L’Amérique de Trump remet-elle en cause la politique d’Obama ? La réactivation des amitiés traditionnelles dans la région et focalisation sur l’Iran, la Syrie, mais aussi la question pétrolière en arrière-fond, constituent des points cruciaux pour comprendre l’attitude américaine dans la crise régionale.
De 45 aux années 80, lune de miel et mariage de raison :

  • L’acte fondateur : Roosevelt et Ben Saoud avec le « pacte du Quincy » d’avril 45, avec un accord de 60 ans privilégiant la production et l’exportation de pétrole aux Etats-Unis, déjà intéressés par le pétrole déjà exploité hors Arabie Saoudite (Irak, Mossoul) et dont l’exploitation est avérée dès les années 30. On notera que les Etats-Unis assument enfin (après leur engagement déterminant en Europe de 1917-18) leur statut de puissance mondiale. L’alliance est opportuniste : l’Arabie saoudite s’engageant à devenir le fournisseur privilégié des EU au moins jusqu’en 1980 avec la nationalisation de l’Aramco Lire l’éclairant point de vue de Hélène Thiolet dans le 1 Hebdo : « Pour sortir de l’abstraction des cours de l’or noir et donner chair au lien entre pétrole et politique, regardons l’histoire de l’Aramco ou Arabian American Oil Company, anciennement nommée la California Arabian Standard Oil Company. Il s’agit de la plus grande compagnie pétrolière au monde. Elle exploite les plus grandes réserves connues et fonde à elle seule non seulement la puissance économique et financière de l’Arabie saoudite, mais aussi la stabilité et la sécurité du régime monarchique saoudien, à la fois à l’intérieur du pays et dans la région. Or, malgré la nationalisation de l’Aramco entre 1973 et 1980, cette puissance et cette sécurité reposent sur le lien intime noué entre la dynastie des Al-Saoud et les États-Unis à travers l’exploitation pétrolière. Ce lien est en grande partie incarné par l’Aramco » https://le1hebdo.fr/journal/numero/52/l-aramco-une-histoire-coloniale-du-ptrole-saoudien-882.html.
  • Acte fondateur qui se conjugue avec le containment soviétique par l’aide à la Turquie, l’armement de l’Iran du Shah et l’accroissement des bases américaines dans la région : la liquidation de Mossadegh permet aux Américains de partager le pétrole iranien avec les Britanniques qui les avaient appelé à la rescousse.
    L’URSS est de fait mise à genoux dès 85 par l’augmentation de la production saoudienne qui ruine son exportation pétrolière et sa dernière source de devises…

Depuis 90, de la méfiance au désengagement ?

