Les Jeux vidéo ont eu une place importante lors de ces Rendez-Vous de l’Histoire 2018. Le thème de cette année (« La Puissance des Images ») était parfaitement adapté à la mise en place de conférences autour des jeux video.

C’était l’objectif de l’atelier organisé par Medhi Debbabi-Zourgani, Alain Zind et Antoine Rocipon.

Le premier est professeur en game studies à l’ICAM de Paris. Depuis plusieurs années, il met en place des ateliers de médiations autour du jeu vidéo, au Centre Pompidou. 

Alain Zind et Antoine Rocipron sont doctorants sous la direction Christian Delage.  Le premier réfléchit sur la guerre dans le cinéma et sur la circulation des images de guerre sur internet (ce que l’on voit de la guerre). Antoine Rocipron s’intéresse au retour de guerre et le retour des soldats dans le cinéma.

Ces deux doctorants ont souhaité étendre leur réflexion sur le cinéma, au médium jeu vidéo.

Un atelier pour jouer ?

Le jeu vidéo est un médium qui par définition met le joueur face à des images. Mais, en plus d’être en situation d’observation (comme devant un film), le joueur est acteur du récit proposé par le jeu. Cette position d’acteur invite à questionner la dimension ludique du médium, autrement dit questionner la manière dont les joueurs sont mis en relation avec ces images. 

Pour les organisateurs, un jeu vidéo oblige le joueur à se poser des questions. Que ce soit à travers les récits mis en scène ou à travers des choix moraux proposés aux joueurs.

Dans le cadre des Rendez-vous de l’Histoire, il était aussi obligatoire de questionner la manière dont les développeurs utilisent la matière historique pour créer du gameplay.

Cet atelier organisé à La Fabrique (lieu de réunion des jeunes bloisois) répondait aussi à la publication d’un numéro de la revue transdisciplinaire Conserveries Mémorielles dirigé par les deux doctorants. 

Un atelier où vous êtes le héros ?

Les curieux avaient accès à plusieurs consoles de jeu (PlayStation 3, PlayStation 4, Switch, et quelques consoles portables) et un catalogue de jeux judicieusement choisi par Medhi Debbabi-Zourgani :

Cet atelier était aussi un moment propice aux discussions avec les intervenants. Ces derniers, se baladant dans la salle, étaient très disponibles pour répondre aux questions que pouvaient se poser les participants.

Lorsque le jeu questionne notre éthique  

Cet atelier souhaitait montrer à quel point les jeux vidéo mettaient en scène la notion de Négociation éthique. Autrement dit, comment le joueur va remettre en cause son système moral.

Antoine Rocipron débute son analyse par l’explication du dilemme du tramway :

Vous conduisez un tramway, sur votre route se trouve trois personnes assurés de mourir. Vous pouvez décider de prendre l’autre voie sur laquelle se trouve une seule personne. Dans tous les cas, vous provoquerez la mort d’au moins une personne, que faites vous ?

Difficile, voire impossible de répondre à cette question ! Les jeux vidéo permettent de poser des dilemmes de ce genre sans que cela n’ait d’incidence sur notre réalité. Sauf dans la tête du joueur qui se posera des questions quant aux choix qui lui sont offerts.

Quelques exemples

J’ai pu assister à quelques démonstrations et discussions autour de cette question. Voici les exemples développés par les intervenants :

– Dans This War of Mine, le joueur incarne un groupe de civils survivants dans une ville en ruine. À tout moment, le joueur doit faire des choix qui impliquent ou mettent en scène le remords. Le joueur est constamment limite ou « borderline ».. 

– Dans Heavy Rain, le joueur a la possibilité de tuer tout le monde. Mais s’il tue trop des personnes, il perd la richesse narrative du jeu. Ce sont les personnes qu’il a tuées qui auraient pu lui donner des réponses. Si le gameplay permet au joueur de tuer tout le monde, il l’invite surtout à retenir ses coups.

