Blockbusters, bandes-dessinées, légendes populaires : du Hollandais volant à Jack Sparrow en passant par Rackham le Rouge, la figure du pirate est omniprésente dans notre imaginaire collectif. Mais que sait-on réellement de son histoire ? Depuis les années 1970, les historiens se sont penchés sur les « gueux de la mer », faisant apparaître toute la complexité d’un phénomène qui fut à la fois politique, social, économique et culturel. Parfois instrumentalisée par les États dans le cas des corsaires, la piraterie a pu apparaître, à certaines époques, comme un geste de contestation de l’ordre établi. Faut-il pour autant croire ceux qui voient dans les « républiques pirates » du XVIIIe siècle des communautés alternatives, égalitaires et démocratiques, qui auraient inspiré la pensée anarchiste et libertaire ? La question divise les spécialistes, signe d’une histoire vivante où les pistes de recherche ne manquent pas, de la place des femmes au rôle de la piraterie dans la construction des empires coloniaux et la genèse du droit de la mer. Alors que le début du XXIe siècle a été marqué par une résurgence du phénomène (Somalie, Golfe de Guinée) et une réinvention de ses formes (piraterie aérienne, cyberpiraterie), une chose est sûre : les historiens n’ont pas fini de s’intéresser aux pirates.

Table ronde organisée par L’Histoire, en lien avec le n°500. Un numéro exceptionnel sur « Corsaires et pirates, le mythe de la liberté sur les mers », avec des contributions de Guillaume Calafat, Renaud Morieux, Kiara Neri, David Chaunu, Frantz Olivié… Au sommaire également, une grande enquête et un sondage exclusif sur les Français et l’histoire.

Intervenants

Valérie HANIN (modération)

David CHAUNU, thèse en cours avec Lucien Bely sur le contexte colonial.

Frantz OLIVIE, historien de l’empire byzantin, désormais éditeurs pour « Anacharsis » qui a notamment publié l’enfer de la flibuste, recueil de textes sur les pirates de la Caraïbe.

Jack LANG, président de l’Institut du Monde Arabe depuis 2013, mais aussi juriste et auteur d’une thèse sur le droit de la mer : plateau continental de la mer du Nord. Chargé par Ban Ki-Moon d’une mission sur la piraterie en 2010.

 

Les pirates : une réalité difficile à saisir (David Chaunu)

Du temps de Pompée on s’inquiétait déjà de la place des pirates dans la Méditerranée. Le mot disparait des sources au Moyen-Age et réapparait au XVI°s. Cette renaissance s’explique par le développement du commerce et ses nouvelles routes. Dans le droit, l’océan Atlantique appartient à l’empire espagnol. Un marin étranger est donc forcément dans l’illégalité.

Mais quelle est la réalité du « pirate » ? Pour David CHAUNU, Elle est assez insaisissable pour l’Historien. Ce n’est pas un groupe social particulier qui se définit comme tel… Tous les marins s’adonnent parfois à ce genre d’activité de prédation. Ce n’est pas une identité non plus : aucun marin ne se présente comme pirate. Ils pensent tous utiliser la violence de manière légitime. Le crime de piraterie n’est pas toujours retenu pas les autorités juridiques locales compatissantes ou intéressées. En France, ce crime n’apparait qu’à partir de 1584. Mais il ne peut pas servir à décrire un groupe social : le « pirate » c’est celui qui a été retenu comme tel par la justice et n’a pas pu produire la preuve du contraire.

Pour en trouver la trace il faut chercher dans les sources de l’amirauté, mais les juridictions ne sont pas toujours très zélée. En Normandie, Bretagne, pays basque, les communautés littorales peuvent s’adonner à la piraterie : ils enfreignent la paix du Roi au XVI°. Jacques de Sores en est un bon exemple : connu à partir des années 1550, il agit à la limite de la légalité au cours des dernières guerres d’Italie au service de François de Cherbourg avec autorisation du Roi. Mais après la paix de Cateau-Cambrésis, il se convertit au protestantisme et continue ses activités de prédation, officiellement pour Elisabeth 1ère. Puis il se met au service de Gaspard de Coligny contre les intérêts espagnols… Il ne s’est donc jamais fait prendre. Pour CHAUNU, on ne doit pas parler de pirate. Il est un marin qui fait parfois de la piraterie. En 1856, le traité de Paris met fin à la course… la guerre devient une affaire d’Etat.

