Olivier Loubes, professeur de classe préparatoire au lycée Saint Sernin à Toulouse a présenté à Blois sa bibliographie de Jean Zay publiée aux éditions Armand Colin au cours d’une conférence des rendez-vous de l’histoire.

Jeune professeur nommé à Orléans, Olivier Loubes a poursuivi, comme une évidence, un travail de recherche universitaire sous la direction de Pierre Laborie, consacré à Jean Zay.

En 1990, il fait une rencontre heureuse et décisive, celle de la fille du ministre du Front populaire, dans sa librairie orléanaise ce qui lui permet d’accéder aux archives familiales. Ce travail amène Olivier Loubes à réfléchir aux liens tissés entre l’action politique et une mémoire partielle,et en partie partiale.C’est dans cette perspective que les rapports entretenus par Jean Zay et sa mémoire sont intéressants. Mais Jean Zay n’est pas seulement un sujet historique, c’est aussi un sujet d’actualité. Ainsi, François Hollande, encore candidat, a rendu hommage à Jean Zay, et Claude Bartolone lors de son discours d’investiture à l’assemblée nationale a rappelé l’aventure du Massilia et évoqué le souvenir de ces républicains ayant tenu bon après la débâcle de 1940.

La conférence s’ouvre sur la lecture d’une lettre de Zay datée du 6 octobre 1940, rédigée après sa condamnation par la justice de Vichy. Adressée à son père et à sa mère réfugiés au Maroc, elle comprend une définition de la vérité. Raturée, la lettre manuscrite nous montre que le mot justice initialement prévu a été remplacé par celui d’histoire afin de dire ce qu’est la vérité. La leçon de Jean Zay c’est alors que rendre justice c’est faire l’histoire.

Robert Badinter en 1996 à Orléans avait lui aussi dans un discours savant, scandé la vie politique de Jean Zay. Ce discours est un point de départ et une référence pour Olivier Loubes qui se propose de cerner ce qui fait de Zay un républicain type. Il ne s’agit pas cependant de dresser une statue au grand homme mais de retracer le climat historique dans lequel se sont inscrits la pratique et l’action d’un républicain, mais aussi le climat de haine qui a pu l’entourer. Donc, évoquer Jean Zay, c’est évoquer ce qu’est être républicain sous le Front populaire, et donc être républicain face à une haine antirépublicaine: Jean Zay c’est l’Alfred Dreyfus de Vichy. Dégradé et déporté, il subit des peines symboliques prononcées contre lui, puisqu’elles n’étaient plus utilisées depuis une cinquantaine d’années. Juif, protestant, franc-maçon, et radical de gauche potentiellement bolchévique, il incarne une peinture négative de ce qu’est un républicain aux yeux de Vichy.

Jean Zay, héritier et boursier

Mais avant de parler du ministre de l’éducation, on peut rappeler qui est l’enfant Jean Zay, un héritier et un boursier, inscrit dans une double logique écolière. À son entrée en sixième, il décroche une bourse au mérite qui lui est aussi attribuée parceque son père est mobilisé. Il quitte alors l’école du peuple, celle du tiers état (plus que celle du prolétariat), l’école primaire, pour intégrer le lycée.
Il est alors l’héritier de deux familles politisées. Celle de sa mère, protestante installée, lorsqu’il naît, à Orléans depuis une génération, une famille installée et bourgeoise, où l’on retrouve des fondateurs de la ligue des droits de l’homme orléanaise et qui est au coeur du réseau radical socialiste local. Son père, Léon Zay, a des racines juives mosellanes et incarne la branche politisée de sa famille, en tant que rédacteur en chef du journal radical socialiste d’Orléans défendant et diffusant les idées de Camille Pelletan et de Ferdinand Buisson. Jean Zay est donc porté des deux cotés par cet héritage politique familial. Cet héritage se retrouve dans les images de Zay, véritable « écolier de guerre », enfant portant la pèlerine de guerre de son père et trônant sur les épaules ce dernier, dont le visage reste invisible. Jean Zay, « lieutenant de son père » est porté, et le sera toute sa vie, au propre comme au figuré par Léon Zay, figure du républicain de la génération 1905, juif émancipé combiste, chef d’une famille de « fous de la République ».
Jean Zay c’est d.ailleurs un « écolier patriote » suivant un enseignement de guerre non « brutalisant », patriotique mais non violent. Ce patriotisme est à l’oeuvre dans ses journaux de guerre rédigés sur ses cahiers d’écolier et où à la manière d’un vrai journal on retrouve annonces publicitaires, brèves familiales mais aussi une analyse personnelle et poussée du procès de Malvy en 1918. Enfin, ces journaux sont illustrés de dessins sur la violence de guerre, notamment des représentations cruelles de l’empereur Guillaume.

