Au-delà de l’actualité la table ronde réunit 4 chercheurs qui vont évoquer tout le siècle.

Jean-Pierre CHRÉTIEN, directeur de recherche émérite au CNRS introduit la table ronde et formule deux recommandations : ne pas oublier les migrations internes, penser à étudier ce qui se passe au départ et non seulement le point de vue européen.

Spécialiste de l’Afrique des Grands lacs, il traite des migrations des Rwandais et Burundais vers l’Angola entre 1920 et 1960

Il rappelle la dimension historique et l’ancienneté des mouvements de population bien avant le XXe siècle.

Jusque dans les années 40 ces déplacements se font à pied, le voyage dure environ un mois. Les Allemands avant même les Belges considéraient ces populations comme incapables de vivre ailleurs. Et pourtant on assiste à des départs spontanés vers l’Ouganda pour fuir la domination belge vers la domination anglaise perçue comme plus souple.
Les statistiques qui portent sur les hommes adultes valides, permettent une étude dans le temps ce cette main-d’œuvre qui va vers les plantations de coton ougandaises. Pour ces hommes jeunes, c’est presque une forme d’initiation, un phénomène si développé qu’il existe un terme spécifique en Kirundi.

Quand les Belges cherchent à développer leurs colonies on assiste à un tassement des départs avec l’existence sur place de débouchés. Ceux qui partent sont des paysans qui partent pour un travail agricole chez d’autres paysans,souvent petits exploitants. Une migration d’abord saisonnière puis sur plusieurs années, les femmes représentent 1 cas sur 6 de 1935 à 1948. La migration définitive est rare.

Pourquoi partent-ils et avec quelles conséquences ?

Les causes répondent à divers facteurs : démographie dans des pays à très forte densité vers l’Ouganda faiblement peuplé et économiquement dynamique, une pression économique et monétaire, on part chercher l’argent de l’impôt, de la dote, pour acheter des produits manufacturés.
À partir de 1947 les régions de l’Ouest du Rwanda comme du Burundi envoient des migrants vers le Congo pour y commercer. Il y a un rapport étroit entre le taux de départs et la possibilité d’obtenir de la monnaie dans la zone d’arrivée.

On peut ajouter des contraintes socio-politiques : la corvée est moins dure en Ouganda qu’au Rwanda/Burundi, l’Ouganda offre une impression de liberté.

Il existe enfin des contextes familiaux, chaque départ est une histoire familiale, le produit d’une stratégie collective ou une histoire individuelle de rupture.

Le conférencier conclut sur l’ambiguïté fondamentale : départ obligé, prolétarisation des jeunes, mais aussi des hommes qui réagissent au contrôle colonial et sont perçus comme des esprits frondeurs dénoncés par les missionnaires.

Le second intervenant, Daouda GARY-TOUNKARA Chargé de recherche au CNRS (LAM, Bordeaux) a choisi de traiter la crise de 1964 au Congo Kinshasa.

Dans un premier temps il aborde quelques généralités sur les migrations en système colonial.

Les mouvements de populations, massifs et structurés sont liés aux décisions d’aménagement des puissances coloniales. Il évoque la circulation plus ou moins facile au sein du continent dans chaque espace colonial et entre ces espaces, le rôle de l’impôt et de la monétarisation des rapports sociaux prenant des exemples en AOF : mouvements vers la côte (du Mali vers la Côte d’Ivoire), les zones de travail : villes,chantiers, plantations. Le système colonial introduit ainsi trois choses :
l’ouverture de l’horizon migratoire, les papiers (école, état civil, laissez-passer du commandant de cercle, service militaire et impôt) et la monnaie.

La crise de 1964 au Congo Kinshasa.
La colonie belge avait accueilli une main-d’œuvre en provenance de l’AOF : commis de boutiques sénégalais, marchands dioulas ( intermédiaires anciens entre la forêt et le sahel, entre la noix de cola et le sel). Les nouveaux états indépendants dans les années 60 doivent gérer les étrangers et aussi leurs ressortissants quand en 1963 la création de l’OUA déclare l’intangibilité des frontières.

Dans le cas du Congo ex-belge soumis a une forte instabilité dans le monde bipolaire de la guerre froide le 1er août 1964 sont déclarés indésirables par Moïse Tsombe et son ministre de l’intérieur Etienne Tsisekedi : les Congolais Brazza, les Burundais, les Tutsis du Rwanda, les Maliens dont par la président Modibo Keita est jugé proche de l’opposant congolais Lumumba.

L’intervenant développe le cas des Maliens, le rôle de l’état malien dans le rapatriement de ses ressortissants, la création d’un quartier spécifique à Bamako.

