Akira Toriyama est mort le 1ᵉʳ mars 2024. Père de Son Goku, mais aussi, entre autres héros mythiques des mangas, d’Aralé, le Maître s’en est allé bien trop tôt. Le décès d’Akira Toriyama marque la fin d’une époque, mais pas celle d’un vaste mouvement culturel.

Si Goldorak a véritablement ouvert la voie de la japanimation en France en 1978, c’est avec Dragon Ball, 10 ans plus tard, que le tsunami culturel de l’archipel emporta avec lui toute une génération d’enfants et de jeunes adolescents, au grand dam de Ségolène Royal ou encore d’Éric Zemmour.

 

La disparition d’Akira Toriyama est donc l’occasion d’un retour en forme d’hommage pour les Clionautes. Avec Cécile Dunouhaud et William Brou, en 2019, nous avons voulu mettre en avant l’univers des mangas à travers une exploitation pédagogique de supports liés à la Pop Culture. Cette dernière, incluant aussi bien jeux vidéos et mangas, en passant par les Comics et autres supports des imaginaires, a longtemps été décriée. Pourtant, assurément sous le regard désespéré des pourfendeurs de « japoniaiseries » censées lobotomiser toute une génération, force est de constater que nous sommes de nombreux enseignants à exercer dorénavant devant des élèves, des étudiants. Pire, certains d’entre nous exploitent ces œuvres avec leurs élèvesIl y a même des livres sur le sujet ! Voir l’excellente étude de William Audureau, Akira Toriyama et Dragon Ball, Une histoire croisée, Châtillon, Pix’n Love, 2019.

 

 

Akira Toriyama : une vie vers le succès

 

C’est à l’âge de 19 ans que le maitre se lance dans la grande aventure, palpitante mais aussi usante, de l’illustration. Alors que le miracle économique du Japon permet à la puissance nippone de se redresser dans ces années 1970, Akira Toriyama échoue, vit chez ses parents, alimentant chez ces derniers une forme de honte.

À plusieurs reprises Akira Toriyama s’inscrit dans des concours, exploitant ses périodes de chômage pour creuser son style, développer ses idées parfois considérées comme farfelues. Le succès tarde à venir cependant ; son premier manga, L’Île mystérieuse, paru en 1978, chez le Weekly Shonen Jump, parodie délirante de Tarzan, est ainsi un échec auprès des lecteursWeekly Shonen Jump est un magazine de prépublication de mangas hebdomadaire de type shōnen créé par l’éditeur Shūeisha en 1968.

Wonder Island (ワンダー・アイランド, Wandā Airando, 1978

 

 

S’entêtant mais aussi à l’écoute, Akira Toriyama reprend l’idée d’introduire dans ses histoire un personnage féminin qui, après plusieurs évolutions, deviendra Aralé, un robot ultra puissant sous les traits d’une petite fille adorable. Dr Slump vient de naitre et le Maître de s’envoler vers le succès. Nous sommes en 1980. Décliné en anime dès l’année suivante, cette œuvre inscrit Toriyama sur la voie des meilleurs mangakas de sa génération.

 

 

Les idées qui feront le succès de Dragon Ball sont là depuis longtemps ; de l’humour, des gags décapants, un héros pervers, Dr Slump, un dessin fluide, permettant toute les exagérations et caricatures. Dès 1981 prend aussi petit forme l’idée d’une autre œuvre, mettant en scène du kung-fu, un jeune élève et son maître, vieux et pervers, évoluant dans un univers fantastique. C’est ainsi que nait finalement Son Goku, en 1984. L’histoire d’un garçon étrange, avec une queue de singe, qui découvre le monde des Hommes à travers des aventures trépidantes, accompagné d’une charmante jeune fille, Bulma, en quête de dragon ball, de boules de cristal dont on ne sait pas vraiment à quoi elles pourront bien servir au-delà de réaliser un vœu qui, lui aussi, reste vague.

Le coup de génie de la série sera d’inclure des tournois, le fameux Tenkaichi Budokai. Entrainements épiques, combats incroyables, humour toujours présent, seront les clés d’un succès complet.

