Intervenant : Ladji Ouattara Fiche disponible : http://www.diploweb.com/_Ladji-OUATTARA_.html

Introduction :

Les populations touarègues s’étendent du Sahel aux contreforts algériens, et de Tombouctou au désert libyen. Au début du XXème siècle l’occupation française devient effective avec les prises de Tombouctou (1894) et d’In Salah (1899). Après la défaite de Tit de 1902, l’Ahaggar est occupé. La conquête du territoire touareg est terminée en 1906 avec la prise d’Agadez. De ce fait les grands berceaux montagneux touaregs sont divisés par les nouvelles frontières exogènes :

  • Le massif d’Hoggar est rattaché à l’Algérie
  • Le Tassili est divisé entre Libye et Algérie
  • L’Adrar revient au Soudan français (Mali)
  • L’Aïr est rattaché au Niger

Ces régions ne seront jamais pacifiées, et resteront sujettes aux révoltes régulières Les plus vives contestations seront menées par Kaosen ag kedda entre 1916 et 1918. Depuis les indépendances africaines, qui ont entériné la division du territoire, le rapport avec les pouvoirs centraux demeure aussi conflictuel qu’avec le pouvoir colonial Le territoire étant vécu comme « corps politique et social » de la population touarègue (Claudot-Hawad 1995).

A partir d’une approche socio-historique, Monsieur Ouattara veut traiter de la genèse du mouvement touareg, aborder les évolutions des révoltes, traiter des enjeux géopolitiques et aborder la questions des solutions.

I, Genèse de la question touarègue :

A, Colonisation française et destruction des structures traditionnelles

Les touaregs, à l’arrivée des français sur le terrain, sont organisés en confédérations indépendantes, dirigées par un amenokal. Le chef dispose d’une autorité morale, politique, mais n’a pas de pouvoir coercitif. Il est choisi par les nobles selon des critères de courage et de sagesse. La société touarègue dans son ensemble reposait sur une organisation socio-politique très complexe :

  • L’organisation politique est pyramidale, allant de la noblesse aux captifs.
  • A ceci s’ajoute l’organisation sociale en « cercles concentriques » s’élargissant de la tente au Temoust (le monde).

Ce mode d’organisation sera détruit par la colonisation, provoquant des crises durables dans ces sociétés. Ainsi l’autorité des amenokal ne vient plus du vote des nobles, mais de la reconnaissance coloniale envers les éléments les plus fidèles. En brisant l’organisation sociale traditionnelle touarègue, la colonisation française laisse place à une territorialisation ethno-politique qui dresse les populations entre elles (sédentaires contre nomades, touaregs contre arabes).

B, De la « territorialisation ethno-politique » à l’OCRS :

Dans le contexte des décolonisations fut créée, en 1957, l’OCRS Organisation Commune des Régions Sahariennes. Ses objectifs étaient doubles :

  • La préservation de la domination française sur la région en évitant la rencontre des rebelles algériens et d’Afrique noire
  • Disposer des réserves d’hydrocarbures du Sahara.

C, Echec de l’OCRS et prémices de revendications à caractère « irrédentiste »

A la veille des indépendances, et devant la perspective de voir les divisions coloniales inscrites définitivement dans les nouveaux Etats, certains chefs touaregs entreprennent de demander par pétition et par suppliques la restitution du territoire accaparé lors de la conquête et la création d’un « Etat touareg ». Restées lettres mortes, ces ambitions jouent un grand rôle dans les visions politiques contemporaines.

D, Dé-colonisation et re-colonisation d’une population nomade à la croisée des frontières

L’incompréhension touarègue au départ des français trouve sa source principalement dans la remise de l’autorité territoriale et administrative aux Bambaras et Haoussas du Niger et du Mali, qui n’ont jamais fait la conquête de cette terre par la guerre. Les frontières coloniales, fixées définitivement comme frontières internationales à la décolonisation, mettent fin aux libertés de déplacement des populations touarègues, et donc à une société adaptée aux équilibres locaux, et ayant développé des savoirs-faire ancestraux.

