Une longue désaffection

Dans les départements d’histoire, l’économie avait une place forte au XIXe car elle faisait partie intégrante du récit national. Plus tard, c’est, dans des genres très différents, l’histoire marxiste et l’école des Annales qui ont porté l’histoire économique. Jugée trop économique, elle s’est fait remplacer par l’histoire culturelle. Les notions d’institutions et de cycles étaient primordiales, et des ponts ont ainsi pu facilement être construits notamment avec l’école des Annales jusqu’aux années 1960, mais aussi, plus largement, avec la sociologie économique. Tout d’abord, l’histoire fut évincée par l’économie formaliste et son ambition de modeler la science économique sur la physique, qui aboutit souvent à nier l’historicité et la contingence des comportements, des institutions et des théories. Un courant apparu aux États-Unis dans les années 1960 (la « cliométrie ») qui eut d’abord pour objectif d’appliquer les méthodes de l’économie néoclassique à l’histoire. Ce courant, récompensé par les prix Nobel de Douglass North et Robert Fogel en 1993, fut et est toujours indéniablement fructueux et divers, ne serait-ce que parce qu’il a su évoluer avec les raffinements des théories économiques des années 1980 sur les imperfections des marchés et le rôle des institutions. Abandon de l’économie pour les historiens universitaires et des méthodes (statistiques). Le champ de l’histoire économique a donc particulièrement été marqué par l’idéologie de la fin de l’histoire et son corrélat politico-économique, à savoir l’idée d’un triomphe nécessaire des démocraties libérales. Elle constitue encore l’horizon sous-jacent d’un ouvrage comme Why Nations Fail de Daron Acemoglu et James Robinson.

De nouvelles pistes 

  • Sur le temps long: 1er : se concentrent sur la construction de séries statistiques de long terme, avec l’objectif de renouer avec l’étude des cycles, de comprendre les dynamiques de long terme du capitalisme, et de situer le temps présent au sein de ces dynamiques. 2ème : vise à déterminer les conséquences économiques de long terme d’une réforme ou d’une institution, en appliquant des méthodes statistiques habituellement utilisées pour l’évaluation des politiques publiques. Amorce de dialogue entre les deux disciples pour Thomas Piketty et l’anthropologue David Graeber. Timur Kuran défend quant à lui l’idée d’une « longue divergence » qui expliquerait le déclin, puis le sous-développement économique des sociétés du Moyen Orient, au cours du dernier millénaire, comme une production endogène des normes et des institutions du droit islamique.
  • Changer d’échelle géographique: une forte évolution est à l’œuvre pour promouvoir des perspectives transnationales ou globales et pour mettre en valeur les connexions et les échanges entre des groupes ou des personnes de diverses origines, et rendre compte des perspectives de chaque partie; cela s’intègre bien avec les récentes études sur la mondialisation. Kenneth Pomeranz qui mettait en valeur les niveaux de développement comparables de certaines régions de la Chine et de l’Angleterre avant la révolution industrielle, démarche de l’histoire comparée, fait varier les échelles. Dans son étude centrée sur une compagnie juive dans la première moitié du XVIIIe siècle, Francesca Trivellato retisse avec précision les différents liens commerciaux qu’entretenaient les marchands sépharades avec leurs coreligionnaires comme avec des agents catholiques de Lisbonne ou des commerçants hindous de Goa; elle fait varier les échelles micro et macro, locale et globale.
  • Vers une approche multidimensionnelle des comportements humains: le débat lancé par l’ouvrage de Jan de Vries sur la « révolution industrieuse » de l’époque moderne n’a pas uniquement contribué à affiner la chronologie et les causes de la révolution industrielle mais aussi sur sur les biens de consommation, sur le rôle des corporations et des entreprises dans le façonnement et l’évolution des goûts, mais aussi sur le temps (et la notion même) de travail partout en Europe. Fait appel à d’autres disciplines et, en particulier, à la psychologie et à l’analyse des réseaux sociaux. Des études d’histoire économique menées par des économistes commencent à intégrer ces facteurs psychologiques pour expliquer les prises de risques et le fonctionnement de certains marchés financiers, par exemple.

 

Conclusion

Ces évolutions de la recherche au sein des disciplines économiques et historiques peuvent faire émerger de nouveaux terrains de discussion et faciliter ainsi la multiplication et la diffusion de travaux d’histoire économique qui bénéficient par ailleurs d’une forte demande, notamment liée au contexte politique actuel qui met en doute bon nombre d’idées dominantes au sujet de l’évolution des économies capitalistes et de l’interprétation de leur histoire.