Christian Grataloup présente aux Rendez-Vous de l’Histoire de Blois son dernier livre, « Géohistoire » et Laurent Testot, son « Vortex », un manuel pour comprendre et aborder le mieux possible l’urgence climatique. Il fallait bien qu’un jour ces deux-là se retrouvent devant nous sur un plateau pour présenter leur livre mais aussi dialoguer. Il y a en effet de quoi se réjouir d’écouter un échange entre un géohistorien et un spécialiste de l’histoire environnementale. D’autant que l’humour décalé n’est jamais absent de la prose et des propos de nos deux auteurs. 

La modération est assurée par Héloïse Kolebka, rédactrice en chef de la revue « L’Histoire ».

HK : Si l’on commençait par définir vos titres ?

CG : Géohistoire, j’ai emprunté le mot à Fernand Braudel. Comment cartographier l’histoire et écrire la géographie. 

LT : Anthropocène, c’est l’humain qui se substitue à la marche de la nature. Y faire face, c’est penser ces questions de matière globale. 

HK : Un point de départ géologique ?

LT : Le lac Crawford au Canada est le « clou d’or » dans les années 50 pour les sociétés géologiques mondiales. Paul Crutzen, en tant que chimiste voyait son départ avec James Watt et sa machine à vapeur à la fin du XVIIIe siècle. Un petit titan quand même, par rapport à Elon Musk aujourd’hui ou surtout Fritz Haber

CG : dans l’Atlas historique de la Terre, plusieurs points précis pourraient aussi être un clou d’or…

HK : L’histoire humaine est-elle aussi géographique ?

CG : La carte de la présence d’Homo Erectus montre la colonisation de milieux froids ou tempérés avec feu, logement, vêtements. Les Sapiens suivants coloniseront l’Australie et l’Amérique. 

Après la dernière période glaciaire, il y a 10 000 ans, Sapiens en tant qu’espèce invasive occupe les milieux où les glaciers reculent. 

LT : L’agriculture fait vraiment système il y a 6000 ans, mais l’idée d’un début d’anthropocène n’a pas tenu, compte tenu de la taille de la population. 

CG : La carte des néolithisations rappelle qu’on n’en est plus à ne parler que du Croissant fertile ! La domestication et la culture sont déjà très diverses et ont contribué à une future mondialisation alimentaire. Le Croissant fertile a été beaucoup fouillé car on y cherchait nos origines bibliques. Or il y a du néolithique jusqu’en Nouvelle-Guinée… 

LT : Chine des fleuves et Croissant fertile sont simultanés, on le sait grâce à des travaux chinois récents. Comment se fait-il qu’il y ait eu des croissants fertiles ensemble ?

CG : Question complexe. Ce sont d’abord des questions de hasards géographiques, liés à la fin de l’ère glaciaire et à l’apparition de terres colonisables. Cela suppose ensuite l’évolution des sociétés paléolithiques. Toutefois celles-ci n’ont pas abandonné partout leur mode de vie nomade. 

L’Axe de l’Ancien Monde et l’Ailleurs

80 milliards (selon P. Chaunu) ou 100-110 milliards (Laurent Testot) d’humains sont passés sur la Terre. 

L’Axe de l’Ancien Monde au début de notre ère va de la Méditerranée à l’empire Han et représente comme maintenant les ⅔ de l’humanité. Toutes ces sociétés ont été interconnectées et on peut parler de 1ère mondialisation comme matrice des processus historiques. Ainsi le blé, issu d’un croisement de 2 plantes méditerranéennes, arrive en Chine. Et les nomades Mongols ou Huns sont des connecteurs de sociétés rurales. 

L’Ailleurs de cet axe, ce sont des sociétés peu connectées – Amérique, Océanie – et ce dernier critère est plus essentiel que la démographie. 

LT : Pourquoi les Européens ont conquis l’Amérique et pas l’Afrique ? 

CG : Si le lama avait été une vache, l’histoire aurait été changée…

LT : Les Européens avec leurs animaux domestiques vivaient dans un bouillon de culture, favorisant les échanges microbiens entre humains et bêtes. Or c’est l’échange « microbes contre nourritures » qui va justement détruire 90% des Amérindiens mis en contact avec les Européens.

Avec une conséquence mal connue : l’abandon des cultures extensives par brûlis et leur remplacement par des plantations intensives exportant les plantes américaines ont pour conséquence que la forêt s’est à nouveau étendue en Amérique, ce qui a contribué au refroidissement des températures de 0,4 degré et qui a entrainé durant « le petit âge glaciaire » disettes alimentaires et changements géopolitiques. 

HK : C’est l’Europe qui a colonisé le monde. Mais pourquoi elle ?

CG : Pourquoi l’Europe ? Une raison majeure est que les Européens tempérés sont allés chercher les produits tropicaux qu’ils avaient besoin pour la conservation des produits alimentaires et les soins médicaux. Et la nécessité de routes nouvelles, les voies classiques entre l’Asie et la Méditerranée étant contrôlées par les Ottomans et Venise.

 Cet avantage de domination sur 5 siècles a permis une européanisation linguistique de l’Ailleurs, l’Axe gardant ses grandes langues. 

Conclusion – 2 ouvrages pour l’enseignement d’une géohistoire environnementale

« Géohistoire » comme « Vortex » ont en commun de raconter une autre histoire de la Terre par une géographie en cartes pour l’un et en la replaçant dans un chaîne d’événements d’abord naturels et anthropiques pour l’autre. Chacun démontre à sa manière comment Sapiens a pu coloniser la Terre en allant jusqu’à la modifier sur le plan géologique.

Le dialogue entre ses 2 visions de la Terre serait certainement fécond s’il servait à refonder des programmes scolaires qui ont longtemps été imprégnés du concept de développement durable, aujourd’hui dépassé par la crise environnementale. L’enjeu de former les jeunes générations à cette urgence s’impose et de façon inter-disciplinaire.

Nous serons bien sûr attentifs à leur mise à jour dans nos disciplines. A suivre…