C’est avec le plus grand intérêt que nous avons suivi la communication du lieutenant-colonel Rémi Porte à propos de cet épisode très mal connu d’une intervention militaire française en Afrique orientale durant l’année 1915. Spécialiste de l’histoire militaire le lieutenant-colonel Rémi Porte à participé, tout comme Julie d’Andurain à ce film publié par les éditions de l’institut national de l’audiovisuel sur la grande guerre des nations dont Clio ciné s’est fait l’écho.
Éric Deroo La grande guerre des nations
Septembre 2014 – Editeur : INA / ECPAD – Distributeur : Arcades
La grande guerre des nations

Il peut être paradoxal, surtout pour un soldat, de faire l’histoire « d’une guerre qui n’a pas eu lieu », car c’est ainsi qu’il faut caractériser cette intervention militaire française en Afrique orientale, une Afrique orientale qui, à l’exception notable de Madagascar, est surtout sous la domination des Britanniques mais aussi des Allemands, avec le territoire du Tanganyika. En Afrique occidentale, comme dans le Sud-Ouest africain allemand, la future Namibie, les territoires ont été rapidement conquis, comme le Togo en août 1914 ainsi que le Cameroun. Pour le Sud-Ouest africain c’est à partir de l’Afrique du Sud que le territoire perdu pour l’Allemagne en juillet 1915. En Afrique orientale la situation semble plutôt différente. Les troupes allemandes disposent de 12 000 hommes, près de 60 compagnies, plutôt bien armées et qui sont susceptibles de menacer les positions britanniques vers le nord, le territoire actuel du Kenya. Le gouverneur allemand de la colonie serait plutôt enclin à négocier tandis que le commandant Vorbeck mobilise la moitié de son effectif sur la frontière nord, face à des Anglais qui font appel à des troupes venues de l’empire des Indes ce qui est parfaitement logique d’un point de vue géographique.
Le débarquement à partir de l’océan Indien est d’ailleurs un échec et dans le contexte global de la première guerre mondiale avec une succession de défaites en Europe,

les alliés peuvent envisager de se rattraper en enregistrant des succès aux colonies. Les Britanniques dont les forces présentes sur le continent européen sont tout de même limitées demandent littéralement l’aide de la France pour organiser un débarquement à partir de Madagascar sur le flanc sud des positions allemandes. C’est l’ambassadeur Paul Cambon, représentant la France auprès du Royaume-Uni qui sert d’intermédiaire et il reçoit d’ailleurs le soutien de Paul Doumergue et de Théophile Delcassé.
Il semblerait que Alexandre Millerand et le général Joffre n’aient pas été tenus au courant de ces préparatifs. Pourtant, trois ministères différents sont impliqués dans la préparation de ce corps expéditionnaire, les ministères de la guerre, des colonies et de la marine. 3000 hommes sont donc mobilisés à partir de janvier 1915, des Malgaches, un bataillon sénégalais et deux bataillons de tirailleurs sénégalais déplacés de Dakar. L’appui feu peut apparaître comme dérisoire, une dizaine de canons, mais pour les champs de bataille africains, cela est en réalité important.

Ce corps expéditionnaire étant constitué, il reste l’arme au pied, sans nouvelles des Britanniques qui ont pourtant sollicité sa formation. Le 8 avril 1915 les troupes sont finalement envoyées sur d’autres théâtre. Il avait même été envisagé de mener ce débarquement seuls, « entre Français » pourrait-on dire, mais cela aurait fortement indisposé les Britanniques qui auraient peu apprécié une présence française sur la partie australe du continent africain.

Cet épisode « d’une guerre qui n’a pas eu lieu » est pourtant particulièrement significatif du type de relations interalliées pendant cette période de la guerre. Ce n’est pas la seule fois qu’une puissance la joue « perso » comme on dit au football, et n’apporte aucun renseignement sur ses intentions à son allié. ( L’entente cordiale à propos ?)

On retrouve une situation de ce type juste après les accords de Sykes-Picot de 1915, avec la révolte arabe suscitée par les Britanniques à partir du Caire, en 1916. Les Britanniques jouent d’ailleurs un jeu bilatéral à la fois avec les princes hachémites et en 1917 avec le congrès sioniste mondial, ce qui donne lieu à la déclaration Balfour.
On retrouve une situation de ce type en Asie, en Chine du Nord, avec la position de Tsing Tao dont les Japonais s’emparent, sans aucune concertation avec leurs alliés, mais il faut bien dire que les champs de bataille d’Extrême-Orient sont beaucoup plus éloignés des préoccupations des contemporains.
On est toujours séduit par l’immense connaissance et la précision des interventions de Rémi Porte qui connaît le moindre détail, pourtant important, et surtout très éclairant, dès lors qu’il s’agit de comprendre la globalité d’un conflit qui, malgré la masse des publications qui lui ont été consacrées, comporte encore beaucoup de zones d’ombre.