L’impossible réforme de l’Église par le Pape François… La réforme est un mot tabou au Vatican. Il rappelle trop Luther et 1517. Le pape François, élu pour rénover l’Église, se heurte à la Curie, ce monument de stabilité. Comment manœuvrer la barque fragile de la réforme en pleine tempête ? Jean-Paul II (1978/2005) et Benoît XVI (2005/2013) s’y étaient essayés. Quel bilan dresser des plus de sept années de pontificat du pape François ?

Les deux intervenants, Isabelle de Gaulmyn et Nicolas Senèze, sont journalistes à La Croix et ont été correspondants du Vatican.

Réforme ou révolution culturelle ?

Après deux papes qui ont laissé la Curie diriger, surtout quand ils étaient malades et fatigués, le Pape François est un homme qui décide et gouverne. C‘est un changement majeur.

Nicolas Senèze et le pape François (source Twitter)

Archevêque de Buenos Aires, il est donc le premier pape des Suds. C’est aussi un jésuite habitué à la démocratie interne, au discernement, à la réflexion et aux discussions. Il renverse donc la table au Vatican. Un Pape qui fait la queue avec un plateau repas à la cantine, ce n’est plus un souverain pontife menant la grande vie sous les ors du Vatican.

Cette « Révolution Culturelle » se double d’une réforme des structures et une réforme des mentalités.

Église et mondialisation

La mondialisation provoque des tensions, comme chez les anglicans et les orthodoxes, mais aussi entre un vieux centre italien et de nouvelles périphéries catholiques en Asie, en Afrique et en Amérique latine. Trois questions majeures cristallisent les tensions :

  • l’ordination des hommes mariés, acceptée en Amazonie mais rejetée en Afrique Noire, par peur du tribalisme des fonctions ecclésiales,
  • l’ordination des femmes et la place des divorcés remariés et des homosexuels dans l’Eglise.
  • A cela se rajoute l’immense scandale de la pédophilie. François à ce sujet veut agir vite et combattre le « cléricalisme ».

L’Église face aux Evangéliques

Autre défi mondial : les Evangéliques.  Ce courant compte désormais 660 millions de fidèles en 2020 et en comptera sans doute 1 milliard en 2050 face aux 1.3 milliards de catholiques. C’est un choc au Brésil et en Amérique du sud en général. Leur fonctionnement, très souple, est plus adapté à leur diffusion que le fonctionnement hiérarchique et pyramidal des catholiques.

Une réforme de style

En 2016, le Pape François organise un programme pour les Séminaires. Il fait une enquête mondiale puis des concertations sur le plan local. Tout n’est plus centralisé et décidé d’en haut à Rome.

Certains critiquent une « protestantisation » de l’Eglise. Certains évêques catholiques des Etats-Unis ou d’Europe sont furieux et pensent que les Latino-américains et leur théologie de la libération commencent à démocratiser le Vatican, un scandale dans cette monarchie absolue tempérée par l’administration centrale.

En 2019, c’est le Synode sur l’Amazonie. Face aux volontés de réforme, certains veulent faire du « guépardisme », comme dans le film Le Guépard où la phrase célèbre est  » il faut que tout change pour que rien ne change ». Ceux qui s’opposent ouvertement sont peu nombreux, mais ceux qui font semblant de s’adapter pour saboter les réformes de l’intérieur sont bien plus nombreux.

La question des femmes est compliquée. Peut on inventer un nouveau ministère ouvert aux femmes, promouvoir les femmes diacres ou refuser toute intégration des femmes ? Si en 2011, un Australien avait été révoqué de l’Eglise pour avoir évoqué cette question, en 2019 tout le monde en parle ouvertement (cf. article de Libération du 3 mai 2011). Dans le même temps, le numéro 3 du Vatican, un cardinal, est révoqué pour corruption (cf. article du Figaro en date du 26 septembre 2020). Du jamais vu.

Les limites de cette nouvelle gouvernance sont le souci de maintenir l’unité des catholiques et la peur d’un nouveau schisme conservateur plus grave que celui des lefebvristes.

Et après la mort du pape ?

Le Pape François a 84 ans. Que se passera-t-il après lui ? Poussera-t-on un candidat mou et consensuel pour freiner les réformes ?  Dans 3-4 ans les hommes mariés pourront ils être ordonnés dans certaines régions du monde ? Est ce un tournant majeur de l’Eglise Catholique ou juste un petit commencement de réformes ? Peut-il enfin y avoir un retour de bâton avec un nouveau Pape conservateur et réactionnaire ?

L’Eglise Catholique semble bien être arrivée à la croisée des chemins…

Vous pouvez suivre les autres comptes-rendus de conférences des Clionautes pour les RDVH de Blois 2020.