Deux mois après les premières mises en application, la réforme des rythmes scolaires ne cesse de faire couler de l’encre sans parler des appréciations des politiques sur fond de municipales. Si les principales critiques semblent s’accorder sur une trop grande précipitation et une trop faible concertation, ratant sans doute l’idéal beaucoup plus global de refondation affiché, c’est au travers du prisme spatial qu’il peut apparaître intéressant et important d’en étudier les manifestations en cours mais surtout à venir.

Dans cette mise en œuvre, ce n’est pas tant le passage à 4 jours et demi qui constitue le cœur du problème mais bien le fait que cette demi-journée supplémentaire ne sera pas la même partout et aussi que tout le monde ne s’est pas lancé en même temps si bien que certaines voix parlent déjà d’une « Éducation » qui ne serait plus « Nationale ».

Dès lors, les géographes trouveront un terrain d’investigation fertile pour analyser les mobilités des deux catégories d’acteurs clés (parents et enseignants) à différentes échelles.

Des parents rationnels ?

L’école primaire étant du ressort des communes, c’est bien sûr à ce premier échelon que se centrera l’essentiel du débat. En proposant une offre nécessairement diversifiée au niveau de la structure de la semaine (mercredi ou samedi), de la journée (pause allongée le midi ou temps dégagé en fin de journée) mais également d’activités périscolaires (fonction des ressources de la commune), on assistera à des stratégies de choix et d’évitement sur des critères sans doute davantage pratiques, sur la concordance des emplois du temps de chacun (élèves et parents ou tout autre personne ayant à charge de récupérer les enfants), qu’en fonction de l’habituel critère de proximité consistant à être « du secteur ».

Le débat sur la carte scolaire s’invite ici de fait. Verra-t-on affluer les demandes de dérogation ? Les familles anticiperont-elles au point de bâtir de véritables stratégies résidentielles à plus long terme ? Les communes auront-elles les ressources pour jouer la carte de la conquête, de la rente de situation ou, au contraire, de la diversification et de l’adaptation ? La fuite vers la sphère privée, pour l’instant épargnée, sera-t-elle massive ?

Des découpages territoriaux adaptés à cette gestion ?

Au delà du regard sur les communes prises isolément, il convient également de voir comment celles-ci sont regroupées quant à la gestion des questions éducatives. Si certaines intercommunalités ont bénéficié d’un transfert de la compétence scolaire, périscolaire, voire des deux, c’est surtout sur l’échelle des circonscriptions que les choses risquent d’être complexes pour les Inspecteurs de l’Education Nationale ayant à charge ces territoires.

Dans le cas des zones urbaines, la situation n’apparaît pas la plus difficile puisqu’une circonscription peut gérer une seule commune, voire même une partie d’une commune dans le cas des grandes villes mais qu’en serait-il dans les secteurs davantage périurbains et surtout ruraux, représentant d’ailleurs la majorité des cas ?

Peut-on imaginer fonctionner efficacement, à l’intérieur d’une circonscription, avec des communes dont les horaires ne sont pas harmonisés ? Comment réunir les personnels lors des formations si ceux-ci n’officient pas sur les mêmes créneaux ? Comment penser les déplacements des enseignants ayant des enfants dans des écoles aux rythmes différents des leurs ? Les groupes scolaires sauront-ils déjà trouver une entente à l’interne ? Qu’en sera-t-il justement pour les écoles ne fonctionnant pas en groupe scolaire ? Comment faire « tourner » les animateurs disponibles ? Et si besoin, qui tranchera le bras de fer entre le maire et l’IEN ?

Quelle physionomie pour le mouvement des personnels ?

En élargissant encore un peu l’échelle, on pourra enfin s’interroger sérieusement sur la physionomie du prochain mouvement des enseignants du premier degré, qu’il soit inter ou intra-départemental. Si celui-ci répond traditionnellement à des idéaux d’optimum spatial et typologique (trouver « la » bonne classe proche de chez soi), verra-t-on désormais chez les enseignants des comportements motivés, à l’image de ceux des parents finalement, par des rythmes journaliers et hebdomadaires proches de leurs attentes davantage que par le critère de proximité et du niveau de classe souhaité ?

Le mouvement étant fait de nombreuses inconnues (postes vacants ou seulement susceptibles de l’être, nombre de prétendants aux postes en question et donc fluctuation du « coût » de ces postes, pourcentage de postes bloqués pour les néo-titulaires comme c’est le cas depuis peu…), il sera peut-être encore plus difficile pour les enseignants de formuler leurs vœux avec cette donne supplémentaire.

L’hypothèse d’une forte demande de mobilité n’est pas exclue, pas forcément propice à la stabilité des équipes enseignantes et donc à l’accueil préparé de cette nouvelle façon de gérer la semaine.

Conclusion

Ce sont donc de nombreux déplacements potentiels, à différentes échelles, qui peuvent être attendus, vraisemblablement dans une certaine cacophonie vu les différences temporelles d’engagement entre les territoires et les acteurs. Etudiants, chercheurs, géographes de tous horizons : emparez-vous de la question sans pour autant négliger l’apport des économistes qui démontreront le coût de ces déplacements puisque, si le temps travaillé est affiché comme identique, il faudra se déplacer une cinquième fois dans la semaine, dépense que l’institution n’a pas pris en charge, que ce soit pour les parents ou les enseignants (frais de transport, gardes d’enfants).

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