Conférence de Florence Deprest et Pierre Singaravélou
Cette conférence à deux voix s’appuie sur un travail collectif et quatre ouvrages:
L’EMPIRE DES GÉOGRAPHES géographie, exploration et colonisation XIXe-XXe siècles – Géographes en Algérie (1880 – 1950) Savoirs universitaires en situation coloniale –
Territoires impériaux, une histoire spatiale du fait colonial
L’empire des sports, Une histoire de la mondialisation culturelle
et porte sur un bilan des études sur le rapport entre géographie et empire colonial.

Les deux conférenciers jouent une agréable partition à deux voix.

Des travaux qui s’inscrivent dans une évolution

Depuis les positions d’Yves Lacoste sur les rapports entre géographie et pouvoirs politiques et militaires à la déconstruction des « postcolonial studies » à une déclinaison française et actuelle

La géographie a été la première des sciences sociales à s’interroger sur l’inconscient colonial de l’élaboration des savoirs géographiques, bien plus tôt que l’histoire.
Dès les années 60, après la prise de position d’Aimé Césaire (1955) qui qualifiait les géographes de chiens de garde du colonialisme et réfutait la thèse de Gourou qui insistait sur la « malédiction géographique » et refusait une civilisation tropicale, il a été question de « décoloniser » la géographie

Avec Edouard Said et ses études sur l’orientalisme, s’est développé un nouveau type de critique: les discours savants et les romans de l’époque coloniale sont marqués par ce qu’il nomme une géographie imaginaire à déconstruire (mythe de l’Afrique Noire ou le bush australien).

Les nouvelles orientations dépassent cette étude des seuls textes et cartes en y ajoutant l’étude des acteurs pour une histoire sociale et institutionnelle de la géographie coloniale. On peut rappeler le synchronisme entre conquête coloniale et naissance de la géographie comme discipline.

Florence Deprest présente ici brièvement, et plus longuement dans son ouvrage: Géographes en Algérie; les travaux de Vincent Berdoulay qui analyse le contexte colonial du développement de la géographie française universitaire et de Olivier Soubeyran qui insiste sur la place de la géographie coloniale, du rôle de Marcel Dubois, co-fondateur des Annales de géographie avec Vidal de La Blache.
Elle revient sur la rupture entre Dubois et Gallois qui se fait sur une différence de dosage entre facteurs historiques chez Dubois et facteurs naturels chez Gallois, entre géographie, science appliquée et géographie, science « pure ».

Les travaux sur l’histoire de la tropicalité, une histoire intellectuelle de la géographie coloniale étudie les modes d’argumentation entre 1930 et 1960 précèdent la dernière évolution : une histoire sociale de la géographie: étude des lieux, des contextes de production du savoir, une approche résolument pluridisciplinaire comme l’atteste l’ouvrage collectif: L’EMPIRE DES GÉOGRAPHES
; un changement de point de vue et de génération de chercheurs qui n’ont ni à rechercher une légitimation comme Lacoste, ni une décolonisation.

Les nouvelles perspectives

Des thèmes revisités: des nuances apportées par à l’idée d’une marginalisation de la géographie coloniale qui est en position centrale sous la 3ème République, enseignée à la Sorbonne, dans les grandes écoles, à l’Université de Bordeaux et qui n’a décliné qu’après 1950.

Un retour sur l’analyse du discours colonial ambiant qui serait fondé sur centre/périphérie. Les études récentes montre qu’il n’existe pas de discours unique mais que cela dépend du temps et du lieu e production ainsi que de l’auteur.
La question est bien plus large et complexe, il existe une géographie aménagiste, une géographie commerciale, une géographie administrative, une géographie militaire et une géopolitique des empires. Les clivages ne sont pas nécessairement entre colonie et métropole ni entre vidaliens et autres mais transversaux, liés à des stratégies de carrières, des clivages politiques autour de la place à donner aux « indigènes ». Ces clivages socio-politiques et socio-professionnels se répercutent sur le savoir produit.

Présentation du dernier ouvrage

Territoires impériaux, une histoire spatiale du fait colonial, édité par les Publications de la Sorbonne, sous la direction d’Hélène Blais, Florence Deprest et Pierre Singaravélou.

Cet ouvrage s’intéresse aux usages socio-économiques et politiques des savoirs géographiques et ce à l’échelle, très vaste, de l’empire. Il pose la question de la nature spatiale de l’empire malgré un espace discontinu. C’est un réseau d’hommes, de savoirs, de capitaux qui donnent corps à l’idée d’empire. Les études portent aussi sur l’identification des acteurs qui fabriquent des territoires, une articulation entre une histoire des savoirs, une histoire des pratiques et une histoire des territoires.