L’actualité bibliographique de la Résistance française

Comme chaque année, Bruno Leroux ouvre cette table ronde organisée par la Fondation de la Résistance (dont il est le directeur scientifique) par la distribution et le commentaire d’une liste des principaux ouvrages consacrés à l’histoire de la Résistance depuis septembre 2013. Il observe l’importance des monographies locales publiées en partie à compte d’auteur (ouvrages qui composent la « littérature grise » et qui ne manquent pas d’intérêt) et l’importance des fonds d’archives personnelles. À noter la publication par son petit-fils des Mémoires du responsable « faux papiers » de Témoignage chrétien, Jean Stetten-Pigasse, avec une préface de François Marcot et le répertoire numérique détaillé du fonds d’archives Edmond Michelet, un outil de travail fondamental. En ce qui concerne les autres ouvrages historiques, les deux ouvrages de Fabrice Grenard consacrés l’un à Georges Guingoin l’autre au massacre de Tulle ont été présenté à la Cliothèque.
http://www.clio-cr.clionautes.org/tulle-enquete-sur-un-massacre-9-juin-1944.html#.VD-BXWd_vTo
[->http://www.clio-cr.clionautes.org/une-legende-du-maquis-georges-guingoin-du-mythe-a-l-histoire-5055.html#.VD-Bh2d_vTo
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À retenir enfin, la publication en janvier 2015 dans la revue Historiens et Géographes d’un numéro consacré à la Résistance, coordonné par Jean Marie Guillon.

Renouvellement historiographique de la répression de la Résistance

Après s’être longtemps focalisée sur Vichy, la recherche sur la France des Années noires porte désormais sur la question de la pluralité des régimes d’occupation auquel a été soumise la France. De nouveaux travaux permettent de brosser désormais un tableau précis des stratégies allemandes de maintien de l’ordre suivant les différentes zones et les périodes, en s’appuyant sur les archives de l’occupant. Autour d’Antoine Prost et de Jean-Marie Guillon (professeur émérite à l’université de Provence, spécialiste de l’histoire de l’Occupation et de la Résistance) se trouvent trois jeunes historiens qui viennent de soutenir des thèses de doctorat d’histoire et de les publier pour deux d’entre : Cédric Neveu (La Gestapo en Moselle, éd. Serpenoise), Laurent Thiery (La répression allemande dans le nord de la France, P.U., Septentrion) et Thomas Fontaine dont la thèse Déporter. Politiques de déportation et répression en France occupée (1940-1944) n’a pas encore été publiée. Jean-Marie Guillon a co-signé avec Guillaume Vieira une étude récente sur un acteur majeur mais méconnu de la lutte contre la Résistance dans le sud-est de la France : la 8e compagnie de la division Brandebourg, composée majoritairement de Français encadrés par des Allemands. Chacun de ces quatre historiens dispose de 10 minutes pour présenter l’essentiel du résultat de ses recherches.

Thomas Fontaine observe d’abord que l’historiographie de la répression de la Résistance a été fortement marquée par les massacres de maquisards et de civils durant le printemps et l’été 1944, et qu’elle en a conclu à la violence arbitraire de l’occupant. Or ses recherches démontrent que les services allemands ont eu des lectures précises de la Résistance qu’ils connaissaient bien, et ont réfléchi à l’adversaire pour mieux le combattre. Il s’appuie en partie sur des sources nouvelles, celles du ministère de la Défense, du contre-espionnage français des services allemands.

Les acteurs allemands de la répression sont multiples : l’administration militaire (MBF), les services policiers nazis (Gestapo), l’ambassade d’Allemagne. Il faut leur ajouter l’appareil répressif de Vichy. Les Allemands arrivent avec des conceptions idéologiques et des pratiques juridiques. Ils arrivent aussi avec des objectifs précis : maintenir l’ordre avec le moins d’hommes possible (et donc tuer dans l’oeuf la Résistance) et aussi, dès le milieu de l’année 1942, fournir de la main-d’oeuvre au Reich). La lutte contre la Résistance est donc un objectif prioritaire est très clair de l’occupant.
Ce qui a longtemps paru comme un arbitraire de la violence aux historiens masquait en réalité des logiques répressives. Les services allemands par exemple fusillent au maximum les FTP alors que les cadres de l’Armée secrète sont déportés. Mais ils ne le sont pas de la manière globale, ils le sont par petits convois de 50 personnes. Des tris sont effectués pour des destinations différentes en cas d’arrestations massives : les uns sont fusillés immédiatement ou après jugement, les autres sont déportés, dans des camps différents en fonction des objectifs poursuivis.

