Conférence –débat autour de l’ouvrage de Lucien Bianco « La Récidive » – Inalco 18 décembre 2014

L’ Inalco organisait une conférence débat autour de l’ouvrage du sinologue Lucien Bianco « La récidive » ( ed Gallimard) consacré à une comparaison entre le totalitarisme soviétique et le totalitarisme chinois. La conférence réunissait Lucien Bianco, la sinologue Marie-Claire Bergère et l’historien du monde soviétique Vladimir Bérélowitch. Lucien Bianco présente d’abord les principaux aspects de son ouvrage. A ses yeux, les points communs, le projet idéologique de construire une société communiste, la mise en oeuvre du marxisme –léninisme l’emportent sur les différences. Les systèmes politiques et les slogans sont les mêmes, et Lucien Bianco reprend les analyses d’ Hannah Arendt sur les totalitarismes. En 1954, les dirigeants chinois estimaient que l’ Urss devait servir de modèle à la Chine. « l’ Urss d’aujourd’hui c’est notre lendemain ». Les points communs sont nombreux. Les deux Etats étaient des pays attardés, mais non immobiles et connaissaient un début de modernisation. La densité de population était différente, mais ces différences ont peu résisté au marxisme-léninisme.

En Urss comme en Chine, les paysans ont été massivement victimes des régimes. En Russie les paysans étaient méprisés par Lénine, par Gorki, alors qu’en Chine les dirigeants communistes, à commencer par Mao lui-même, étaient issus de la paysannerie. En Russie, les paysans s’’étaient emparés des terres en 1917, en Chine les terres avaient été redistribuées par les communistes. Mais dans les deux cas, la collectivisation rapide et forcée , et surtout l’ extorsion des récoltes pour nourrir les villes ont engendré les deux plus grandes famines du siècle. Une fois la famine installée, on empêcha les paysans de fuir. Staline se montra le plus cruel en organisant délibérément la famine par haine du nationalisme ukrainien. Mao était plus conscient de la situation, mais une fois critiqué par des communistes plus lucides, il s’obstina dans la politique du Grand bond en avant.

Les deux régimes s’appuient sur une bureaucratie qui accapare pouvoirs et privilèges. Staline souhaitait très consciemment s’appuyer sur une bureaucratie qui lui était fidèle en lui conférant de nombreux privilèges. Après la mort de Staline, la bureaucratie qui n’était plus menacée, prospéra sous Brejnev. Mao semblait plus préoccupé de la formation d’une « nouvelle classe » ( comme le disait le sociologue yougoslave Djilas), mais la révolution culturelle fut une catastrophe. L’arrivisme, le conformisme, la soumission semblent avoir été plus marqués en Chine. Il n’y eut pas en Chine d’écrivains dénonçant le totalitarisme comme Soljénitsyne , Vassili Grossman et Boris Pasternak en Urss. Lucien Bianco souligne malgré tout l’existence d’ouvrages ou de films, œuvres de jeunes intellectuels ayant vécu la révolution culturelle.
Dans les deux régimes, la répression frappa des millions de personnes sous forme d’exécutions, de déportations dans le goulag et le laogai, sans oublier l’internement administratif , le laodiao. Les conditions en Sibérie étaient très dures, mais en Chine les mécanismes de l’interrogatoire, de l’aveu , de la dénonciation, de l’autocritique à laquelle personne ne croyait, étaient redoutables.
La personnalité des dictateurs est également importante. Mao était sans doute plus « attirant « que Staline , qui était disgracieux. Il ne faut pas sous-estimer l’intelligence des deux dictateurs qui étaient des intellectuels. » Il n’y a que deux Himalaya au bureau politique, toi et moi, disait Staline à Boukharine « et Staline aimait discuter avec Jdanov qui était musicien. Mao était ainsi le disciple de Staline. Pour Lucien Bianco, Mao ne connaissait du marxisme à Yennan qu’une version stalinisée du marxisme, un tissu d’erreurs enseigné aux cadres. Staline était le plus cruel , le plus assidu à la tâche. Il gouvernait comme un chef de gang. Leur projet de plier les sociétés à leur projet intellectuel se révéla criminel lors de la grande terreur et de la révolution culturelle.