 

 

Jump tient sa poule aux œufs d’or : plus de 6 millions d’exemplaires sont écoulés chaque semaine. Dès 1986 le manga est adapté en anime, faisant gonfler l’aura de Son Goku. Ce dernier grandi, devient plus mature et Dragon Ball Z écrase tout sur son passage.

Mars 1988 : arrivée de Dragon Ball. Avril 1988 : Les chevaliers du Zodiaque débarquent. Septembre : Juliette je t’aime. « Le club Dorothée » vient de remporter la mise en exploitant des franchises qui vont occuper nombre d’heures de jeunes français aujourd’hui devenus adultes. Un maitre obsédé sexuel, Tortue Géniale, Oolong un cochon métamorphe qui en guise de vœu ultime face au Dragon Shenron demande une culotte de fille …

 

La violence croissante avec la série Dragon Ball Z qui débarque le 24 décembre 1990 sur les écrans, sont autant de repoussoir pour une élite politique ou intellectuelle totalement déboussolée par ces codes qui s’imposent auprès de la jeunesse. Cette dernière en redemande, les adultes appellent au boycott et nous sommes proches parfois de demandes d’exorcisme lors d’interviews de ces personnes qui ne comprennent rien au phénomène et s’enferment dans des certitudes affligeantes.

 

L’œuvre d’Akira Toriyama  est devenue mondiale et cet univers s’est imposé dans de nombreux pays occidentaux et latino-américains. « Le ras-le-bol des bébés zappeurs » en France, la censure encore actuelle en Espagne n’y ont rien faitDragon Ball censuré dans la Région de Valence : https://www.marianne.net/culture/cultures-pop/espagne-dragon-ball-fait-les-frais-de-la-cancel-culture le phénomène est devenu planétaire et l’univers du maitre alimente encore l’imaginaire de centaines de millions de personnes (le milliard est assurément dépassé).

Exemple de censures à travers le monde épisode 1 ….

 

…. exemple de censures à travers le monde, épisode 2

 

Œuvre de son temps, Dragon Ball et ses suites se sont déclinées en figurines, jeux vidéos et multiples formes de merchandising à travers le Japon dans un premier temps, mais globalisation oblige, bientôt le monde.

 

Je recommande chaudement la série de trois épisodes de l’excellent Bazard du grenier 

Z, la fin de Dragon Ball, puis la renaissance

 

L’appât du gain reste central et, après l’arrêt du créateur et un ultime épisode (le 291è), le 31 janvier 1996, l’univers poursuit son chemin sans son créateur. Épuisé par 11 années de travail acharné, Akira Toriyama a pu suivre les nouvelles déclinaisons de son œuvre. Dragon Ball GT, puis Dragon Ball Kai (2009) ont occupé les écrans, malgré des critiques parfois virulentes des fans de la première heure. Le maitre a poursuivi son travail de son côté. One-shots pour la Shūeisha Maison d’édition japonaise fondée en 1925 qui publie essentiellement des magazines consacrés aux mangas, conseillé pour l’adaptation américaine de Dragon Ball sont des activités annexes mais nécessaires à l’homme. Petit à petit, au début des années 2000, il finit par renouer avec la Shūeisha et, en 2013, Dragon Ball Z : Battle of the God marque le retour d’Akira Toriyama à la création. Le succès est éclatant, le film sort en Imax au Japon et réalise de très bons scores sur tout le continent américain.

 

 

L’appel aura été trop fort, Toriyama se relance dans l’aventure. Dragon Ball Super, nouveaux jeux vidéos et projets de film, adaptation en anime de Sand Land, one shot un peu oublié mettant en scène le shérif Lao, Beelzebub, prince des Démons, Thief, son chaperon, illustre l’étendue de la richesse de l’imaginaire de celui qui est trop souvent résumé au père de Son Goku.