Du pacifiste à l’antifasciste

On peut voir un écho de ces représentations dans l’engagement du jeune homme militant pacifiste des années 1920. Ces positions sont affirmées par Jean Zay au cours de deux voyages en Allemagne en 1930 et 1931, au cours desquels il a tenu des conférences sur la réconciliation des Républiques françaises et allemandes.S’il est pacifiste c’est parcequ’il est marqué par le conflit de 1914 – 1918 mais aussi car il défend un idéal démocratique.
On voit alors se dessiner un rapport puis un glissement entre son pacifisme et son antifasciste, notamment dans un texte de 1933 intitulé La guerre a changé de nom.Le jeune républicain de gauche pacifiste qu’est Jean Zay change alors et s’affirme comme un antifasciste résolu, inquiet de la menace du fascisme extérieur, et déterminé à le combattre pour préserver la démocratie. Pourtant en 1936 alors qu’il est nommé Ministre, il est accusé par la droite de favoriser l’entrée dans l’école républicaine d’instituteurs pacifistes et antipatriotiques.Dans la réponse qu’il formule face à ces attaques, il parle du « tragique et invraisemblable paradoxe » qu’il refuse d’incarner et de défendre, celui d’être « antifasciste à l’intérieur et pacifiste à l’extérieur. » Ainsi en 1936, Jean Zay est un très jeune ministre, qui se pose en républicain capable de modifier son raisonnement quand il est convaincu par la situation. Par exemple, en 1926 lors de débats avec une féministe de la ligue de Droits de l’Homme, il utilise les arguments clichés et antiféministes des radicaux. Mais en 1932, il soutient la cause de l’égalité des droits des femmes et leur accès au vote, inspiré par ses rencontres et ses lectures, celles des textes de Cécile Brunschvicg en particulier.
Bien plus qu’un pacifiste, Zay est un « jacobin » résistant à la menace d’une invasion comme les patriotes de 1792.

Le dernier ministre du Front populaire

Ministrable à 31 ans, il est nommé en 1936 à la tête d’un immense ministère du Front populaire regroupant éducation, beaux arts, jeunesse et sports alors qu’il a déjà été sous-secrétaire d’état à l’intérieur dans le gouvernement d’Albert Sarrault.