Lucien Bianco montre le caractère désastreux de l’alliance entre des dirigeants qui prétendent détenir une vérité ultime au nom d’une foi séculière et le monopole du pouvoir conféré à un parti. Finalement, on ne parvint pas à se débarrasser des dictateurs de leur vivant. En fin de compte, Lucien Bianco plaide pour la réforme plus que pour la révolution et pour un certain désenchantement du monde au sens où l’entendait Max Weber.

Marie-Claire Bergère souligne l’importance du titre de l’ ouvrage , » la Récidive ».La révolution chinoise répète la révolution russe, comme la répétition d’une faute ou d’un crime. Aucun des deux régimes n’a atteint ses objectifs proclamés de développement économique et d égalité sociale. Elle souligne avec ironie que les maoïstes français ne connaissaient rien au régime.
Dans la révolution chinoise, le nationalisme, le désir de sauver la Chine affaiblie est plus important qu’en Russie.
Marie-Claire Bergère souligne que la révolution chinoise n’est pas une révolution paysanne et que le grand bond en avant répète la collectivisation soviétique. Il y eut moins de résistance à la collectivisation en Chine qu’en Urss, mais elle souligne que de nombreux propriétaires terriens avaient été tués ( des millions de morts) lors de l’arrivée au pouvoir des communistes en 1949-1950.L ’industrialisation forcée a été une catastrophe. Elle souligne le rôle du mensonge, de la soumission ,mais aussi de la « comédie ». Les Russes et les Chinois font semblant d’accepter la critique ou l’autocritique, puis peuvent apporter leur soutien à la personne qu’ils ont attaqués. M-C Bergère a des doutes sur la capacité de la réforme.

Vladimir Berelowitch met l’accent sur la comparaison avec l’ Urss. » Il cite un article de Marc Bloch qui plaide pour le comparatisme. » Mao c’est Lénine plus Staline » le fondateur et le dictateur. Il ne fait pas de doute que le modèle soviétique s’est diffusé en Chine : Mao a été marqué par le marxisme-léninisme, les conseillers soviétiques ont marqué les débuts de la Chine communiste. Vladimir Berelowitch reprend le modèle développé par le linguiste Vladimir Propp à propos de la « Morphologie du conte ». Tous les contes de fées comportent un certain nombre d’éléments qui se combinent différemment. Il en est de même pour les révolutions soviétique et chinoise : collectivisation, industrialisation, terreur. L’histoire ( les deux guerres mondiales, la grande terreur )a modelé les Etats et il n’y aurait pas eu de régime communiste sans les guerres. Le nationalisme, plus marqué en Chine qu’en Urss qui était plus universaliste a marqué aussi la Russie. Après 1945 ,le régime soviétique a trouvé une nouvelle légitimité. Vladimir Berelowitch considère malgré tout que Staline avait plus de doute sur sa légitimité ( en 1941 ,il a cru que son régime était fini) que Mao . Staline était aussi plus cruel, plus cynique ( une bande de bandits que Mao) Mao aurait eu des moments de doute ,pas Lénine et Staline. Lénine souhaitait diffuser son modèle, comme le montre la création du Komintern qui a eu un grand succès, mais pas pour les raisons qu’il dit. C’est l’échec de la révolution allemande qui a accru l’audience de la Russie qui fournissait des cadres , de l’argent. Après l’échec de la révolution allemande, la Russie devient un centre.

Les question des auditeurs portaient sur les déportations Staline pouvait faire déporter des peuples entiers par décret. En Chine, il s’agit plutôt d’une déportation « à l’envers » : on envoie des Hans dans les régions habitées par les minorités.

http://www.franceculture.fr/oeuvre-la-recidive-revolution-russe-revolution-chinoise-de-lucien-bianco

http://www.histoire.presse.fr/actualite/portraits/lucien-bianco-mao-ligne-mire-01-11-2014-118116

http://flipbook.cantook.net/?d=%2F%2Fwww.edenlivres.fr%2Fflipbook%2Fpublications%2F47115.js&oid=3&c=&m=&l=&r=&f=pdf