L’espèce humaine est la seule qui accompagne la mort d’un rituel funéraire. Nous pénétrerons dans l’édifice de ces rites et des mythes eschatologiques par le monde romain, les rituels chrétiens mais aussi les pratiques extra européennes en interrogeant les invariants anthropologiques pour constater leur universalité (gestes, objets, pratiques communes dans la conservation ou l’esthétisation des restes – ou reliques) et leur utilité sociale. Comment les rituels structurent-ils des rapports sociaux entre les vivants et les morts lors des cérémonies, mais également bien au-delà ? La table ronde permettra de revenir sur les gestes, les objets du rite, les pratiques individuelles et collectives qui témoignent d’un imaginaire eschatologique, d’une médiation avec le mystère, l’occulte ou le divin… mais aussi de la protestation symbolique des hommes face à la mort, de la volonté de revivifier une communauté humaine frappée par la disparition d’un être. Aucune société n’abandonne ses morts sans précaution rituelle ; au-delà de cette évidence, l’on constate, dans des régions du monde éloignées les unes des autres, des pratiques étonnamment similaires, intégrant les défunts dans une culture, confirmant leur appartenance identitaire. Intégré au monde des ancêtres, confié à la communion des saints, le mort peut aussi rentrer dans un cycle de réincarnation ou attendre, dans un monde de l’entre-deux.

Intervenants

William Van Andringa : Historien et archéologue, William Andringa est directeur d’études à l’Ecole pratique des Hautes Etudes (chaire Histoire et Archéologie de la Gaule romaine).

Isabelle Heullant-Donat : Isabelle Heullant-Donat, professeur d’Histoire médiévale à l’Université de Reims-Champagne-Ardenne, est spécialiste d’histoire religieuse et culturelle du Moyen Âge et directrice du CERHIC.

Yves le Fur : Conservateur du patrimoine à la section Océanie au Musée national des arts d’Afrique et d’Océanie (MNAAO), Yves Le Fur fut ensuite responsable de la muséographie au sein de la section Océanie du musée du quai Branly – Jacques Chirac.

 

La table ronde s’axe dans une démarche comparative dans le temps. Il s’agit de réfléchir à la notion de rituel, à l’ensemble des rites, des cérémonies en usage, des gestes particuliers de liturgie dans une religion donnée.

W. Van Andringa est archéologue et il travaille à Pompéi depuis plus de vingt ans : A Pompéi, le rituel funéraire est marqué par trois grands moments. Le premier, ce sont les funérailles qui se déroulent avec une crémation sur le bûcher et une collecte des ossements. Ensuite vient la mise au tombeau avec dépôts des restes osseux dans des sépultures. Enfin, la dernière étape passe par la commémoration des morts. Au cours de toutes ces étapes, les gestes déployés et objets utilisés ont une portée symbolique importante, notamment donner une sépulture dans un au-delà. Il n’y a pas de grands discours. Pour un archéologue, c’est la répétition qui fait sens. Le mort est exposé à la maison. Au moment de la cérémonie funéraire, trois objets sont utilisés. La lampe allumée au pied du bûcher symbolise le jour de la vie face aux ténèbres de la mort. Le parfum pendu au dessus du défunt représente la bonne odeur de la vie face à la putréfaction du cadavre. On trouve aussi des gobelets ayant contenus du vin ou du lait. A la fin de la séquence, tous ces objets sont cassés. Les objets servent à l’articulation de la symbolique.

I. Heullant-Donat  se penche ensuite sur les obsèques et les funérailles au Moyen-Âge dans un contexte de christianisation et un changement de paradigme progressif : on ne va plus brûler les cadavres. Les rites religieux sont de plus en plus présents. La vie ici-bas n’est qu’un passage. Le culte des saints se développe. Dans le traitement du rituel, on distingue une forte hiérarchisation sociale. Les mots changent : on ne dit plus nécropole mais cimetière. Les cimetières se construisent autour du lieu de culte aux Xe-XIe siècles. Le cimetière devient un lieu de pratique sociale tout comme un espace consacré par le prêtre où les suicidés sont exclus. Il s’agit aussi d’accompagner de plus en plus le moribond avec le sacramentel. L’Eglise traite le passage de la vie à la mort et le fait accepter par les vivants.

La deuxième partie de la table ronde s’axe sur la question des évolutions et permanences.

W. Van Andringa : La cité samnite devient Pompéi, colonie romaine en 80 av. JC. Ce sont les vétérans de Scylla qui la fondent. De nouvelles institutions apparaissent. Les premières sépultures apparaissent vers 50 av. JC. C’est un mélange de gestes pratiques que l’on constate, provenant des différentes régions d’origine des colons mais on retrouve aussi des éléments déjà structurants avec une phase d’élaboration d’une tradition funéraire. A partir de 20 av. JC la mécanique est bien rodée, la tradition funéraire fluide. La mise au tombeau suit le même protocole. La grande différence reste le monument funéraire. Cette tradition funéraire affermit les liens sociaux. Ce sont les chefs de famille qui gèrent les morts. Quelques mois avant l’éruption du Vésuve en 79 ap. JC, cette transmission se voile. On brûle le mort, on peut le laisser sur place. On ne creuse plus forcément de sépulture. Une période de crise urbaine précède l’éruption. Des tremblements de terre ont lieu à répétition. Les aqueducs fonctionnent moins bien. Une partie de la population déserte la ville.

I. Heullant-Donat : A partir du XIIIe siècle l’uniformisation qui a commencé avec la réforme grégorienne s’affirme. Le clergé devient l’intermédiaire obligé pour ritualiser le passage. Certaines pratiques romaines comme manger sur les tombes disparaissent. On célèbre désormais le mort et les signes distinctifs sont importants. Pour les personnages princiers royaux, un traitement particulier s’opère avec embaumement, exposition de la dépouille, décorations abondantes et dépenses très lourdes. La présence des pleureuses, le cortège de pauvres, les chapelles ardentes ou des ceintures de deuil sont autant d’éléments nouveaux. La question des reliques sert à dresser une géographie des lieux de culte et permet aussi d’étudier le rapport au corps mort.

La troisième partie est une intervention d’Yves Le Fur qui reprend les grandes lignes de l’exposition La mort n’en saura rien, reliques d’Europe et d’Océanie qui a eu lieu en 1999 au musée du Quai Branly – Jacques Chirac.

Il s’intéresse aux pratiques funéraires autour du crâne avec les concepts culturels et esthétique attenants tout autant que la force de transposition et de transcendance sur la mort. Le crâne rappelle l’entité d’une présence. On retrouve des crânes sur les quatre continents au Pérou, Nigéria, Papouasie ou encore en Indonésie. Il s’agit d’une présence extraordinaire, intercesseur entre le  monde vivant et les ancêtres. On retrouve des crânes peints, des masques de mémoire, dégageant une énergie spirituelle. Certains sont des visages reliquaires. Les crânes sont alors recouverts par un autre visage. La figure n’est le plus souvent réaliste, ni idéale. Dans le reliquaire, le mystère est enclos. Le pouvoir de la relique est tenu à distance du regard. Il existe aussi des mannequins funéraires. Les effigies sont construites de leur vivant et on loge le crâne dans la partie supérieur, une fois qu’ils sont morts. Yves Le Fur termine son intervention par une présentation de la scénographie de l’exposition de 1999.