Cette table ronde est composée de :
– Patrick Boucheron, professeur d’histoire du Moyen Âge à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, auteur des ouvrages suivants : Le pouvoir de bâtir : urbanisme et politique édilitaire à Milan (XIVe-XVe siècles), en 1998 ; Léonard et Machiavel, en 2008 ; Histoire du monde au XVe siècle, en 2009 ou encore Conjurer la peur : Sienne, 1338, essai sur la force politique des images, en octobre 2013 ;
– Gerbert Bouyssou, agrégé d’histoire, ayant soutenu une thèse sur les tyrans hellénistiques.
– Arlette Jouanna, professeur émérite à l’université Paul Valéry (Montpellier III), qui a écrit Le Devoir de révolte. La noblesse française et la gestation de l’Etat moderne, 1559-1661, en 1989 ; La Saint-Barthélemy. Les mystères d’un crime d’Etat. 24 août 1572, en 2007 ; ou a participé à La France de la Renaissance. Histoire et dictionnaire, en 2001 et enfin, à l’Histoire et dictionnaire des guerres de Religion, en 1998 ;
– Stéphanie Sauget, présentant la table ronde, maître de conférences en histoire contemporaine à l’université François Rabelais (Tours), auteur de À la recherche des Pas perdus. Une histoire des Gares parisiennes au XIXe siècle, en 2009 et d’une Histoire des maisons hantées. France, Grande-Bretagne, États-Unis (1780-1940), en 2011;
– Olivier Wieviorka, spécialiste de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, professeur à l’École normale supérieure de Cachan, auteur d’une Histoire du Débarquement en Normandie, Des origines à la libération de Paris, en 2006 ; de La Mémoire désunie : Le souvenir politique des années sombres, de la Libération à nos jours, en 2010, et d’une Histoire de la Résistance : 1940-1945, en janvier 2013.

En 1989, Arlette Jouanna écrit un article sur le devoir de révolte. Trois questions alors se posent concernant ce devoir : 1) quelles sont les théorisations possibles de ce concept ?; 2) les formes qu’il prend ; 3) la question du bon pouvoir face à la tyrannie.

Selon Gerbert Bouyssou, pendant l’Antiquité grecque puis hellénistique, la révolte n’est pas valorisée mais elle peut sembler nécessaire suivant les circonstances. En 514 avant J.-C., un épisode important de l’histoire grecque impose dans les mentalités la lutte contre le tyrannicide par la révolte. Cet épisode est, en fait, plus une histoire banale entre des acteurs politiques mais sa portée a été plus riche pour la suite : dans la loi d’Athènes en 410 ou encore en 366 avant J.-C., la mort de Cratès montre que sous une tyrannie, les citoyens sont conscients d’être dans l’obligation de se révolter et donc de tuer le tyran pour sauver leur cité ou régime politique. Les Romains reprennent les mêmes théories du devoir de révolte contre les tyrans. Cicéron, dans son plaidoyer Pro Milone, au cours de la guerre civile, légitime la lutte contre le tyran et rend naturel la révolte contre celui-ci, comme une sorte de légitime défense, légitimant la violence du citoyen dans certaines conditions. Les tyrannies vécues à la fin de la République romaine telles que celles de César ou Antoine contribuent à théoriser le tyrannicide au Moyen Age voire à l’époque moderne.

L’époque médiévale se situe dans la continuité du droit romain, qui apporte un « kit théorique » contre les tyrans. D’après Patrick Boucheron, pour les contemporains, la tyrannie est anachronique mais demeure immorale et scandaleuse. Le christianisme empêche de tuer son prochain mais cette mort peut être nécessaire. Au XIIe siècle, par exemple, dans les chroniques flamandes, le meurtre du seigneur est un moyen pour renouveler la seigneurie mais cette idée n’est pas valorisée. Selon la morale de St Thomas d’Aquin, le tyran finit par payer de sa personne par la justice divine. Le meurtre de Louis d’Orléans par son cousin en 1407 en public marque un tournant car Jean Sans Peur doit justifier son geste. Plus il le fait et plus son crime est scandaleux pour l’opinion de l’époque. Il n’y a pas de devoir de révolte au Moyen Age.

Le « devoir de révolte » est une notion développée par Arlette Jouanna, qui s’applique au milieu du XVIe siècle dans le milieu aristocratique, notamment lors des guerres de religions. Les nobles doivent prendre les armes contre la tyrannie. Ils ne se considèrent pas comme des rebelles mais combattent pour le roi contre les mauvais conseillers qui l’entourent (Italiens, Catholiques). Ce sont des grands seigneurs et après la St Barthélémy, ils ont peur d’être écartés du pouvoir, voire d’être éliminés pour une nouvelle noblesse choisie par le roi, plus docile. Le « devoir de révolte » n’est pas de tuer le roi pour le remplacer mais de le ramener à la raison afin qu’il puisse, de nouveau, demander conseil aux Grands.

Pour Olivier Wieviorka, la résistance, pendant la Seconde Guerre mondiale, n’a pas besoin d’être légitime car elle défend un modèle théoriquement chrétien, voire laïque, la Patrie contre l’oppression allemande. Les rébellions n’ont pas non plus un problème de légitimité car il y a toujours la question de la défense de la Patrie. Pourtant, coexistent trois réalités pendant la guerre : 1) celle de la guerre en tant que telle, 2) celle de l’occupation et enfin celle du régime autoritaire de Vichy. Chaque réalité renvoie à une vision des rébellions : 1) les Allemands considèrent les personnes rebelles comme des voyous ; 2) De Gaulle est contre les attentats. Cela pose le problème de la mobilisation des Français entre ceux qui souhaitent agir contre l’occupation allemande donc tuer et ceux qui ne le veulent pas, suivant une conception chrétienne.

La table ronde s’est terminée sur des questions du public portant sur les quatre périodes et sur l’approfondissement de certains événements développés lors des différentes interventions. Une table ronde enrichissante, rythmée et illustrée.