– L’après midi s’est terminé avec une démonstration sur le jeu Spec ops the Line. C’est un jeu de tir à la première personne dans lequel le joueur incarne une escouade de G.I. américains dans une fiction dystopique en plein cœur de Dubaï. Le jeu est fortement inspiré du film Apocalypse Now. Mais s’il reprend des canons hollywoodiens de la représentation de la guerre c’est aussi pour mieux s’en moquer, et faire réfléchir le joueur.

Les intervenants ont joué au chapitre 9 du jeu. Durant cette mission, le joueur commande un drone et doit libérer la route. Lors des différents tirs de drone, on peut voir la tête de notre personnage dans l’écran de contrôle du drone. Cet effet graphique permet au joueur de s’identifier : ce n’est pas le drone qui tue mais bien notre personnage. Le joueur ne peut pas dire que ce n’est pas lui. On pourra toujours rétorquer que le joueur doit tuer les ennemis pour avancer dans le jeu et progresser dans l’histoire.

Il faut également noter que pendant les chargements des messages critiquent la posture de joueur : « Est-ce bien nécessaire de tuer tous ces gens ? » Etc.

La moralité n’est pas quantifiable

Il faut regarder au delà des actions possibles pour lire entre les lignes. Pour décrypter les messages que les développeurs ont voulu faire passer. Par leur récit ou par leurgameplay (ses règles du jeu), les jeux vidéo peuvent mettre les joueurs face à des dilemmes moraux. Ces derniers les invitent à questionner leurs propres actions

Les jeux développés par Telltale sont assez représentatifs de cette réalité. Ce studio propose des jeux d’aventure épisodiques dans lesquels le joueur doit faire des choix. Ces derniers guident le déroulement de son aventure. Ainsi, il est possible de savoir quels choix les joueurs ont privilégié.

Ce n’est pas parce qu’un joueur a fait un choix, qu’il est en adéquation avec ce choix. Aurait-il fait le même choix dans la réalité ? Car oui, c’est bien de cela dont il est question ici. Si les jeux vidéo proposent des choix « amoraux », on ne peut pas en déduire que les joueurs sont « amoraux ». Il faut s’interroger sur la pratique des joueurs et sur la réception du jeu chez les joueurs. Tous ne veulent pas forcément être des salauds. Il est difficile de quantifier la moralité.

Expliquer pour comprendre

Les trois intervenants ont présenté un nouveau système de notation des jeux vidéo. Le système PEGI ne leur paraît pas assez cohérent et utile.

Pour rappel, PEGI est un système d’auto évaluation des jeux vidéo qui accorde selon différents critères les macarons PEGI3, 7, 12, 16, 18. Contrairement à ce qu’une majorité pense, ces macarons n’interdisent pas mais déconseillent des jeux à certaines catégories d’âge. Ce système a été mis en place en 2003 pour aider les parents lors de leurs achats.

Ce système ne permet pas vraiment l’utilisation des jeux. Il n’aide pas les parents à s’intéresser à ce médium fortement pratiqué par leurs enfants.

Ils proposent un système de feu tricolore :

  • rouge : présence d’un adulte obligatoire
  • orange : présence d’un adulte conseillé mais autonomie possible
  • vert : possibilité d’autonomie complète

Ce système permet à mon sens d’impliquer beaucoup plus les adultes (parents et professeurs) dans l’activité ludique des jeunes. 

Conclusion

Les jeux vidéo permettent de faire vivre des situations complexes aux joueurs. Des situations qui impliquent une négociation éthique de la part du joueur. 

Tout est montrable à partir du moment où cela est expliqué. Conclusion qui guide également la démarche des Clionautes concernant les jeux vidéo. Le jeu vidéo est écriture, est récit et il doit être analysé comme tel. 

Je vous invite à lire le numéro de la revue Conserveries mémorielles, dirigé, par Alain Zind et Antoine Rocipron. Numéro que nous aurons à cœur de vous présenter dans la section « Histoire et Jeux vidéo » des Clionautes.