Une chronologie de la répression peut être établie. Dans une première phase, jusqu’à la mi-1942, la répression est marquée par les pratiques de l’administration militaire. C’est une répression judiciaire, qui passe par les tribunaux. Dans une seconde phase les services politiques nazis prennent en charge la répression ; ils réutilisent le système répressif du commandement militaire, mais ils ajoutent des déportations ciblées et des déportations massives. Une troisième phase s’ouvre en juillet 1944 avec la recomposition du système en fonction d’une stratégie militaire de second front.
En conclusion, Thomas Fontaine tient à souligner l’importance des concurrences chez les nazis (en particulier entre l’administration militaire et les SS, sans que les uns soient moins violents que les autres), la radicalisation dès le printemps 1941 de la violence nazie intégrée par l’armée, la nécessaire mise en perspective de la politique répressive avec les autres objectifs politiques (« question juive », réquisitions de main-d’oeuvre etc.).

Laurent Thiery rappelle que les deux départements du Nord et du Pas-de-Calais sont coupés du reste de la France par une ligne de démarcation et rattachés au commandement militaire allemand de Bruxelles. Le système de répression est spécifique à cette zone, dans laquelle néanmoins l’administration française continue à travailler. Il observe une grande autonomie de gestion de la zone : le commandant militaire de Bruxelles laisse au commandant militaire de Lille une très large marge d’appréciation et de décision. Dans ces deux départements c’est l’administration militaire allemande qui a autorité pendant les quatre années d’occupation : la répression est essentiellement judiciaire. La Gestapo est ici restée soumise à l’autorité militaire durant toute l’occupation.

L’étude de 12 000 parcours individuels permet à l’auteur précision et finesse dans l’approche de la répression. Il décrit un système pyramidal avec les tribunaux militaires à la tête et de nombreuses affaires renvoyées en Allemagne où les résistants seront jugés. Il observe aussi que les autorités répressives tiennent à préserver des relations avec la population locale car le Nord et le Pas-de-Calais seront par la suite intégrés à un État qui ne sera pas la France. En décembre 1943 cette politique change, en particulier parce que les sites d’implantation d’armes nouvelles se trouvent dans cette zone et qu’elle redevient un espace stratégique majeur. Il y a alors renouvellement des acteurs de la répression, avec l’arrivée d’un service spécifique anti-résistance, installé à Arras. Son objectif est de lutter contre les organisations de résistance, plus particulièrement les réseaux de renseignements qui travaillent sur les armes secrètes. Ce service dispose de son propre tribunal secret, et sa présence explique l’envoi à Arras de grands responsables de la Résistance comme Touny ou Cavaillès.

Dans l’excellent compte rendu qu’il fait de la thèse de Cédric Neveu dans le numéro 78 ta (septembre 2014) de la Lettre de la Fondation de la Résistance, Bruno Leroux écrit : « Cette étude est une double nouveauté : première monographie sur un des services régionaux de la Sipo-SD dans la France occupée par Hitler, elle est aussi la première synthèse sur la répression des oppositions dans un des trois départements français annexés de fait au Reich à l’été 40. Car, dans la Moselle dotée comme l’Alsace d’un Gauleiter, la Sipo-SD joue un rôle central pendant toute la période dans le dispositif répressif, au contraire du Nord-Pas-de-Calais où elle reste l’auxiliaire des militaires jusqu’en 1944, et du reste de la zone occupée où elle ne les supplante qu’au deuxième semestre 1942. »

En Alsace-Moselle, Vichy n’existe pas, le territoire est annexé de fait et les Gauleiter ont pour objectif la germanisation et la nazification en 10 ans. Le résistant est un traître à son gouvernement et à son peuple. Il y a deux acteurs essentiels de la répression : la Gestapo très fortement présente avec 300 membres en Alsace et 300 en Moselle, et le système judiciaire civil allemand. Jusqu’à l’été 1942 la répression est légale et judiciaire : elle applique le code pénal allemand et la législation national-socialiste. Durant cette période, sont surtout jugés des passeurs de la frontière. Le chercheur observe une parfaite symbiose entre Gestapo et Justice, la Gestapo fonctionnant comme une police judiciaire pour délit politique. La répression est bureaucratique ; les dossiers sont transmis au Parquet qui décide ou non de poursuivre. Cette justice est relativement clémente à l’égard des passeurs : les juges estiment qu’il faut leur laisser un temps d’adaptation jusqu’à ce qu’ils comprennent qu’ils sont désormais citoyens du Reich. Il faut insister sur le fait que les membres de la Gestapo sont des gens de métier, formés, compétents, souvent des universitaires ayant fait des études de droit. La collaboration avec les services de renseignements nazis est excellente.

