Les Printemps de l’archéologie, Saint Dizier, 2019

De l’aurochs au bœuf domestique : comment la génétique peut éclairer l’histoire de la révolution agricole

Thierry Grange- Eva-Maria Geigl

Les fluctuations climatiques au Quaternaire (glaciations du Pléistocène-Paléolithique, réchauffement de l’Holocène-Néolithique) ont eu un impact sur tous les animaux sauvages.

Le Paléolithique est l’époque des chasseurs-cueilleurs, qui chassaient de gros animaux. Ils représentent dans les grottes les gros animaux qu’ils voyaient, des bisons ou des aurochs en particulier. Ce sont deux espèces très proches, mais avec des niches écologiques différentes. Au Néolithique, les chasseurs-cueilleurs du proche-Orient se sont sédentarisés, ils sont devenus des agriculteurs et ont domestiqué les animaux. Le blé, l’orge et le millet ont été domestiqués à peu près en même temps que les cochons, les moutons, les vaches (issues des aurochs) et les chèvres. Les zones de culture de céréales se chevauchent avec les zones de domestication d’animaux (chronologiquement : moutons, chèvres,cochons, vaches)

On peut retrouver les signatures génétiques.

La domestication est un processus qui a lieu quand les animaux sont pris et isolés d’une population sauvage, puis croisés en captivité. L’isolement n’est jamais absolu et se réalise au fur et à mesure du processus de domestication. Le processus graduel est différent pour chaque espèce animal. L’isolation reproductive et la sélection donnent des traces génétiques.

L’intervention des êtres humains sur les animaux sauvages (du point de vue biologique) augmente la performance génétique des populations cibles : s’il ont perdu leur liberté, ils ont gagné du point de vue reproductif. Ainsi, les vaches sont actuellement des millions, alors qu’il ne reste plus beaucoup de bisons sur la planète. Le chat sauvage quant à lui a un petit territoire alors que le chat domestique est présent partout. Cela a pris presque 10 000 ans pour domestiquer le chat… Cet isolement permet de croître en nombre et d’étendre leur portée et leur habitat au-delà de ceux de leurs ancêtres sauvages.

L’analyse morphologique des os archéologiques entre les populations sauvages et les populations domestiques montre des différences de taille, un dimorphisme sexuel, etc. Ainsi, les crânes des bœufs domestiques et ceux des aurochs ont des tailles différentes lorsque le processus de domestication est abouti ; chez les bovins, les mâles sont beaucoup plus gros que les femelles, ils sont proches en taille des femelles sauvages. Si on utilise des bœufs pour tirer des charrues, on voit le stress au niveau des os. Pour les êtres humains, il est intéressant de garder les femelles plus longtemps pour le lait et d’abattre les mâles plus jeunes pour la consommation de viande : l’abattage différentiel est aussi la signature de la domestication, et garder les femelles pour la production de lait laisse des traces.

Quand on analyse les archives fossiles, les témoins directs de l’évolution, il peut être difficile d’identifier les espèces et de distinguer les formes sauvages et domestiquées. Des erreurs sont possibles, mais cela permet d’avoir accès à l’information génétique de ces formes passées. Le centre de domestication des bovins est au Croissant fertile : au Sud de l’Anatolie, au Nord de la Surie et en Irak comme à Göbekli Tepe vers 11 000 : ce site est considéré comme le premier temple construit par l’homme (6000 ans plus vieux que Stonehenge). On y voit des aurochs gravés. C’est un symbole fort.

Pourquoi l’homme a-t-il commencé à domestiquer les animaux ?

Au début de la domestication, les humains n’avaient pas idée de ce que la domestication allait avoir comme conséquences. La captivité est bien sûr une source de viande, mais aussi de prestige. Ainsi, il y a une prise de risque importante dans la chasse de l’auroch qui était difficile : cela devait donner du prestige, un statut important à celui qui en était capable. A Catal Höyük, 9000 BP, les traces vont dans ce sens (crânes d’aurochs). Une des motivations initiales de la domestication de l’auroch était donc peut-être liée à la recherche de prestige …

Il y a eu une expansion néolithique en Europe à partir de 8000 ans, mais elle est difficile à suivre sans génétique. La migration des animaux domestiques se fait en Europe avec les agriculteurs. Il n’y avait pas de chèvre ni de mouron en Europe, mais il y avait des aurochs. La relation humain-bovin a continué à évoluer, elle s’est transformée.

Le prestige de la chasse se retrouve aussi sur une fresque dans un temple à Cnossos (3500 BP). La relation entre la virilité et le taureau continue encore aujourd’hui. Le bovin sert à la production laitière, à la traction animale dans les champs, etc.