 

Pour cet automne est prévu Dragon Ball Daima : une nouvelle série originale pour laquelle le mangaka s’est personnellement et totalement investi. À ce stade difficile de savoir ce qui va advenir de la série mais nul doute qu’elle devrait être l’occasion d’un nouvel hommage, pour les 40 ans de l’œuvre, et surtout pour un maître absolu des mangas, véritable ambassadeur de toute une culture.

 

Un héritage à explorer

 

Dans le cadre des enseignements il peut sembler étrange (pour certains assurément le mot étrange devrait être remplacé par celui de scandaleux, à tout le moins) d’exploiter ces mangas et leurs multiples déclinaisons. Ils sont pourtant le reflet de toute une époque. Ils incarnent la globalisation, la société de consommation, les diverses influences culturelles exercées par le Japon et son Cool Japan sur le monde Voir par exemple les données de la série Dragon Ball Z ici : https://anidb.net/anime/1530, pas uniquement occidental. Avec plus de 300 millions de mangas vendus à travers le monde, l’influence culturelle de l’œuvre a aussi touché l’AfriqueVoir le cas limpide en terme d’influence du Dragon Ball Z de Koumassi au secours des populations gabonaises : https://www.newstoriesafrica.com/dragon-ball-z-de-koumassi-au-secours-des-populations-gabonaises-p17918 , le Moyen-Orient, plus tardivement la ChineVoir par exemple les données de diffusion de Weekly Shonen Jump ici : https://www.comipress.com/article/2007/05/06/1923 .

 

Tifo des supporter du Wydad de Casablanca (Maroc) lors d’un match de Ligue des Champions d’Afrique contre le Simba SC (Tanzanie), le 28 avril 2023

 

Avec des élèves il est donc aisé de prendre appui sur ce phénomène pour définir la globalisation, en cerner les mécanismes. La question du patrimoine, par exemple étudié en terminale en HGGSP, peut largement alimenter des études partant de Dragon Ball. En 2013 Akira Toriyama avait obtenu, enfin, une reconnaissance de son travail au festival d’Angoulême.

 

 

Ces héros, ces aventures extraordinaires et leurs multiples déclinaisons racontent donc quelque chose de notre époque. En ce sens ils sont totalement légitimes pour être exploités avec sérieuxVoir par exemple Thomas Michaud, « Suvilay Bounthavy (2021). Dragon Ball, une histoire française »Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 25 | 2022, mis en ligne le 01 septembre 2022, consulté le 10 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/rfsic/13658 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rfsic.13658, par exemple au Grand Oral, mais aussi directement en cours, et ce ne sont ni le président Emmanuel Macron ou le premier ministre Gabriel Attal qui diront le contraire.

 

 

Au revoir et merci, Akira Toriyama

 

Le 20 février 2023 le père, entre autre, d’Albator, Leiji Matsumoto, nous quittait à l’âge de 85 ans. Il était une légende vivante des mangas et de l’animation nippone.

 

Deux ans plus tôt, Kentaro Miura, l’auteur du fantastique Berserk, autre monstre sacré pour toute une culture Geek, rejoignait l’outremonde le 6 mai 2021, laissant une œuvre inachevée, mais légendaire.

  

Akira Toriyama a eu une influence encore plus grande que ces deux artistes sur l’imaginaire mondial. Dit ainsi, le constat peut paraître exagéré. Avec un peu de recul et de temps, la sentence est cependant sans appel. En 2002, interrogé sur une éventuelle rivalité avec Toriyama par un journaliste d’un magazine brésilien spécialisé dans la culture japonaise, Masami Kurumada, l’auteur de Saint Seiya, lui rendait hommage sans équivoqueVoir l’intégralité de cette interview ici : http://blood.cyna.fr/interviewkurumada.htm :

« Imaginez un peu…. C’est un génie et j’ai besoin de faire des efforts. S’il est un œuf d’or, je suis un œuf de fer. J’ai toujours besoin de polir la surface pour éviter la rouille et perdre l’éclat. Mais je pense qu’avec efforts et application, je peux le faire briller autant que lui. »

 

Alors encore longtemps nos imaginaires et réflexions se nourriront de ces aventures qui ont façonné une partie de notre monde.

Merci Sensei.