Le temps imparti n’a pas permis de compléter cet exposé.

Mahamet TIMERA, Professeur de sociologie à l’université de Paris-Diderot Paris 7, quant à lui développe un exemple spécifique : les migrations internes et externes vers Joal ou comment les migrations recompose les sociétés d’arrivée ?

Joal est un grand port de pêche artisanale, activité très gourmande en main-d’œuvre qui a généré des flux migratoires dans la sous-région (Mali, Burkina Faso et les deux Guinée) et depuis le Sénégal intérieur. Cette migration est saisonnière puis définitive, en particulier pour les transnationaux. L’originalité de la situation est que la population autochtone est en marge de cette activité mais que, bien que devenue minoritaire, elle détient le pouvoir municipal.

L’intervenant analyse les relations entre des différents groupes autochtones : Sérères agriculteurs et étrangers pécheurs, quel partage territorial, professionnel et religieux ?

Quand les Sérères habitent le quartier traditionnel, les pêcheurs vivent dans les nouveaux quartiers ce qui assure un marquage dans les représentations, dans la mémoire. Le clivage demeure même si aujourd’hui les autochtones s’installent dans les nouveaux quartiers. L’intervenant cite brièvement la localisation des génies protecteurs et les sanctuaires liés aux Sérères.

Au plan professionnel, depuis longtemps sur cette côte la pêche est l’activité des Lébous, l’arrivée de migrants continentaux est repérable par exemple dans le fait que de nombreux pêcheurs ne savent pas nager. Ces arrivées ont été renforcées par la raréfaction de la main-d’œuvre durant la période des départs en pirogues vers les îles espagnoles.
Illustrées par quelques images d’autres professions sont liées à la pêche : les nouveaux arrivants, souvent des Guinéens, constituent la masse prolétarisée Ils ont fait grève pour obtenir 500 CFA/caisse. des porteurs payés à la caisse de poissons déchargée, es charretiers, des transformateurs (séchage, fumage).

Au plan politique de 1989 à 2014 le maire appartient à la communauté sérère, soutenue aussi par les migrants originaires des autres régions du Sénégal. Une fissure est apparue en 2014 avec 3 nouveaux candidats, une perte d’influence plus symbolique que réelle.

Le dernier intervenant,Cris BEAUCHEMIN, chercheur à l’INED ; aborde la question d’actualité.

Il rappelle que les migrations sont essentiellement intrafricaines même si les déplacements vers l’Europe sont « fantasmés ».
Il convient donc de redire quelques réalités sur les migrations.
En France les populations d’origine subsaharienne ne représentent que 10% des migrants (12% en Europe)
Si on observe depuis le pays de départ : c’est un phénomène constant, pas un exode mais les tentatives inabouties elles augmentent fortement ce qui montre l’efficacité des restrictions ; on parle ici des demandes administratives et non des passages clandestins, rappelons que le visa n’est exigé que depuis 1982.


Le profil des migrants : sur-éduqués (39% ont fait des études supérieures – contre 30% des Français). Ce n’est ni un exode africain, no une invasion.

Regroupement familial, retours et familles transnationales

Il existe des stratégies familiales de migrations saisonnières, c’est la fermeture de l’Europe qui induit une migration plus longue (on ne rentre pas au pays faute de pouvoir revenir sur le lieu d’accueil).
Quelques chiffres concernant le regroupement familial à retrouver dans son ouvrage, récemment paru chez karthala BEAUCHEMIN Cris et ICHOU Mathieu (dir.) Au-delà de la crise des migrants, décentrer le regard

11% des hommes et 22% des femmes qui migrent viennent au titre du regroupement familial.

Dans une enquête sur le devenir 10 ans après pour 3 pays (Sénégal, Ghana, RDC)

Pour les Sénégalais :67% vivent une situation de famille transnationale (une partie de la famille vit en Europe, les autres vivent au pays), 23% le regroupement familial se situe au pays et seulement 10% en France. Pour les Ghanéens : respectivement 38%, 49% et 27% et pour les Congolais : 38%, 50% et 12%.
Toues ces données montrent l’écart entre le réel et la représentation en France.
L’exposé s’appuie notamment sur m’enquête Te0 -grysole de 2013 http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ES464N.pdf

Le retour est plus fréquent quand il est facile de revenir, ce sont donc les politiques restrictives des pays du Nord qui pousse les migrants à rester.

Quand on analyse les retours spontanés, ce qui domine ce sont les causes familiales ou professionnelles bien avant la question des papiers. Le statut irrégulier est donc un frein au retour.