un document de réflexion et de prospective sur la stratégie française dans le Pacifique. L’autre document vient du Quai d’Orsay avec le ministère des Affaires étrangères qui s’est emparé de ce sujet en février 2022 dans « La stratégie de la France en indopacifique »

3 impératifs stratégiques

  1. Protéger nos intérêts et notre souveraineté.
  2. Réduire les risques d’instabilité. Et là, la France incite sur la notion de puissance, d’équilibre ou de 3e voie pour sortir de la dichotomie actuelle qu’on observe dans l’Indopacifique entre la Chine et les États-Unis, en s’émancipant de la coercition chinoise sans être systématiquement aligné sur le positionnement politique américain.
  3. Peser sur l’avenir stratégique de la zone, mener une politique d’influence. Cette stratégie est plus récente et a été diversement évaluée par nos partenaires et compétiteur à la Shangri-La, une conférence internationale annuelle qui porte le nom du grand hôtel de Singapour qui accueille cette conférence. Cette conférence rassemble la plupart des pays qui comptent dans la zone (50 en tout) et qui échangent pendant quelques jours sur l’avenir géostratégique de l’indopacifique. Un amiral chinois y disait à propos de la France en indopacifique que « la France c’est en Europe ». Pour la Chine, les prétentions de la France en Indopacifique sont irrecevables…

Sur la carte d’Antoine Bondaz, on voit depuis 2017 le nombre de visites officielles d’autorités françaises dans la zone indopacifique. On y retrouve une volonté de démonstration de l’influence française à travers notamment les voyages officiels. A titre d’exemple, on peut reprendre un discours sur la stratégie française en indopacifique du président Macron au Vanuatu puisque le 27 juillet 2023. Le président de la République française s’est rendu, ce qui ce qui ne s’était jamais produit auparavant, dans cet ancien condominium franco-britannique. C’est évidemment un symbole, on est vraiment dans un message politique fort. La France s’appuie pour cela sur son réseau diplomatique d’ambassades. Elle en compte 37 en indopacifique, contre 40 pour les États-Unis et 40 pour le Royaume-Uni. Alors que la Grande-Bretagne n’a plus de possession britannique dans l’indopacifique,

Cette volonté de 3e voie française est critiquée par un certain nombre d’observateurs géostratégiques et de puissances de la zone pour essentiellement une raison : la France n’a pas les moyens de sa politique pour réellement peser dans la zone.

Quelle est réellement la présence française dans cet espace et la façon dont elle protège, développe et assure ses intérêts dans cet espace ?

Notre capacité de projection militaire

Nous y déployons 7000 militaires, donc un militaire pour 250 Français présents dans cette zone immense. Quels sont les moyens dont ils disposent ? La France multiplie les partenariats, entre la Nouvelle Calédonie et l’Australie bien entendu, la Nouvelle-Zélande, mais également le Vanuatu avec la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Quand les militaires français font des sauts en parachute au-dessus du territoire magnifique de Papous, c’est donc pour illustrer ce que sont les capacités françaises… et qu’ils sont capables de projeter une force aérolarguée dans une zone insulaire. La France y fait aussi des exercices militaires. Le dernier est celui de la Croix du Sud, exercice mi-annuel très important qui est organisé par les forces armées en Nouvelle Calédonie. Il a regroupé 20 pays participants avec 3000 militaires sur un thème HD, Rayman assistance, Disaster Griffin, donc sous couvert d’une assistance humanitaire on a une démonstration de ce qu’est la capacité de la France à rassembler autour d’elle 20 pays participants et de sa capacité de projection.

Cette politique de défense se retrouve dans l’opération Pégase, exercice de projection avec des rafales et 5 avions de ravitaillement (A330RT), mais qui peuvent aussi transporter un nombre important de troupes, et puis 4 A400M qui sont des avions de transport, de frais et de transport de personnel. Cela fait un ensemble d’une vingtaine d’aéronefs qui ont été projetés sur 20/25000 km en quelques jours de de manière extrêmement efficace et qui au cours de leurs « escales » ont participé à un certain nombre d’activités de coopération avec les Émirats arabes unis, la Malaisie, Singapour, l’Inde et les États-Unis qui ne sont pas mentionnés. Donc la projection de puissance est l’une des clés de notre crédibilité dans la zone et l’une des façons de compenser un dispositif unitaire somme toute assez limité.

Notre ministre Sébastien Lecornu a participé en décembre 2023 au sommet des ministres de la défense du Pacifique Sud à Nouméa et y a annoncé un certain nombre de renforcement de nos capacités avec des bâtiments de la Marine nationale implantés là-bas. Et puis également la création de l’académie du Pacifique à Nouméa, vectrice d’influence importante dans la zone et qui n’existait pas auparavant.