Ainsi, à cheval de nos jours entre Afrique arabo-berbère et Afrique sub-saharienne, les touaregs partagent une même langue (tamashaq), une écriture (tifinagh) et une même religion. L’installation des pouvoirs coloniaux et étatiques mirent à mal ces structures en bloquant leurs évolutions internes. Se percevant comme des « populations périphériques » dans leurs propres pays, les touaregs se révoltent pour des questions sociales et de survie.

II, Raisons endogènes de la persistance des révoltes

A l’examen de la question touarègue sur le long terme, Monsieur Ouattara fait ressortir plusieurs facteurs majeurs à la persistance des conflits :

  1. La remise en cause, dès l’époque coloniale, de leur identité et des structures sociales
  2. Les politiques agraires successives favorables à l’agriculture et donc pénalisant le nomadisme.
  3. Les graves problèmes de développement, favorisés par un isolement durable.
  4. La substitution de la domination africaine, non reconnue, à l’autorité coloniale aux moment des indépendances.

L’ensemble de ces facteurs illustrent les tensions d’un groupe humain qui cherche à maitriser de nouveau son destin.

III, Enjeux géopolitiques et acteurs stratégiques

La question touarègue se complexifie par l’imbrication des échelles locale et mondiale. Les différentes révoltes s’inscrivent dans des contextes internationaux variables, et mobilisent de nouveaux acteurs ces dernières années.

  1. La première révolte de 1963, dans le contexte de décolonisation et de guerre froide, ne mobilisa pas à l’international, laissant les touaregs seuls, victimes de la géopolitique du réel.
  2. Avec la révolte de 1990 face aux régimes dictatoriaux émergent des visions politiques et militaires au sein des populations touarègues. Seront créés successivement le MNJ Mouvement des Nigériens pour la Justice et le MNLA Mouvement National de Libération de l’Azawad en 2011
  3. Des groupes terroristes, à la chute du régime libyen, viendront s’installer dans le nord du Mali. Ceux-ci prendront rapidement le contrôle de l’Azawad qui avait déclaré précédemment son indépendance le 6 avril 2012.

Les enjeux sécuritaires posés par la question touarègue, auparavant régionaux, vont devenir mondiaux. Profitant de la faiblesse des structures étatiques dans cet espace, groupements salafistes (AQMI) et trafics de contrebande explosent, poussant plusieurs nations à déployer dans la région des troupes.

Bien que toutes motivées par la « lutte anti-terrorisme », les stratégies des acteurs internationaux différent :

  • L’Algérie cherche à maintenir son influence sur la région
  • La France, par l’opération Barkhane, cherche aussi à maintenir son influence : est-ce une réinvention de l’OCRS ?
  • Les Etats-Unis développent leur influence dans la région
  • Chine et Russie : Nouveaux acteurs
  • Le Mali, le Niger et la Mauritanie jouent leurs propres jeux, tout en cherchant à recevoir les aides internationales.
  • Le groupes terroristes et les réseaux mafieux profitent du chaos engendré
  • Les populations nomades sont les plus grandes victimes de la situation, subissant des réalités géopolitiques qui les dépassent.

IV, Perpectives de solutions probables

Monsieur Ouattara conclut son intervention en abordant les perspectives de sortie de crise. Celui-ci reconnait que la question, qui s’est complexifiée, nécessite un changement de paradigme et plus de pragmatisme. Nous ne devons pas séparer les « approches locales » du contexte global. Les perspectives de solutions se situent essentiellement dans le traitement des causes profondes des tensions. Il faudrait d’abord élaborer des maillage territoriaux et politiques communs pour gérer les frontières en prenant compte les réalités nomades (éviter avant tout les « zones grises »). La résolution du chaos libyen est indispensable pour avancer. Une franche coopération entre les acteurs est nécessaire pour déterminer une vraie stratégie globale commune, afin de parvenir à une plus grande efficacité opérationnelle.

Une conférence complexe et de haute technicité, qui nous invite à approfondir le sujet pour en saisir toutes les subtilités, d’autant plus que l’exposé fut écourtée sur la question des enjeux géopolitiques et des perspectives de solutions par manque de temps.