En 1943 le dispositif se durcit avec l’arrivée de cadres qui viennent de l’Est et qui ont des conceptions bien différentes. En août 1942 l’incorporation de force des jeunes hommes a été un échec de la politique de nazification. Le passeur devient un ennemi qui aide désormais les armées alliées. Les passeurs arrêtés sont déportés en camp de concentration ainsi que leurs familles. On observe la même évolution à l’égard de la résistance communiste : jusqu’en 1942 les communistes sont jugés, après 1942 les communistes alsaciens sont soumis à des procès à grand spectacle puis déportés à Schirmeck, tandis qu’un Sonder Kommando pourchasse les communistes lorrains et les envoie en camp de concentration.

À noter enfin la présence en Alsace-Moselle de très nombreux travailleurs slaves envoyés comme main-d’oeuvre. Beaucoup parviennent à s’évader et cherchent à gagner les maquis. Ils sont considérés par les Allemands comme des sous-hommes, et un commando spécial de chasse à l’homme est créé. Les traitements infligés à ces travailleurs slaves évadés sont de la plus extrême violence.

Jean-Marie Guillon présente un troisième type de Français engagés aux côtés des Allemands, qui ne sont ni membres de la LVF, ni membre de la Milice, mais membres d’une unité allemande à l’oeuvre en Provence, dans une zone occupée par les Italiens puis par les Allemands en septembre 1943. Il s’agit de la « Division Brandebourg » une unité créée par l’Abwehr en octobre 1942 pour lutter contre la Résistance, et dont l’essentiel des effectifs est destiné au front de l’Est. Un « bataillon » est dépêché en France en février 1943, et passe d’abord plusieurs mois à recruter localement au sein du PPF (en particulier parmi ses membres déjà enrôlés dans le service allemand de recherche des réfractaires) et à s’entraîner. Ces actions ne sont encore que très partiellement connues. Dans la thèse à paraître de Guillaume Vieira, ce sont les effectifs, les méthodes et les actions de la 8e compagnie, opérant principalement dans le Sud-Est, qui peuvent être retracés. J’emprunte ici aussi à l’article de Bruno Leroux dans le numéro 78 de la Lettre de la Fondation de la Résistance.

Le principe des « Brandebourg » est de conjuguer les éléments civils, chargés de se faire passer pour des réfractaires, des maquisards ou des aviateurs alliés, et des éléments militaires exécutant les opérations permises par les renseignements qu’ont recueilli les premiers. L’infiltration de la population est efficace et redoutable. Dans cette compagnie, les « militaires » sont pour la plupart des Français encadrés par des Allemands. Les cadres (une dizaine, dont plusieurs ont un doctorat) ont tous une expérience antérieure de la lutte antiguérilla en Yougoslavie, à l’Est, voire auparavant en Espagne. C’est donc une unité hautement spécialisée qui est au coeur du dispositif coordonné de lutte contre les maquis dans tout le Sud-Est en 1944. Cette unité opère avec la Wehrmacht, la Sipo-SD et la Geheime Feldpolizei et intervient dans de nombreux départements de Provence, se faisant remarquer par sa violence. Elle inaugure les exécutions sommaires de maquisards en janvier 1944 et les massacres atteignent un pic pendant l’été, où elle est sans cesse en action. Les violences et les tortures sont systématiques contre les résistants et contre les otages. C’est elle qui interroge d’abord les personnes arrêtées, avec plus de férocité encore que la Gestapo ; elle incendie aussi de nombreuses fermes. Au total cette compagnie est responsable de 235 meurtres, rien qu’en Provence.

Bruno Leroux et Jean-Marie Guillon insistent sur le fait que la connaissance de cette unité est un exemple de plus du sens profond de la multiplication des services répressifs allemands en France occupée : elle obéit à une logique d’adaptation continue au terrain local et à l’évolution de la Résistance ; la concurrence entre services n’exclut pas leur faculté à se coordonner, quels que soient les rapports de force entre eux, pour parvenir à une action cumulée.

Tous les participants insistent sur quelques faits majeurs : la Résistance française, en particulier les réseaux, préoccupe les Allemands; l’occupant ne réprime pas de la même façon tel ou tel résistant selon ce qu’il est et ce qu’il a fait ; la Wehrmacht est professionnelle, compétente et nazie, les cadres de la justice de la police et de l’armée sont nazifiés. Les représailles font partie d’un arsenal codifié appliqué sans aucun état d’âme par les militaires.