Il est alors le chef des jeunes radicaux de gauche, à ne pas confondre avec la troupe plus hétéroclite des « jeunes turcs », où l’on trouve des radicaux qui se tourneront vers la droite. Il est alors proche de Mendès France qui le considèrera toujours comme le leader de sa génération. Il vient alors de produire le rapport de politique général du parti radical au congrès de Wagram qui a fixé la ligne de participation des radicaux au Front populaire. Zay est donc un frontiste que l’on retrouve sur la photo du défilé du 14 juillet 1935 où derrière une pancarte de revendications, on trouve deux taxis l’un avec un drapeau rouge, et l’autre avec un drapeau tricolore sur lequel est juché Zay au milieu des autres leaders radicaux.
Il est d’ailleurs le dernier ministre du front populaire puisqu’il cherche encore en 1938- 1939 à faire passer ses réformes de 1936 sur « la civilisation du travail » notamment.
On pourrait d’ailleurs penser que Jean Zay n’est pas le Ferry du front populaire. En effet dans une République s’appuyant sur la sacralité de la loi, il est un ministre sans loi. Mais il incarne la démocratisation sociale de l’école déjà en marche. Un sujet qu’il prend en charge alors qu’il n’en est pas un spécialiste. S’il ne fait pas de loi c’est qu’il est bloqué par une double peur: celle des enseignants du primaire ne voulant pas perdre leurs meilleurs élèves vers le lycée et celle des professeurs craignant de voir se primariser le lycée avec des reformes comme la suppression du latin par exemple. Il subit alors un blocage parlementaire qui l’empêche de faire passer des lois comme la création de l’Ena ou bien celle sur le droit d’auteur et ce jusqu’en 1939.
Cependant, s’il peut être appelé le Ferry du Front populaire, c’est parcequ’il mène une œuvre scolaire formidable par décrets réorganisant l’administration de l’éducation nationale avec la création des degrés et la proclamation en 1938 de leurs programmes respectifs. Il proclame également la création d’après-midi de sports. Pour mener cet oeuvre de réformateur, il s’appuie sur le conseil supérieur des délégués de l’instruction publique, se reposant alors sur un soutien de l’intérieur.Enfin, il agit en jacobin menant une politique culturelle antifasciste avec la création du premier festival de Cannes en 1939, qui n’aura jamais lieu pour cause de déclaration de guerre mais qui pour Zay est pensé comme un anti Venise, une contre Mostra fasciste, tablant sur l’alliance des démocraties même dans le domaine culturel.

Jean Zay, haï

Mais Jean Zay a été également haï et détesté. Pour Céline, dans l’école des cadavres, le « négrite juif Jean Zay » transforme la Sorbonne en « ghetto » accueillant des étudiants auxquels il lance la remarque suivante: »Je vous Zay! ».
C’est une thématique de la haine qui glisse aussi dans le camp des républicains et qui est un signe de crise politique. Ainsi l’adversaire politique orléanais de Jean Zay, Maurice Berger, représentant de la droite républicaine, convoque dans son discours électoral en 1936 des éléments antisémites et antiprotestants qu’il n’avait pas utilisé en 1932. Avec l’appui du journal conservateur le petit orléanais, il se fait le champion d’une lutte entre la France et l’étranger, incarné par Jean Zay, et fait rentrer leur affrontement politique dans une logique de guerre civile, reposant sur des caricatures violentes du judéobolchevisme utilisées alors même par des républicains.

Sous Vichy, le procès Jean Zay est un procès contre la République. Celle qu’incarne un Zay rayonnant lors de l’inauguration du groupe scolaire des Arcs sur Argence pendant l’été 36, accueilli en tant que ministre du « Front populaire » et s’exprimant devant un triptyque républicain original formé par un buste de Jaurès, et des drapeaux rouges et tricolores. Emprisonné 4 ans à Rioms, Zay est extrait de sa cellule et assassiné en 1944 par la milice. Son corps, c’est aussi celui de la République, que l’on mettra près de quatre ans à retrouver et à identifier.

En conclusion, Olivier Loubes rappelle que la République parlementaire a connu de brillants réformateurs émanant d’un camp politique, le radicalisme, qu’on a un peu perdu de vue.Les radicaux socialistes de la génération de Buisson, celle de 1905, ont transformé socialement la République par une oeuvre reposant sur la laïcité, un service militaire universel et la création de l’impôt sur le revenu. Jean Zay puise ses racines politiques dans la République française et dans l’œuvre de ces réformateurs non socialistes mais prônant l’avancée sociale grâce à des réformes républicaines. Jean Zay a alors incarné un repère républicain dans une période de crise.C’est pourquoi on se pose aujourd’hui la question de savoir s’il faut panthéoniser Jean Zay? On peut d’ailleurs se demander s’il faut panthéoniser quelqu’un? Mais si la réponse à cette derniere question est oui, alors oui il faut panthéoniser Jean Zay. En tout cas, depuis 2010, les archives Jean Zay par la volonté de ses deux filles constituent un fond déposé aux archives nationales.
C’est en somme un panthéon historien qui amène à penser que rendre justice à Jean Zay c’est en faire l’histoire.

Guillaume Bellicchi