Des transformations ultérieures : au XVIIIe siècle commence une sélection génétique intensive dirigée en Angleterre avec Robert Bakewell (1725-1795) pour avoir des animaux adaptés à ce qu’on veut en faire : le mouton pour la laine, la vache pour sa viande … Il met en place un processus, qui se poursuit dans les années 1950 avec la sélection intensive des taureaux reproducteurs et même la sélection de pies identiques pour avoir un même format de trayeuses.

Le séquençage du génome d’un millier de taureaux est une source d’informations génétiques intéressantes. Cependant, c’est une source limitée, avec la focalisation sur les races d’élevage intensif actuel, avec des changements récents. Le premier génome humain séquencé a été fini en 15 ans et a coûté 3 milliards de dollars en 2003. Le prix coûte aujourd’hui 1500 dollars et prend une semaine.

Le génome humain c’est 3 milliards de paires de base, environ 20 000 gènes, etc. Dans le génome, 1,5 % sert à faire des protéines. Le reste sert à réguler l’expression des gènes. Comment interpréter le reste de l’information dont la fonction est probablement liée principalement à la régulation de l’expression des gènes ?

Lors de la réplication du génome, il peut y avoir des mutations, avec des lignées où la mutation se diffuse.

Au cours du temps les séquences évoluent. Quand les populations se séparent, elles accumulent des différences aléatoires. Ces mutations peuvent ne pas avoir d’effets, ou avoir de gros effets …Plus de temps s’est passé depuis que les descendants se sont séparés, plus les séquences d’ADN diffèrent progressivement, dans un sens comme dans un autre. Parfois, on peut les associer à un phénotype particulier. Les séquences de génomes peuvent permettre de remonter loin dans le temps. Pour retracer l’évolution au cours de la domestication, on étudie des échantillons anciens, des populations sauvages et domestiquées.

Les bisons sont par exemple très proches des aurochs. Certaines lignées s’imposent ou disparaissent. On peut donc étudier des génomes de bisons de 150 000 ans : les derniers bisons sauvages ont disparu pendant la Première Guerre mondiale, en Pologne. Ils ont été beaucoup chassés (il en reste dans les Zoo). Le changements climatiques ont eu un impact fort sur la distribution des espèces,

Phylogénie bayésienne des mitogénomes entiers.

Pendant la période glaciaire, on assiste à l’isolation et à la fragmentation des populations par des barrières géographiques et climatiques : il y a des poches, des zones où les populations ont évolué différemment les une des autres, Puis quand le climat s’adoucit, les populations différenciées ont pu repartir conquérir des territoires. Pour l’auroch, les premières lignées se sont séparées il y a 114000 ans (période interglaciaire). Tous les aurochs européens et d’Asie du Sud-Ouest sont passés à travers un goulot d’étranglement au cours du Pleistocène, contrairement à la population d’Asie du Sud ancestrale des zébus.

Il y a 31 000 ans durant la période glacière, toute la population européenne vient de cette population, d’un seul refuge, certainement en Espagne. Le dernier auroch a disparu en Pologne vers 1650.

On retrouve des traces d’auroch dans les bœufs actuels. La corne de Siegfried date du XIIe siècle, à une époque où il ne reste déjà plus beaucoup d’aurochs en Europe. L’auroch anatolien retrouvé est éteint. On en retrouve dans des races bovines rustiques (italiennes). Elles viennent du refuge italien. Il y a deux événements d’intégration dans des groupes domestiques, puis on constate leur disparition. La divergence des aurochs en Anatolie donne naissance aux populations domestiques. Le temps de divergence se situe entre 19000 et 16000 BP,

246 échantillons sont analysés pour reconstituer la domestication, les migrations, les sélections

(Génome d’1 auroch anatolien : ancestraux aux races bovines actuelles).

Les populations d’aurochs qui ont donné naissance aux populations domestiques ont subi une réduction majeure de leur population vers 150 000 – 110 000 ans en Europe. En Asie du Sud, il y avait plein d’animaux, une grande diversité génétique. L’Inde était 1 territoire beaucoup plus favorable aux aurochs pendant la période glacière.

On retrouve dans les génomes d’aurochs beaucoup plus d’informations que dans ceux des vaches. Actuellement, il y a une perte de la variété avec les sélections.

 

Question : quelle confiance dans la fréquence des mutations pour dater ?

Echelle de temps long. Corpus d’espèces qui a un type de biologie, de comportement proche.