L’aide au développement

On retrouve l’influence française à travers l’aide au développement et l’environnement : le réseau de l’AFD (l’Agence française de développement), assez dense, avec 27 bureaux dans la zone et plusieurs milliers d’agents, des volontaires du service international ou des coopérants de différents ministères. Et puis y a également des volontaires régionaux, car plusieurs communes et collectivités ont effectivement une politique militaire régionale en la matière. Ainsi la Nouvelle-Calédonie dispose de 200 volontaires Calédoniens qui vont au Vanuatu participer au rayonnement de la France.

La coopération sécuritaire

La coopération sécuritaire et policière est importante dans cet espace qui donne lieu à des menaces et des trafics très nombreux et où de nombreux pays ne disposent pas des moyens du fait de leur petite taille insulaire pour faire face à ces menaces. C’est le cas des Seychelles où la France entretient et développe son réseau de coopération sécuritaire et policière à travers les « adjoints de sécurité intérieure » qui sont présents dans de très nombreuses ambassades de cette zone.

La protection environnementale

L’enjeu de l’aide humanitaire environnemental est important et montre la capacité, la démonstration que veut faire la France dans sa protection de l’environnement et dans l’aide des pays qui sont menacés ou victimes de ces menaces (catastrophes naturelles.) Exemple des accords FRANZ signifiant France, Nouvelle-Zélande, Australie qui ont 30 ans et qui coordonnent les aides entre ces pays lorsqu’il s’agit d’aider un pays victime d’une catastrophe humanitaire. Ils ont bien fonctionné en 2021 en Papouasie, en 2020 et 2023 au Vanuatu et en 2022 aux îles Tonga. Les forces armées ne sont pas les dernières à fournir des capacités, on y retrouve un rôle capital des organisations non gouvernementales. Et puis l’aide alimentaire française est évidemment importante. J’ai peu évoqué l’Afrique de l’Est qui fait partie de cet espace et qui en bénéficie. En mettant en place une stratégie, la France permet aussi à l’Union européenne de peser plus dans la zone. Depuis maintenant 2 ans, il existe une stratégie de l’Union européenne dans l’indopacifique qui ressemble fortement à la stratégie française qui en a eu l’idée. Il est donc essentiel que la France inscrive son action dans celle de l’Union européenne notamment sur ces sujets d’enjeux environnementaux et d’aide au développement.

Notre stratégie de contre-influence

Monsieur Jean-Baptiste Jeangène Vilmer est l’ambassadeur de France au Vanuatu, auparavant directeur du think tank de stratégie du ministère des armées «l’IRSEM», il a notamment mené des recherches poussées sur l’hégémonie chinoise et les opérations d’influence chinoise. Cette promotion est une belle illustration de la volonté de d’influence française ou de contre-influence par rapport notamment à l’hégémonie chinoise dans l’indopacifique.

Un certain nombre d’observateurs ont critiqué le fait que la France voulait militariser le Pacifique et donc il insiste sur le fait que la France dispose de moyens militaires, mais que ces moyens militaires d’abord et avant tout sécurisent ou participent à la sécurisation de cet espace, soit par rapport à des menaces naturelles, mais également par rapport à des menaces périphériques, par exemple la pêche illégale. Or les petits pays insulaires et les puissances intermédiaires qui nous observent sont très attentives au fait que les puissances occidentales / européennes ne se payent pas de mots et mettent des actions derrière leur stratégie. Et c’est le cas de la France à sa mesure.

Conclusion

La nature indopacifique est très belle bien que rude. Il s’agit d’un espace immense, très hétérogène, qui a un sens géostratégique. Il est fait de tensions croissantes, à l’image de ce qu’est l’évolution géostratégique du monde. Considérons ensemble, en tant que citoyen français, que la France n’y manque pas d’atouts mais qu’il y a un enjeu sur la continuité et sur la crédibilité de son positionnement.

Questions :

On voit que le monde gravite de plus en plus en direction de l’indopacifique. Comment se fait-il qu’il n’y ait pas un investissement plus large de l’Union européenne avec la France ?

La première raison, c’est qu’il faut bien être conscient que pour de très nombreux pays qui composent l’Union européenne, quand on parle de l’indopacifique et même quand on parle de l’Afrique, en fait, on parle d’espaces qui leur sont réellement étrangers. Quand vous êtes Autrichien, quand vous êtes Letton, l’indopacifique ne fait pas historiquement, traditionnellement partie de vos réflexions stratégiques. C’est donc un premier enjeu que de persuader nos partenaires européens du fait que les menaces sont mondialisées, mais il y a un pas que la France doit encore franchir pour les encourager à participer à une stratégie commune.