Ici encore ce n’est pas une activité exclusive : la plupart sont aussi des planteurs ou des « engagés ». Les « engagés » sont de jeune gens à partir de 15 ans dont le prix de la traversée a été payé part un habitant de colonie qu’il doit servir pendant pendant 3 ans. Leurs conditions de travail sont effroyables. Dès la fin de leur service ou après leur fuite, ils s’engagent dans la flibuste. Il faut attaquer vite, repartir vite et montrer un très haut niveau de brutalité pour faciliter une 2ème expédition. Leur importance doit être relativisée : on compte environs 2000 flibustiers français face à la totalité de l’empire espagnol. La terreur fait partie de leur mode opératoire. Leur premier objectif sont les navires de nourriture : poisson séché par exemple. Ensuite, ils rançonnent les villes. Quand ils attaquent ils cherchent surtout ce qui est cher est peu lourd.

L’Enfer de la flibuste (Frantz Olivie)

Frantz OLIVIE de son côté, s’essaie à décrire l’enfer de la flibuste, notamment en suivant l’équipage du St Nicolas. La BNF en possède un journal de bord manuscrit. Il peut être croisé avec le témoignage d’un « pirate » : le pilote Charles rédigé par le jésuite Jean de la Mousse. « Flibuste » vient du terme « free boaters »…ce sont des individus qui se livrent à la prédation maritime mais aussi terrestre en pillant les territoires et possessions espagnols.

Ici encore ce n’est pas une activité exclusive : la plupart sont aussi des planteurs ou des « engagés ». Les « engagés » sont de jeune gens à partir de 15 ans dont le prix de la traversée a été payé part un habitant de colonie qu’il doit servir pendant pendant 3 ans. Leurs conditions de travail sont effroyables. Dès la fin de leur service ou après leur fuite, ils s’engagent dans la flibuste. Il faut attaquer vite, repartir vite et montrer un très haut niveau de brutalité pour faciliter une 2ème expédition. Leur importance doit être relativisée : on compte environs 2000 flibustiers français face à la totalité de l’empire espagnol. La terreur fait partie de leur mode opératoire. Leur premier objectif sont les navires de nourriture : poisson séché par exemple. Ensuite, ils rançonnent les villes. Quand ils attaquent ils cherchent surtout ce qui est cher est peu lourd.

L’idée de la société pirate égalitaire est-elle un mythe?

Difficile de répondre car on a peu de renseignements sur ces sociétés… Cela a pu entrainer de nombreux mythes. Il y avait effectivement des prises de décisions faites en assemblée… par exemple dans le cap qu’on décide de suivre : faut-il suivre le galion de Manille ? Il y a aussi un impératif de cohésion de groupe et des solidarités mais uniquement le temps de l’expédition. Le Capitaine est élu… en tout cas il sort du rang mais rien ne dit comment se passe cette « élection ». Rien n’est avéré non plus sur la société égalitaire. D’autant plus que la plupart des « pirates » n’hésitent pas à se mettre au service du Roi s’ils en ont l’occasion… même si la plupart d’entre eux restent des »gueux » qui doivent repartir en razzia pour vivre.

Quel lien avec la piraterie aujourd’hui ?

Jack Lang, auteur d’un rapport pour l’ONU décrit les pirates originaires du nord de la Somalie. Ce sont des populations de pécheurs ou d’éleveurs progressivement ruinés, qui se tournent vers la piraterie. On a compté plus de 1500 attaques en un an, sponsorisée par des acteurs extérieurs. A l’inverse des marins de la période moderne qui prospèrent avec l’affermissement des Etats qui créent la catégorie juridique de piraterie, ces pirates prospèrent sur l’absence d’Etat.

En 2010, Lang propose un certain nombre de recommandations : protection et riposte des navires marchands par les compagnies maritimes, modification du régime des eaux territoriales, implication de la Somalie dans cette lutte avec des aides pour le retour à la pêche. De plus, les commanditaires sont mieux recherchés. C’est une franche réussite selon Jack Lang… L’auteur de ces lignes restant dubitatif, il doit reconnaitre que la dernière attaque remonte à 2018 et que l’Organisation Maritime Internationale envisage de supprimer la Zone à Haut Risque qu’elle avait dessiné au large de la Somalie.

Voir le compte-rendu de la communication de Michel VERGE-FRANCESCHI sur sa récente biographie de Surcouf.