Compte-rendu de la table ronde tenue le 11 octobre à la faculté de Blois.

Peut-être était-ce là une des table ronde des Rendez-vous de l’Histoire de Blois à être la plus en phase avec la polémique déclenchée par la venue de Marcel Gauchet. Un conservateur, un réactionnaire peut-il être un « vrai » rebelle ? Le rebelle est-il toujours un progressiste qui s’oppose à l’ordre ancien et immuable des choses ? Si l’on s’en tient au sens du mot rebellio, il s’agit de « refaire la guerre » pour modifier un état des choses qu’on refuse. Il n’est donc pas précisé si cet état des choses est d’émanation conservatrice ou progressiste. Déjà jeudi on avait vu, lors de la table ronde sur les rebelles de l’Antiquité, qu’il ne fallait pas confondre rébellion et esprit révolutionnaire façon 1789-93. Les motifs de rébellion sont en effet très nombreux, et c’est un des mérites des RVDH 2014 de l’avoir illustré de plusieurs façons sans sombrer dans la caricature facile.

On discutait donc des mouvement de réaction face à l’esprit révolutionnaire de 1789 en Europe et en Amérique latine à l’amphi 3 de la faculté de Blois. Comme d’habitude, la salle était comble et les appariteurs ont dû refuser du monde. Hélène Becquet, Paul Chopelin, Jean-Clément Martin, Simon Sarlin et Clément Thibaud firent le tour d’une question intéressante, chronologiquement balisée de l’apparition de l’esprit des Lumières au XVIII° siècle à nos jours.

Il existe de fait une longue tradition conservatrice, catholique et royaliste qui s’incarne dans le phénomène de contre-révolution, avec ses icônes (Jeanne d’Arc, le Roi, La Rochejacquelin), ses hymnes (la chanson d’Henri IV, « j’aimons les filles et j’aimons le bon vin) et ses dates (le 21 janvier, mort de Louis XVI).

Hélène Becquet rappelle ainsi que, dès 1750, les mouvements de dévots s’opposent, en France, à la sécularisation de l’Eglise dans la peur d’un vaste complot organisé par Satan lui même qui manipulerait les philosophes des Lumières. L’arrière-plan catholique traditionnel est important. Il justifie la désobéissance au Prince s’il n’est pas de « bonne religion ». Ces cercles dévots s’organisent de façon plus ou moins clandestine, et notamment après la révolution, ce qui est une des composante des attitudes de rebelles. La contre-révolution, qui regroupe aristocrates émigrés ou en rupture de ban républicain, des figures religieuses charismatiques, des paysans et des petits artisans va défendre l’Eglise, la ruralité et la France incarnée par le roi et combattre l’incroyance, le capitalisme libéral et la centralisation. Ce sera bien entendu les révoltes vendéennes de 1793, ou la tentative de coup d’Etat de 1795. La révolte prend un tournant millénariste et providentialiste au début du XIX° siècle avec les tentatives de la duchesse de Berry de restaurer la monarchie en faveur du comte de Chambord. La mort de ce dernier en 1883 porte quand même un coup important aux légitimistes royalistes en France qui verront leurs rangs progressivement s’éclaircir aux profits d’une extrême-droite tout aussi radicale mais moins marquée par la référence au roi.

On trouve des échos contre-révolutionnaires en Italie dans les années 1860-65, lors de l’unification du pays. Des rébellions secouent les villes et les villages du sud de l’Italie, notamment dans la Basilicate. Ce sont des révoltes spontanées, sans chefs nobles contrairement aux révoltes vendéennes. Ces révoltes répondent à des rituels communautaires et paysans : on prend le clocher, on force le curé et le maire à se mettre à la tête de la révolte. La politisation est très forte chez les villageois et les citadins qui craignent la modernité du nouvel état italien cavourien, vu comme une menace face aux équilibres communautaires du monde rural et semi-rural.

De l’autre côté de l’Atlantique on trouve aussi une tradition de rébellion catholique et conservatrice. Les révolutions d’indépendance bolivariennes, même si elles sont loin d’être très radicales, ont effrayé une partie de la population, et en particulier les indios qui regrettent le temps où la monarchie espagnole les protégeait, du moins mieux que dans un monde bolivarien marqué par les élites blanches qui considèrent les indiens comme d’irrécupérables rétrogrades. La dimension communautaire est très importante pour comprendre la popularité de ces mouvements, car du temps de la monarchie espagnole les villages étaient en auto-gestion alors que les républicain latino-américains ne le permettent pas et font la guerre aux aspects les plus typiques de la culture indienne.
Plus tard on verra apparaître aux Mexique le mouvement des Cristeros (1926-1929) qui s’opposent à la politique ultra-laïque du président athée Plutarco Callès avec des armes. Encore une fois, il s’agit d’un mouvement très populaire de réaction contre ce qui menace, pour les Cristeros, l’ordre naturel du monde. On retrouvera un héritage de ces mouvement paysans traditionnels dans les années 80 avec des mouvements d’auto-défense ruraux opposés aux marxistes du Sentier Lumineux au Pérou et des FARC en Colombie.

Sans porter de jugement particulier les conférenciers présents ont établi un tableau assez cohérent de ces mouvements de rébellions contre l’idéal républicain, laïque, libéral et progressiste. Après, c’est la question du regard que nous pouvons porter, nous, enseignants de l’école publique laïque et républicaine, sur ces mouvements qui est important. Ce ne sont sans doute pas les rebelles que nous préférons, mais faire l’impasse sur eux serait, à mon avis, une erreur grave.

Mathieu Souyris, collège Saint-Exupéry de Bram.