  • Devenus 1ers producteurs et 2emes consommateurs de pétrole, les EU le peuvent-ils ? Les approvisionnements baissés à 10% avec la montée en puissance de l’exploitation du gaz de schiste US et une guerre des prix à la baisse montrent-ils un changement de donne majeur à relier à l’accord nucléaire avec l’Iran ? Ce qui n’empêche pas la forte présence de compagnies US comme Halliburton https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Halliburton, multinationale fournisseure de services pétroliers dirigée par Dick Cheney en personne. Difficile de déménager les bases militaires, de remettre en cause les contrats anciens du complexe militaro-industriel, le financement des plus importants think tanks Pour comprendre la genèse du terme, l’article de Thomas Medvetz dans Cairn.info : https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2009-1-page-82.htm américains par les pays du Golfe (Brookings Institution et Qatar), et un « pivot » majeur de la politique extérieure américaine vers l’Asie-Pacifique encore prématuré.
  • L’échec irakien depuis 2003 qui est complexe à gérer depuis (les morts marines, les milliards dépensés) et celui de la tentative de smart power avec l’article de 2004 qui consistait pour l’administration Obama à prendre acte de l’échec de Bush : la stratégie du No Troops on the Ground & Leading from Behind conduit au retrait brutal des EU de l’Irak en 2011 avec pour conséquence la voie libre pour la conquête des anciens territoires arabes sous le mandat anglo-français Sykes-Picot d’une puissante force sunnite Armée officiellement sous le drapeau noir de Daech mais également encadrée et formée militairement par les anciens cadres de l’armée de Saddam Hussein, démobilisés de force au lendemain de la prise de Bagdad lors de la 2e guerre du Golfe et farouchement anti-chiites. prenant Mossoul sans coup férir après s’être emparée de l’Est syrien.
  • La « doctrine Obama » selon Jeffrey Goldberg Source : « La Doctrine Obama », par Jeffrey Goldberg, The Atlantic (États-Unis) , Réseau Voltaire, 10 mars 2016, www.voltairenet.org/article191177.html
    Pour une analyse approfondie de la doctrine Obama voir le livre de Lauric Henneton « La fin du rêve américain » aux éditions Odile Jacob.
    : On se demandera si Barack (= le béni en arabe) comprend quelque chose à ce monde-là : pas de frappes malgré le franchissement de la ligne rouge par Bachar el-Assad el Assad avec l’utilisation du gaz sarin contre les régions rebelles, sans compter la conclusion de l’accord nucléaire avec l’Iran. Quand Goldberg lui demande ses sentiments personnels, il répond par des phrases qui disent sa lassitude « it’s complicated » ou « si tout le monde était comme les Scandinaves… ». On peut penser par ailleurs que le désengagement prôné par Obama, c’est le réalisme politique de celui qui a compris les impasses militaires et politiques des interventions désastreuses de l’ère Bush-fils avec comme priorité la lutte contre le terrorisme avec service minimum au sol et sous-traitance par les Russes, et avec soutien aux Kurdes du PYD, tant que ceux-ci ne mettent pas en cause les intérêts vitaux de l’alliance militaire américano-turque…

Avec Trump, la donne change-t-elle ?

  • On écartera les analyses pathologiques pour retenir ce qui intéresse la majorité de l’opinion de Donald Trump :
    1. « on a assez guerroyé à l’extérieur et il faut se recentrer sur l’intérieur », qui rejoint les opinions de DT lui même : « on s’est fait avoir par les autres » : le TTP, la Chine, l’Allemagne, le Japon, ces 2 derniers jouissant de la protection US et en profitant pour développer leurs potentiels économiques ;
    2. Redevenir la 1ère puissance mondiale avec toute l’ambiguïté de la formule « Make America Great Again » grande à l’intérieur avec la fin du libéralisme prôné depuis 45 ou de nouveau gendarme respecté par le monde ?
    3. Gouverner comme « Mister Deal » du livre de DT « The Art of Deal » qui met en avant le bluff, l’intimidation et l’envie de traiter uniquement avec des politiciens qui se comportent comme des PDG.
    4. Ajoutons à cela le tropisme russe depuis 90 et bien antérieur à la campagne et last but not least, le désir de détricoter ce qu’avait fait Obama…
  • Après les années Obama de refus de s’engager dans un 3e conflit international qui ne mette pas en danger les intérêts vitaux américains, Trump se sentirait-il plus concerné par le conflit syrien ? La frappe sur la base d’où auraient décollé les avions d’Assad porteurs de gaz sarin ressemble plus à un coup isolé qu’à une nouvelle stratégie offensive. La doctrine Obama reste la norme. Quant au 30 000 hommes prévus par Rex Tillerson pour sécuriser le nord de la Syrie par les EU, on comprend maintenant pourquoi elle risque d’échouer face à la volonté turque de ne tolérer à aucun prix la présence des Kurdes du PYD à sa frontière sud. Mike Pompeo, son successeur au département d’Etat est certes un « faucon » (ancien directeur de la CIA opposant de l’Iran) mais qui a aussi rencontré le patron des renseignements syriens Ali Mamlouk, bête noire des Occidentaux…

  • Le soutien à Israël et la reconnaissance de Jérusalem comme capitale avec implantation de l’ambassade américaine l’an prochain risque de marginaliser encore plus l’implication US dans le conflit actuel, mais jusqu’où ? On voit mal de toute façon comment la situation militaire actuelle d’apparent désengagement mettrait fin à la volonté de sécuriser l’écoulement de 40% des réserves mondiales par le détroit d’Ormuz.
    Là comme ailleurs, la stratégie mondiale de Trump semble se limiter à conforter sa base électorale et ses alliés dans la région…