2e raison : c’est aussi un espace de compétition, y compris de compétition économique. Dans l’ensemble des enjeux de politique étrangère de l’Union européenne, il est difficile de trouver une cohésion, d’autant que notre ancien partenaire européen, le Royaume-Uni y joue ses propres cartes.

Y a-t-il encore dans la zone des essais nucléaires français ?

Un certain nombre de clichés demeurent et notamment ce cliché sur les essais nucléaires dans l’Indo-Pacifique qui ont été de vrais dommages collatéraux, comme l’affaire du Rainbow Warrior qui a érodé nos relations avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Le président Chirac, y avait mis fin en 1995, ce qui a été très apprécié. Et aujourd’hui de fait, il n’y a plus aucun essai nucléaire français en « atmosphère », contrairement à ceux de la Chine. Ce qui n’empêche pas bien entendu notre force de frappe nucléaire d’être très pertinente et très performante.

Pourrait on disposer de davantage de moyens dans la zone ?

La France va faire un effort dans les années qui viennent avec un peu plus de bateaux basés sur place. Il faut voir la loi de programmation militaire qui est de 413 milliards d’euros sur 7 ans, donc un effort substantiel sur le plan budgétaire, qui doit surtout renouveler nos capacités nucléaires, notre parapluie, notre assurance survie, et nous permettre de disposer dans le cadre d’un conflit de haute intensité de meilleure capacité, y compris sur le centre européen. Et en même temps, nous donner des capacités d’action dans le domaine sous-marin, des capacités sur place également.

Il faut néanmoins opérer des choix raisonnables et on peut aussi s’appuyer sur les moyens de l’UE. Notre flotte est en surrégime, même si nous allons voir arriver grâce à la Loi de programmation militaire (LPM) un certain nombre de navires supplémentaires.

Face à la montée des eaux dans le Pacifique, que fait l’armée ?

D’une part, elle anticipe les drames qui vont se poser, par exemple l’immigration. Et limiter l’impact de nos activités, à travers tous les objectifs dont la France s’est dotée pour la réduction de l’émission de gaz dans les actions individuelles, collectives et les conséquences qu’elles ont sur le réchauffement climatique.

Le club des démocraties (QUAD) a-t-il un contenu militaire diplomatique ? la France est-elle associée ?

Il y a de nombreuses organisations multinationales, internationales ou régionales dans la zone indopacifique, la France participe à une bonne partie d’entre elles, notamment dans l’Océan Indien, un peu moins dans l’océan Pacifique. Soit en tant qu’État membre, c’est le cas par exemple pour la commission de l’océan Indien, soit en tant que membre observateur (ne disposant pas d’une voix mais pouvant s’exprimer.) La France ne participe pas au QUAD, un quadrilatéral entre 4 puissances, même si évidemment la France a des relations avec chacun de ses 4 pays qui sont l’Inde, l’Australie, le Japon et les États-Unis.

Et ce qu’il y a des objectifs de limitation de gaz à effet de serre dans l’armée ?

Le ministère des armées est un ministère qui a une action depuis très longtemps sur ces sujets d’environnement et de biodiversité et il y a plusieurs raisons à cela :

Nous sommes les principaux propriétaires fonciers d’État. Le domaine militaire est un domaine encore très important, c’est l’héritage de l’histoire et nous devons le préserver. Dans de nombreux camps militaires, il y a des réserves Natura 2000. Le camp de Saint-Cyr en Bretagne. Est une formidable réserve de biodiversité. Les militaires, quand ils manœuvrent, veillent à préserver l’environnement, on ramasse nos munitions. Il n’y a pas plus heureux qu’un végétal ou d’un animal dans un camp militaire, où il est très peu gêné en fait. L’armée est donc plutôt pionnière et exemplaire en matière d’environnement.

Nous participons à ces politiques de limitation des gaz à effet de serre. Il y a 2 parcs de véhicules dans les armées : le « parc vert », qui sont les véhicules de combat, ne sont pas concernés parce que vous imaginez bien que la priorité pour les véhicules de combat, c’est leur caractère opérationnel, il en va de l’efficacité de nos armées et de la survie de nos personnels. En revanche, pour ce qu’on appelle le « parc blanc » des véhicules de gamme commerciale, il y a toute une politique d’électrification des véhicules.