Les Printemps de l’archéologie, Saint Dizier, 2019

Le squelette de fer des cathédrales

Philippe Dillmann

Maxime L’hériter

Est-il incongru de parler de fer, de métaux pour les cathédrales ? On associe souvent ces monuments au maçon. On réduit habituellement la cathédrale à la pierre alors que l’image est finalement abusive. Certes, les arcs-boutants disparaissent souvent des images (exemple : la Cathédrale Beauvais avec un renfort entre les arcs-boutants). Il y a une sorte de perception honteuse du fer. Des agences de voyage ont gommé les tirants de fer sur des photographies de cathédrales. On les gommait sur les cartes postales également. Cela n’a pas toujours été le cas. Par exemple, sur une toile de Fra Angelico, le fer est assumé dans l’iconographie (vers 1430) ; au palais des papes (conçu au XIVe siècle), 15 000 tonnes de fer ont été utilisées d’après Don Antonio de Beatis dans itinerario, (chapelain et secrétaire du cardinal Louis d’Aragon), soit deux fois la Tour Eiffel. Des centaines de tonnes finalement. La mémoire du matériaux se perd courant XIXe siècle.

Viollet le Duc qui a participé à la restauration des monuments gothiques, utilise des crampons dans bien des monuments. Il a pointé le fer dans des articles sur la serrurerie, mais cela reste en filigrane, un peu caché. C’est lui le précurseur, mais avec une position ambiguë .

Dans les années 1990-2000, on assiste à un renouveau.

Les recherches portent sur la construction (structure, matériaux, chantier) et la production du métal (approvisionnement, quantités, succession des procédés), dans une démarche générale.

On trouve aussi du métal dans le Panthéon ou le Colisée.

Nef romane de la Basilique Saint-Marie-Madeleine de Vézelay (env. 1135-1147). On voit du métal pour les crampons. Pour le chevet de ND de Paris, Viollet-le Duc parle de trois rangées d’agrafes. Le bras du transept sud de la cathédrale de Soissons a des tirants renforts métalliques qui traversent la galerie. A Bourges, la cathédrale a un chaînage dans le triforium qui fait le tour de la partie la plus ancienne.

La Sainte Chapelle de Paris, au XIIIe siècle dispose de grandes surfaces vitrées grâce à des barres « lettières/ chaînantes» de soutien. La chapelle basse a aussi des tirants métalliques. Or ces tirants ont été placés dès la construction et pas lors des restaurations. La rose de la cathédrale de Reims est entièrement dotée d’un gros cerclage qui renforce la structure. A Beauvais, même chose, les tirants entre les arcs-boutants ont été placés dès le début. Même dans les voûtes, on a des réseaux de barres entre les clés de voûte. Dans le donjon du château de Vincennes, au sommet de la terrasse du 5ème étage, une armature métallique est visible.

 

Il y a un réseau complexe d’agrafes métalliques le long de la Tour de Mutte  sur la cathédrale de Metz. Il y a 8 chaînages sur la tour du beffroi de l’hôtel de ville de Bruxelles. Dans la cathédrale d’Amiens, dans le triforium, un chaînage en fer a été installé.

Le minerai : le fer est séparé dans des bas fourneaux alimentés au charbon de bois (1400°C) qui captent l’oxygène du minerai en s’associant à lui pour former du dioxyde de carbone. Le fer fond à 1535°C. Il ne reste plus que le fer. Ce qui coule en dehors du fourneau s’appelle « la scorie ».

Il faut un peu de carbone de fer pour transformer le fer en acier pour les armes ou autres.

A l’intérieur du matériau, quand on le compacte, on voit que quelques éléments liquides ont pu être emprisonnés dans les masses solides : ces inclusions sont des capsules d’information microscopiques.

Dans le fer des cathédrales, on remarque que le métal est hétérogène, avec fer et acier. Cela vient des conditions dans le bas-fourneau. Cela a un effet sur le comportement mécanique du matériau : résistance, allongement, traction. Donc à l’époque, on voit que les matériaux sont nettement moins performants que ceux d’aujourd’hui.

Entre les arcs-boutants de Beauvais, il y a 4 à 5 mètres de longueur ce qui déjà en soi est difficile à faire. Mais il y a eu l’invention des marteaux hydrauliques, le premier date de 1235 à Clairvaux. (reconstitution à l’abbaye de Fontenay). L’invention du haut-fourneau crée la filière fonte qui se diffuse en Europe à la fin du Moyen Age. On peut distinguer si un fer a été fait avec un haut ou un bas fourneau. On voit qu’au XIIIe siècle c’est le bas fourneau, puis vers 1350-1450, le procédé progresse mais ne fait pas disparaître l’ancienne méthode.

Comment dater les fers des cathédrales ?

– comptes (parcellaires)

– archéologie du bâti (chaînage de Bourges en-dessous du triforium)

– datation au carbone 14

On utilise du charbon de bois dans le bas fourneau et une partie de ce carbone se retrouve dans le matériau. Les tirants ne sont pas tous de la même époque.

Coût et quantités mises en œuvre

Cathédrale de Troyes : Le prix du fer représente entre 10 et 25 % du prix du vitrail.

Palais des papes : 10 % du prix total du chantier.

Cela peut donc être assez cher. Le palais des papes et le château de Vincennes montrent une utilisation nettement plus importante du fer.

D’où vient le métal ?

Les petites impuretés du matériau donnent bien des détails, c’est une sorte d’empreinte digitale du minerai que l’on peut relier au site archéologique d’origine.

Pour le chaînage de Bourges, on voit trois phases bien identifiées : 35 % du fer vient de Noirlac,

16 % d’Allogny et 5 % vient du recyclage.

Pour la Tour de Mutte de la cathédrale de Metz, la source est locale : la minette de Lorraine.

Parfois des sources indiquent clairement la provenance.

Questions :

Corrosion du fer médiéval ?

Les tirants ont été déposés. De nouveaux plus résistants ont été mis.

Il faut que l’eau stagne pour rouiller. Avec le vent, il y a une faible corrosion.

Vézelay : des crochets qui ne servent plus ?

Il y a une discussion sur les dates de construction des tirants.